D’après un rapport publié par l’ONG Internationale Amnesty International, plus de 1 000 personnes innocentes sont détenus par l’armée camerounaise et plusieurs morts dans des conditions inhumaines. Toujours d’après ce rapport, les exactions de l’armée Camerounaise ont été perpétrées en majorité après des opérations de ratissage.
Aujourd’hui Laurent Gbagbo paie devant la CPI de son inaction voire son cautionnement face aux exactions connues qui ont été perpétrées lors de la crise post-électorale en Cote d’Ivoire. La Cour Pénale Internationale qui juge également des hommes tels que Bosco Taganda, Jean Pierre Mbemba et bien d’autres, se base jusqu’ici sur plusieurs rapports d’enquêtes fouillées et des témoignages des victimes des horreurs subies lors de ces exactions.
Le Cameroun ayant été obligé de se défendre face aux attaques perpétrées par Boko Haram à jusqu’ici opposé une riposte républicaine. Les victoires de l’armée régulière vantées à grande pompe auront réussi à rasséréner la population sur la capacité actuelle de l’Etat d’assurer la défense et la protection de la population. Que dire désormais des preuves qui s’amoncèlent et de l’inaction de l’homme du 6 Avril 1984. Pourrait-il être présenté devant la CPI si rien n’est fait pour traduire devant la justice tous les responsables d’exactions aujourd’hui connues ? Le Chef de l’Etat dans un de ces nombreux discours avait souligné ceci : « La réalité est simple.
Il y a d’un côté, le nôtre, les tenants d’une société moderne et tolérante, garantissant l’exercice des droits de l’homme, dont ceux de religion, ainsi que la démocratie représentative. De l’autre côté, c’est-à-dire du côté de Boko Haram et des mouvements qui lui ressemblent, il y a les partisans d’une société obscurantiste et tyrannique, sans considération aucune pour la dignité humaine. » Aujourd’hui rattrapé par la réalité, le dilemme reste entier et les prochains mois seront cruciaux sur l’avenir du Cameroun.
Amnesty International qui vient de charger le Cameroun, l’a juste offert entre les mains de la CPI qui semble avoir désormais assez d’éléments de preuve pour ouvrir un dossier Cameroun, en attendant de mieux identifier les responsables à présenter pour répondre des massacres et exactions décriés. Toutefois l’ONG Amnesty International pour préciser où le Cameroun a fauté et continu à le faire va affirmer dans ce rapport que : « Toutefois, un élément essentiel du respect des droits humains est de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations commises.
Or, mise à part l’enquête interne sur le décès d’au moins 25 personnes à la gendarmerie de Maroua, les autorités ont admis à Amnesty International en mai 2015 qu’aucune autre enquête n’était en cours sur les violations des droits humains commises à grande échelle, notamment les arrestations massives dénoncées dans le présent rapport. ». Une « boutade » qui pourrait être imputée au Chef de l’Etat. Car l’ONG ajoutera : « Même dans l’unique cas où une enquête a été diligentée, il n’est pas sûr que le processus engagé garantisse que justice soit rendue et que les responsables soient obligés de rendre des comptes.
Bien que certains agents aient été limogés en attendant les résultats de l’enquête interne sur les morts en détention, dont le colonel Zé Onguene193, qui était à la tête de la gendarmerie pour la région de l’Extrême-Nord, aucune information sur les progrès de cette enquête n’a été rendue publique depuis son ouverture il y a neuf mois. De plus, beaucoup de témoins clefs, notamment des témoins oculaires dans les villages et des détenus ayant survécu aux attaques, n’ont jamais été entendus. L’enquête présente par ailleurs un certain nombre de failles, notamment sa conduite sous l’égide du ministère de la Défense et non d’un organe indépendant et impartial.
Étant donné la nature des allégations et les soupçons qui pèsent sur l’armée, la gendarmerie et la police, une enquête indépendante serait nécessaire pour obtenir la confiance des témoins essentiels, déterminer la responsabilité des différentes forces de sécurité et identifier les individus responsables des infractions présumées ainsi que les personnes aux commandes de l’opération. Amnesty International estime que le système judiciaire militaire n’a pas l’indépendance et l’impartialité nécessaires pour juger des militaires. D’ailleurs, la composition même des tribunaux militaires, où siègent des membres de l’armée, compromet, sur le papier comme en pratique, le droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires a exprimé sa préoccupation face aux « rapports concernant les membres des forces de sécurité jugés par des tribunaux militaires, qui échapperaient à tout châtiment en raison d'une mauvaise conception de l'esprit de corps, entraînant généralement l'impunité ». Le comité sur les disparitions forcées a réaffirmé que « les juridictions militaires ne devraient pas pouvoir juger d’affaires relatives à de graves violations des droits humains, notamment de disparitions forcées. ».
