Cette déclaration est historique après tant d’années de silence alors que les faits ont été depuis longtemps établis. Mais pourquoi Macron n’a-t-il pas dans la foulée reconnu l’utilisation généralisée de la torture en colonie ? A l’ombre du conflit algérien, des tortionnaires français (parfois les mêmes) œuvraient au Cameroun sans trop faire de bruit. Cela fait maintenant six ans que je travaille sur ce conflit méconnu. Ma thèse est en cours de rédaction (me contacter pour un lien).
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La répression française contre l’UPC est un des facteurs principaux de la radicalisation des nationalistes qui au départ voulaient se faire entendre sans utiliser la violence. L’assassinat des principaux leaders upécistes (Rubben Um Nyobe, Felix Moumié et bien d’autres…), la généralisation de la torture dans les commissariats spéciaux et les postes de gendarmerie mobile, au sein de l’armée française (qui prenait un malin plaisir à exposer les têtes décapitées des maquisards sur la place publique) a plongé le pays dans un conflit sanglant qui a duré de décembre 1956 jusqu’en 1971 année de l’exécution d’Ernest Ouandié, faisant des dizaines de milliers de victimes. Certains maquisards que j’ai pu rencontrer portent encore les stigmates de ces pratiques. Quand on observe les parcours des tortionnaires français, on s’aperçoit qu’il y a bien une internationale de la torture : il y a circulation des « savoirs » et des « experts en interrogatoire » dans l’espace impérial français (Indochine, Algérie, Cameroun… et plus tard en Argentine).
Le problème est que le pli a été vite pris au sein de l’État postcolonial où la torture est maintenant institutionnalisée. Le SEDOC, Fochivé, Semengué et j’en passe, ont laissé un gout amer. La torture comme instrument de terreur est bien un héritage colonial, car les violences des sociétés précoloniales relevaient d’une autre logique : traites négrières, affirmation ritualisée de sa force, communication avec le monde de l’invisible…. Aujourd’hui cette « compétence » française est mise au service de la lutte contre les opposants au régime sous couvert de lutte antiterroriste (Boko Haram et Ambazonie…). Cette nouvelle rente diplomatique consiste à dire aux Français : « Donnez-nous les moyens militaires. Nous lutterons contre le terrorisme et en retour silence radio dans les médias sur les exactions contre les opposants et les maquisards anglophones». Macron se tait sur le Cameroun, car il soutient encore le régime moisi de Paul Biya. Faute de mieux. Biya n’a pas d’opposants crédibles à l’horizon pour les présidentielles en octobre. Et pour cause, rentrer en politique au Cameroun mène au mieux à la prison au pire à la torture et à la mort. J’ai un ami camerounais (poète et historien) qui, parce qu’il a souhaité un jour tâter de la politique, s’est retrouvé dans les geôles camerounaises sans jamais savoir ce qu’on lui reprochait. Fort heureusement, la mobilisation des ONG et la bienveillance de certains gardiens lui ont permis d’échapper au pire. Il est aujourd’hui réfugié en Allemagne. Un autre de mes amis historiens, coauteur du livre qui a permis de lever le voile sur la guerre cachée au Cameroun, a dû s’exiler au Canada pour finaliser sa thèse, comme avant lui Achille Mbembé (un de ses anciens professeurs m’a raconté comment le jeune Achille dut s’expatrier après son mémoire de maitrise incendiaire…) . Invité à un colloque à Paris, qui traitait indirectement du conflit, il n’a pu s’y rendre avec quelques autres faute de visa pour la France (il était alors à Yaoundé).
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Macron a ouvert la boite de Pandore (c’est bien ce que lui reprochent les identitaires qui n’ont que le mot « Fierté d’être français» à la bouche, sans se douter de sa face maudite : la honte…). L’histoire doit être dite. Point. Les faits doivent être reconnus et correctement interprétés en prenant en compte la complexité des situations. Nulle repentance en cela (je laisse cela aux politiques). Il va falloir aller jusqu’au bout pour enfin tourner la page et envisager, comme le dit joliment Achille Mbembé, « une possible déclosion du monde ».