Encore qu’Amnesty International estime que : « le champ de l’enquête semble également trop restreint. L’enquête ne porte que sur les morts en détention, sans prendre en compte les allégations d’homicides illégaux, de recours excessif à la force et d’arrestations arbitraires dans les villages qui pèsent sur les forces de sécurité. Veiller au respect de la loi par les forces de sécurité signifie s’assurer qu’il existe une obligation de rendre des comptes pour les infractions commises. Sans cela, l’impunité et les atteintes aux droits fondamentaux perdureront. »
Les points à charge du rapport
Amnesty International a collecté des informations sur un ensemble de crimes au regard du droit international et de violations des droits humains perpétrés par les forces de sécurité de l’État, et a rassemblé des informations détaillées faisant état de cas spécifiques d’arrestations de masse, d’exécutions illégales, de recours excessif à la force, de disparitions forcées, de morts en détention et de torture.
Dans la région de l’Extrême-Nord, les forces de sécurité camerounaises ont arrêté au moins 1 000 personnes qui étaient accusées de soutenir Boko Haram, notamment lors d’opérations de ratissage où des dizaines voire des centaines d’hommes et de garçons ont été rassemblés et arrêtés. Amnesty International a découvert qu’au cours de ces opérations, les forces de sécurité ont recouru à un usage excessif de la force et se sont rendues coupables de violations des droits humains, notamment de meurtres, de traitements inhumains et dégradants, et de destruction de biens immobiliers.
Pour l’opération de ratissage la plus extrême relevée par Amnesty International, 35 témoins oculaires directs et une source militaire haut placée ont confirmé qu’au moins 200 hommes et garçons avaient été arrêtés le 27 décembre 2014 dans les villages de Magdeme et Doublé. Lors de la même opération menée conjointement par l’armée, la police et la gendarmerie, au moins huit personnes dont un enfant ont été tuées, plus de 70 bâtiments ont été incendiés et de nombreux biens ont été volés ou détruits.
Le sort de la plupart des personnes arrêtées dans ces deux villages reste inconnu. Au moins 25 de ces hommes et garçons, voire plus, sont morts en détention dans une cellule improvisée la nuit de leur arrestation, tandis que 45 autres ont été emmenés et enregistrés à la prison de Maroua le lendemain. Au moins 130 personnes sont donc portées disparues et victimes présumées de disparitions forcées. Des éléments de preuve suggèrent que d’autres personnes seraient mortes alors qu’elles étaient en détention sous la responsabilité des forces de sécurité. Près de neuf mois après ces faits, les responsables de l’enquête interne n’ont pas encore identifié les morts, révélé l’emplacement de leurs corps ni interrogé les principaux témoins.
Dans une autre affaire, 84 enfants – dont plus de la moitié avaient moins de 10 ans – ont été détenus sans chef d’inculpation pendant six mois dans un centre pour mineurs après un raid dans les écoles coraniques de la ville de Guirvidig. Leur libération ultérieure laisse penser que les autorités locales et nationales sont prêtes à réparer certaines violations des droits humains une fois reconnues.
Face aux terribles attaques de Boko Haram au cours des 12 derniers mois dans la région de l’Extrême-Nord, ainsi qu’au débordement du conflit centrafricain dans le sud-ouest du pays, les forces de sécurité camerounaises sont visiblement dépassées. Améliorer leur capacité à réagir de façon légale et efficace à la menace de Boko Haram et à protéger les populations touchées doit être une priorité essentielle pour les autorités camerounaises.
Les conditions de détention nécessitent également des améliorations rapides, car la prison de Maroua a reçu plus de quatre fois son nombre maximal de détenus, avec pour conséquence des niveaux dangereux de surpopulation, de malnutrition et d’insalubrité. Entre mars et mai 2015, au moins 40 détenus seraient morts en prison. Un travail a commencé pour augmenter les capacités carcérales, mais les détenus continueront à tomber malade et à mourir si davantage de mesures ne sont pas prises pour améliorer les conditions et veiller à ce que les personnes ne soient pas incarcérées pendant de longues périodes avant leur procès, qui doivent être conformes aux normes internationales et exclure la peine de mort.
Les autorités camerounaises doivent ouvrir des enquêtes indépendantes, approfondies et impartiales dans les meilleurs délais sur toutes les allégations fiables de crimes de droit international et de graves violations des droits humains commis par des membres des forces de sécurité et de Boko Haram, dans le but de déférer les personnes soupçonnées à la justice, en veillant à ce qu’elles soient jugées à l’issue de procès équitables, conformes au droit international relatif aux droits humains et excluant le recours à la peine de mort.
Les enquêtes doivent inclure les affaires spécifiques soulignées dans ce rapport, y compris les allégations de violations des droits humains commises par les forces de l’État lors des arrestations de masse dans les villages de Magdeme, Doublé et Guirvidig, en vue de mettre un terme aux violences des forces de sécurité et de traduire en justice les agents coupables d’abus. L’incapacité à faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour les violences commises par les forces de sécurité ne fera qu’encourager l’impunité, continuera à exaspérer les populations déjà à bout de nerfs et augmentera potentiellement le risque de radicalisation, notamment au sein d’une jeunesse désenchantée.
La communauté internationale doit également condamner les violations des droits humains commises par Boko Haram et les forces de sécurité camerounaises, et appeler publiquement le gouvernement du Cameroun à ouvrir de toute urgence des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les allégations de violations des droits humains et de crimes relevant du droit international. Elle doit par ailleurs veiller à ce que son soutien aux efforts camerounais et régionaux pour protéger les populations face à Boko Haram respecte les normes internationales relatives aux droits humains.
Voici ce qu’on reproche à l’armée du Cameroun
Pour combattre Boko Haram, le Cameroun a cherché à renforcer la présence de ses forces de sécurité dans les régions du nord. En août 2014, les autorités ont réorganisé la chaîne de commandement militaire et augmenté les effectifs dans le nord du pays. Au moins 2 000 membres du Bataillon d’intervention rapide (BIR) ont été déployés au côté de membres du Bataillon d’infanterie motorisée (BIM) dans le cadre des opérations « Alpha » et « Émergence 4 » pour protéger la région frontalière. En juillet 2015, à la suite d’une recrudescence de la violence dans l’Extrême-Nord et d’au moins cinq attentats-suicides, le Cameroun a annoncé qu’il déploierait 2 000 personnes supplémentaires le long de sa frontière avec le Nigeria, au nord du pays.
Le gouvernement camerounais a également cherché l’aide et la coopération d’entités extérieures. En janvier 2015, l’idée d’une force multinationale mixte mandatée par l’Union africaine a été réactivée et le Cameroun s’est engagé à y déployer 2 650 soldats. Cette force aurait dû être opérationnelle à la fin de juillet 2015, mais les détails des opérations et du déploiement des troupes n’ont pas encore été finalisés.
En janvier 2015, des troupes tchadiennes ont aussi été invitées à conduire des opérations sur le sol camerounais. Par ailleurs, d’autres pays, comme les États-Unis, la France, Israël, l’Italie, l’Allemagne, la Chine et la Russie, ont également apporté leur aide, notamment en matière de formation. Il semble que grâce à cette coopération accrue et au renforcement des troupes camerounaises, les attaques de Boko Haram aient diminué entre mars et juin 2015, avant de reprendre de plus belle en juillet.
Amnesty International a recueilli des informations sur des crimes de droit international et des violations des droits humains commis par les forces étatiques de sécurité, notamment des arrestations arbitraires massives, des exécutions extrajudiciaires, des recours excessifs à la force, des disparitions forcées, des morts en détention et des traitements inhumains et dégradants.
Les atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité semblent suivre, dans leur fréquence et leur ampleur, les attaques perpétrées par Boko Haram : une augmentation à partir de mi-2014, particulièrement marquée entre octobre 2014 et mars 2015, puis une baisse d’intensité à partir de mars 2015. Des membres hauts placés des forces de sécurité ont expliqué à Amnesty International avoir été mis à rude épreuve entre octobre 2014 et mars 2015. Le personnel n’était pas préparé et la panique l’aurait conduit à adopter une approche répressive et parfois sans aucun discernement.
Vagues d’arrestation
Les forces de sécurité camerounaises ont arrêté au moins 1 000 militants présumés dans la région de l’Extrême-Nord, notamment dans le cadre d’opérations de grande ampleur, où des dizaines, voire des centaines, d’hommes et de jeunes garçons ont été rassemblés et arrêtés collectivement. Amnesty International a rassemblé des informations sur des arrestations massives de membres présumés de Boko Haram dans la ville de Maroua et dans les villages de Magdeme, de Doublé et de Guirvidig, qui auraient été conduites lors d’opérations de ratissage, en général menées conjointement par l’armée, la police et la gendarmerie. Amnesty International a aussi recensé des arrestations ciblées d’individus et de petits groupes dans la rue ou des lieux publics.
La plupart des personnes arrêtées sont des hommes jeunes, mis à part dans le cas concernant la détention de 84 enfants, parfois âgés de cinq ans seulement. Les personnes arrêtées sont issues de milieux sociaux, économiques et culturels différents mais viennent pour la plupart de l’ethnie Kanuri et vivent dans des villages et des villes le long de la frontière avec le Nigeria. Elles sont détenues dans plusieurs prisons et centres de détention du pays, en particulier à Maroua, où la moitié au moins de la population carcérale est constituée de membres présumés de Boko Haram144. Comme indiqué auparavant, des dizaines sont mortes en détention et on ignore le sort de centaines d’autres.
Recours excessif à la force lors d’opérations de ratissage
Les forces de sécurité camerounaises ont conduit des opérations de ratissage d’envergure en organisant des descentes et des fouilles de maisons dans plusieurs villes et villages de la région de l’Extrême-Nord, en particulier ceux situés le long de la frontière nigériane.
Ces opérations perdurent depuis juin 2014 au moins. Elles ont culminé en décembre 2014 et semblent avoir été moins nombreuses entre mars et juin 2015, avant une nouvelle recrudescence fin juillet à la suite des trois attentats-suicides de Maroua. D’après les informations recueillies par Amnesty International, les forces de sécurité ont eu un recours excessif à la force durant ces opérations et se sont rendues coupables d’atteintes aux droits humains, notamment d’homicides illégaux et de destruction de biens. D’après la liste des personnes qui auraient été arrêtées, ces opérations semblent avoir surtout visé des hommes entre 18 et 40 ans, soupçonnés d’être membres ou sympathisants de Boko Haram.
Les trois opérations de ratissage examinées par Amnesty International avaient pour objectif annoncé de rechercher des combattants et des sympathisants de Boko Haram. Mais pour atteindre leur objectif, les forces de sécurité ont menacé et harcelé des civils, détruit leurs habitations et volé leurs biens. Au cours de l’une de ces opérations, les forces de sécurité ont tué au moins huit personnes, dont une petite fille de sept ans.
Disparitions forcées
Les recherches menées par Amnesty International semblent indiquer clairement que des centaines de personnes arrêtées par les forces de sécurité camerounaises dans l’Extrême-Nord ont été victimes de disparitions forcées, dont au moins deux cents habitants des villages de Magdeme et de Doublé, arrêtés en décembre 2014 lors d’une opération de ratissage. La gendarmerie, l’armée, le BIR et la police sont tous impliqués.
En plus des personnes toujours portées disparues, Amnesty International a également recensé et examiné d’autres cas de personnes arrêtées dont les familles ont longtemps ignoré le sort. L’un de ces cas concerne l’arrestation d’au moins 24 personnes au marché de Maroua lors d’une seule opération, en juin 2014. Les proches interrogés par Amnesty International en mai 2015 n’avaient toujours aucune nouvelle, malgré leurs demandes auprès des autorités. Ce n’est que parce qu’Amnesty International a pris en charge ces cas que les personnes arrêtées ont pu être localisées en juillet 2015. Elles étaient détenues à Yaoundé, la capitale du pays, et ont été ensuite transférées à Maroua.
Amnesty International a écrit aux autorités camerounaises, notamment au ministre de la Défense, au ministre de la Justice et au chef de la police, et leur a envoyé une liste de personnes arrêtées, notamment dans les villages de Magdeme et de Doublé ainsi que lors d’autres événements. Dans ces lettres, l’organisation a demandé aux autorités de confirmer le sort de ces personnes et d’en informer leurs familles. Anecdotes
Guirvidig, 20 décembre 2014 : arrestations massives, recours excessif à la force et détention arbitraire d’enfants à la suite d’une descente dans des écoles coraniques une victime témoigne : « Nous étions à l’école quand les militaires ont fait irruption. Ils nous ont posé plein de questions et nous ont demandé nos cartes d’identité. Tout à coup, ils ont commencé à frapper nos professeurs, dont certains ont eu le visage couvert de sang. À la fin, ils nous ont tous emmenés dehors et nous ont fait monter dans des camions. »
Le 20 décembre 2014, tôt le matin, l’armée, la gendarmerie et la police camerounaises ont mené une opération de ratissage dans la ville de Guirvidig, dans le département du Mayo-Danai. Les forces de sécurité ont effectué des descentes dans plusieurs écoles coraniques et des maisons ; elles ont arrêté 84 enfants et au moins 43 hommes, dont de nombreux enseignants. Aucune attaque n’avait été signalée dans la ville, mais les autorités ont affirmé que les écoles en question servaient de couverture à des « camps d’entraînement de Boko Haram». Seuls trois de ces enfants avaient plus de 15 ans, et 47 avaient moins de 10 ans. L’un n’avait que cinq ans. Tous les enfants ont été détenus pendant six mois sans avoir été inculpés.
Un enfant a expliqué à Amnesty International que les élèves avaient été menacés et les hommes frappés au cours de l’assaut : « Les forces de sécurité ont fait irruption dans notre école. Ils ont demandé nos cartes d’identité et nous ont interrogés. Ils ont dit qu’ils allaient creuser une tombe et nous jeter dedans. Nous étions terrorisés. Ensuite, ils ont brutalisé nos professeurs [...] certains avaient le visage couvert de sang. »
Le père d’un jeune homme de 22 ans (qui n’étudiait pas dans une école coranique) arrêté pendant l’opération a également confié à Amnesty International les menaces dont il a été victime de la part des militaires il va déclarer : « Comme tous les matins, je me suis réveillé pour prier. À ma surprise, j’ai vu quatre soldats armés jusqu’aux dents dans ma cour. Ils m’ont demandé où j’allais. J’ai répondu que j’allais à la Mosquée.
Ils m’ont rétorqué en hurlant : “Aujourd’hui, la mosquée c’est chez toi !” J’ai eu peur et je suis retourné à l’intérieur. Au bout d’un moment, mon fils est parti au marché, où il travaillait dans un “call box” [point de téléphonie mobile en plein air]. Les soldats l’ont arrêté et l’ont amené là où ils avaient rassemblé tout un groupe. Ils l’ont fait monter dans un camion et aujourd’hui, il est à la prison de Maroua. »
Des délégués d’Amnesty International ont rencontré un professeur de 39 ans enseignant dans une école coranique, détenu à la prison de Maroua. Il a indiqué avoir été passé à tabac. Des témoins ont confirmé qu’il avait été battu en public au cours de l’arrestation avec la crosse d’un pistolet, puis qu’il avait reçu des coups de pied en montant dans le camion. Il n’arrivait pas à tenir sa tête droite et avait besoin d’aide pour marcher. Il a été hospitalisé pour traiter une tuberculose mais les blessures subies durant son arrestation n’ont pas été soignées. Il est mort en détention le 17 juin 2015 et aucune enquête ne semble avoir été menée sur son décès.
Selon des témoignages recueillis par Amnesty International, les agents sont aussi entrés de force dans plusieurs maisons, où ils ont confisqué des biens et réclamé des pots-de-vin. Un père a vu des personnes remettre de l’argent aux forces de sécurité pour faire relâcher leurs fils. « Ce jour-là, je n’avais pas d’argent alors ils ont emmené mon fils », a-t-il déclaré. Une autre victime a indiqué que les forces de sécurité l’avaient menacé puis avaient essayé de voler certains biens de la famille : « Il était environ six heures du matin, quatre personnes, des soldats et des gendarmes, sont entrées chez moi et ont essayé de prendre mes deux motos. J’ai dû leur donner 30 000 francs CFA pour les récupérer. »
Des témoins oculaires ont indiqué à Amnesty International que les hommes et les garçons avaient été rassemblés sur une place publique, où ils avaient dû attendre plusieurs heures avant d’être embarqués dans des camions à destination de Maroua. Les enfants ont été maintenus en détention au quartier général de la gendarmerie de Maroua pendant quatre jours, puis transférés dans un centre pour mineurs. Les hommes ont été emmenés à la prison centrale de Maroua, où ils sont toujours détenus dans des conditions extrêmement précaires. « Mon frère est toujours enfermé à la prison de Maroua.
Je lui rends visite trois fois par semaine pour lui apporter de la nourriture. Il souffre beaucoup, il est malade. Avant son arrestation, il avait eu une opération et les points de suture n’ont jamais été retirés. Il a aussi attrapé la gale en prison, ça fait très mal. Il m’a expliqué qu’il n’arrive pas à dormir la nuit à cause de la chaleur et qu’il se gratte tout le temps. Je suis très inquiet pour sa santé. »
Les 84 enfants ont été détenus pendant un peu plus de six mois, pour la plupart à l’Institution camerounaise de l’enfance, gérée par le ministère des Affaires sociales. Même s’ils n’avaient été inculpés d’aucune infraction, ils n’ont pas pu quitter le centre pendant tout leur séjour. Le centre était approvisionné en nourriture par le Programme alimentaire mondial et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) lui avait fourni des matelas.
Amnesty International s’est rendue à l’Institution camerounaise de l’enfance et a parlé avec certains des garçons détenus. Même s’ils étaient pris en charge, la plupart d’entre eux ne comprenaient pas pourquoi ils étaient retenus là et pourquoi ils ne pouvaient pas voir leurs parents. Ils ont tous indiqué à Amnesty International vouloir rentrer chez eux. Un défenseur des droits humains au niveau local a décrit la situation ainsi : « Les enfants étaient bien traités au centre. Ils mangeaient à leur faim, suivaient des cours, avec notamment des lectures du Coran, et pouvaient jouer au football ou regarder des films. Mais ils ne pouvaient pas quitter le centre ni voir leurs parents comme ils le voulaient. »
Entre le 20 et le 24 décembre, cinq proches des enfants se sont rendus au quartier général de la gendarmerie pour les voir, ce qui leur a été refusé. Au lieu de cela, ils ont été emmenés à la prison de Maroua, où ils sont toujours incarcérés.
Amnesty International et d’autres organisations ont défendu le cas des enfants détenus auprès des autorités camerounaises, à la fois publiquement et par des voies privées154. Le 24 juin 2015, les enfants ont finalement été autorisés à quitter le centre et à rentrer chez eux retrouver leurs parents.
Magdeme et Doublé, 27 décembre 2014 : arrestations massives, recours excessif à la force, homicides illégaux, destruction de biens, morts en détention et disparitions forcées « Les soldats ont pris d’assaut la petite cabane où je gardais mes animaux. Ils l’ont entièrement brûlée. Trente de mes moutons sont morts dans l’incendie. Mes animaux étaient tout ce que je possédais. »
Le 27 décembre 2014 au petit matin, les forces de sécurité camerounaises ont bouclé deux villages voisins, Magdeme et Doublé, dans le département du Mayo Sava (région de l’Extrême-Nord) pour y mener une opération de ratissage. D’après les informations reçues et vérifiées par Amnesty International, cette opération a été le théâtre de nombreuses violations, dont, au minimum : neuf homicides illégaux, des destructions massives de biens, des centaines d’arrestations arbitraires, des détentions illégales qui, de par leurs conditions, pourraient constituer des disparitions forcées et au moins 25 décès en détention.
Les opérations, qui se sont déroulées de façon similaire dans les deux villages, ont débuté à Magdeme et se sont poursuivies à Doublé. Plus de 35 victimes et témoins ont décrit à Amnesty International comment les forces de sécurité (gendarmes, policiers et soldats) s’étaient introduites chez les habitants, les avaient menacés et maltraités, leur avaient volé leur argent et leurs biens et avaient brûlé leurs maisons.
« Au petit matin, nous avons entendu des coups de feu et nous avons pensé que c’était Boko Haram. Nous avions peur et nous nous sommes enfouis dans la brousse. Puis des gens nous ont dit que ce n’était pas Boko Haram mais les forces de sécurité. Nous sommes donc rentrés, nous croyant en sécurité. Mais, à notre grande surprise, ces forces nous ont fait encore plus de mal que Boko Haram156. »
Selon des témoins des assauts, les forces de sécurité ont dit aux habitants de se rassembler dans des zones centrales du village. Elles ont séparé les hommes des femmes et des enfants, et ordonné aux hommes de ne garder que leurs pantalons. Elles ont obligé les hommes à s’allonger au soleil, face à terre, et les frappaient de temps à autre à coups de bottes, les accusant d’être complices de Boko Haram. « Des soldats criaient : ‘Vous êtes Boko Haram !’. Nous avons répondu que nous étions juste des fermiers qui cultivent des oignons. Un hélicoptère a décrit des cercles au-dessus de nos têtes, pour repérer ceux qui essayaient de s’enfuir. Nous avions extrêmement peur. »
Homicides illégaux, pillages et destruction de biens
Durant les opérations de fouille et de contrôle, au moins neuf personnes, dont une petite fille, ont été tuées par des tirs des forces de sécurité. Six personnes ont été tuées à Magdeme et les autres à Doublé. Des villageois ont transmis à Amnesty International une liste des personnes tuées, que les délégués de Amnesty International ont pu vérifier en interrogeant des témoins oculaires et des proches qui avaient enterré les victimes.
À Magdeme, au moins cinq témoins ont fait le récit du meurtre par arme à feu d’une femme et de sa petite fille, alors qu’elles étaient chez elles. La soeur de la victime, qui se trouvait non loin de la maison au moment de l’assassinat, a expliqué à Amnesty International : « Les soldats ont défoncé la porte et sont entrés dans la maison en tirant des coups de feu. Ma soeur et sa petite fille de sept ans ont été tuées alors qu’elles se cachaient sous le lit. Ma soeur a reçu une balle sur le côté droit de la tête, sous l’oreille, et sa fille a été touchée au cou. Elles sont mortes le jour même. Quand les forces de sécurité sont parties, je suis rentrée dans la maison et j’ai trouvé leurs corps. On les a enterrées dans la soirée avec d’autres villageois158. »
À Doublé, trois hommes ont reçu des tirs alors qu’ils essayaient de s’échapper de la foule lors des opérations de contrôle. Un père de trois enfants a été tué d’une balle dans la tête, un homme de 40 ans a été touché au ventre et un homme de 30 ans à l’abdomen159. L’assaut a également causé des destructions de grande ampleur. Des villageois ont transmis à Amnesty International des listes détaillées et des cartes précises indiquant 70 maisons et autres bâtiments détruits par les forces de sécurité à Magdeme et à Doublé. Ces informations ont été confirmées par des photographies et des images satellite, montrant qu’au moins 50 bâtiments ont été détruits au sud-ouest de Doublé au moment de l’attaque. « Les forces de sécurité ont détruit beaucoup de maisons dans le village. Quand elles sont rentrées chez moi, elles ont tout fouillé, elles ont pris mon téléphone puis elles ont mis le feu au toit. »
Des maisons auraient été pillées par les forces de sécurité et des témoins ont expliqué que des agents leur avaient volé leur argent et d’autres biens sous leurs yeux, alors qu’ils étaient censés fouiller les lieux. « Deux soldats ont fouillé ma maison. Après avoir défoncé sauvagement la porte, ils ont tiré un coup de feu en l’air. Ils ont ordonné à mon mari de se coucher par terre, face au sol, et ont menacé de le tuer s’il ne le faisait pas. Ensuite, ils ont fouillé ses poches et ont trouvé 50 000 francs CFA [environ 76 euros]. Ils les ont pris, ainsi que 10 000 naira [environ 45 euros] que j’avais dans ma chambre. »
Une femme de Doublé a décrit l’assaut : « Ils sont rentrés chez moi et ont pris 550 000 francs CFA [environ 838 euros] à mon mari et 220 000 francs CFA [environ 335 euros] à mon frère. Ils ont aussi brûlé six sacs de haricots. Ils ont brûlé beaucoup de maisons, avec tout ce qu’elles contenaient162. » Un autre homme a décrit comment les soldats lui avaient volé de l’argent et plusieurs biens qui étaient chez lui, notamment « 460 000 francs CFA [environ 701 euros], des bijoux et des habits. »
Après l’assaut, beaucoup de villageois ont quitté Magdeme et Doublé pour se réfugier ailleurs, notamment à Mora et à Maroua. À partir de mai 2015, profitant d’une amélioration des conditions de sécurité, certains habitants ont toutefois commencé à rentrer chez eux pour essayer de reprendre une vie normale et redémarrer une activité économique.
Plus de 200 personnes arrêtées
Un porte-parole du gouvernement a déclaré que 70 personnes avaient été arrêtées lors d’une descente dans les villages de Magdeme et de Doublé164 mais les éléments en notre possession semblent indiquer que ce chiffre serait trois fois plus élevé.
Des villageois ont transmis à Amnesty International des listes détaillées des personnes arrêtées pendant l’assaut, que l’organisation a cherché à vérifier en interrogeant plus de 35 témoins oculaires et en consultant le registre de la prison. D’après ces listes, au moins 90 personnes, hommes et jeunes garçons, auraient été arrêtées à Magdeme et 141 à Doublé. De plus, des témoins oculaires ont indiqué que des habitants d’autres villages avaient aussi été arrêtés lors des raids et sur la route empruntée ensuite par les forces de sécurité mais Amnesty International n’a pas pu confirmer les circonstances ni le nombre de ces arrestations supplémentaires. Une source militaire de haut rang a confirmé à Amnesty International qu’au moins 200 personnes avaient été arrêtées dans les deux villages.
Quand l’opération de ratissage décrite ci-dessus a pris fin, les personnes arrêtées ont été entassées dans pas moins de cinq camions puis emmenées dans un premier temps dans la ville de Mora, où les enfants ont été relâchés et les hommes passés plusieurs fois à tabac. Un détenu a confié à un proche qu’une fois à Mora, les forces de sécurité avaient menacé les personnes arrêtées et les avaient frappées avec des matraques166. Un autre proche a indiqué que certaines victimes lui avaient « dit avoir été violemment battues quand les camions se sont arrêtés à Mora », avant d’ajouter : « d’ailleurs, on pouvait voir sur certains des marques de mauvais traitements. » D’autres témoignages de détenus ont confirmé ces mauvais traitements.
Au moins 25 morts en détention
« Ils nous ont emmenés dans un camp militaire à Mora, puis nous ont fait monter dans un véhicule pour aller à Maroua. Ils nous ont enfermés dans deux cellules [...] Ils disaient ‘si vous voulez, vous pouvez tous mourir. »
Le soir même du 27 décembre, les hommes ont été amenés au quartier général de la gendarmerie à Maroua et la plupart d’entre eux ont été enfermés dans deux pièces distinctes. La suite des événements a fait l’objet de vigoureuses contestations et le ministre de la Défense coordonne une enquête interne à ce sujet. Il est toutefois certain qu’au moins 25 personnes – mais peut-être beaucoup plus – sont mortes en détention cette nuit-là et on est sans nouvelles d’au moins 130 autres. À la suite de rumeurs circulant à Maroua et faisant état d’un grand nombre de morts au quartier général de la gendarmerie dans la nuit du 27 au 28 décembre, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC) a été le premier à dénoncer publiquement la mort de détenus qui, selon l’organisation, ont péri asphyxiés dans le local où ils étaient enfermés. Dans un communiqué de presse paru le 15 janvier 2015, le REDHAC estime qu’au moins 50 personnes sont mortes.
Le gouvernement a attendu le 13 mars 2015 pour reconnaître ces faits. Il a alors déclaré que 25 détenus étaient morts dans la nuit du 27 au 28 décembre 2014, au quartier général de la gendarmerie à Maroua. Lors d’une conférence de presse, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, a affirmé que seules 70 personnes, présumées membres de Boko Haram, avaient été arrêtées, dont 56 avaient été placées « dans un local aménagé pour la circonstance » au quartier général de la gendarmerie, car toutes les autres cellules étaient pleines.
Le ministre de la Communication a ajouté que le tri des personnes arrêtées devait être effectué le lendemain, mais qu’« au petit matin [...], en ouvrant le local [...], on a constaté que 25 [...] avaient perdu la vie. » Le ministre a conclu qu’un médecin a alors effectué des autopsies sur les dépouilles et qu’« aucun élément n’a permis de confirmer que ces personnes avaient été tuées de façon délibérée. »
Des témoignages de personnes présentes dans ces cellules improvisées au moment des faits semblent toutefois indiquer que le nombre de victimes pourrait être encore plus important. D’après ces personnes, les hommes avaient été placés dans deux pièces distinctes, chacune contenant au moins 100 détenus. Certains témoignages indiquent qu’un gaz a envahi l’une des deux pièces ; des détenus se sont mis à vomir et à saigner du nez, leurs yeux les brûlaient et ils avaient du mal à respirer. D’autres sources officielles ont également mentionné la présence d’une « substance toxique ». Les noms de plus de 140 personnes qui figureraient parmi les victimes ont été transmis à Amnesty International, mais l’organisation n’est pas en mesure de confirmer ou vérifier ces informations.
Amnesty International ne peut pas confirmer le nombre de personnes mortes de cette nuit-là à la gendarmerie ni la cause de leur mort. Cependant, les allégations sont suffisamment sérieuses et crédibles pour justifier la conduite d’une enquête indépendante, impartiale et rigoureuse afin d’établir la vérité.
Pourtant, près de neuf mois après les faits et malgré la conduite d’une enquête interne menée sous l’égide du ministère de la Défense, le gouvernement n’a toujours pas publié les noms des personnes mortes en détention, le lieu d’inhumation ou les causes de leur mort. Il semble que certains témoins oculaires essentiels, notamment des personnes détenues dans ces cellules et qui ont survécu, n’aient pas été entendus. Au moins 130 disparitions forcées
L’affirmation du gouvernement selon laquelle seulement 70 personnes avaient été arrêtées ne correspond pas aux éléments d’information recueillis par Amnesty International et présentés ci-dessus. Ces informations indiquent qu’au moins 200 personnes avaient été arrêtées à Magdeme et à Doublé le 27 décembre 2014, et placées en garde à vue. Même si l’on prend en compte les chiffres du gouvernement, selon lesquels 25 personnes sont mortes à la gendarmerie de Maroua, il reste au moins 175 personnes arrêtées à Magdeme et à Doublé dont on est sans nouvelles.
D’après toutes les sources en présence, les personnes enfermées à la gendarmerie ayant survécu avaient été transférées le lendemain matin à la prison centrale de Maroua. Amnesty International a visité la prison, s’est entretenue avec des détenus, a parlé avec des rescapés et a consulté le registre de la prison. Or ce registre ne mentionne que 45 personnes jamais transférées du quartier général de la gendarmerie, dont deux sont décédées ultérieurement en prison. Il manque donc 130 personnes, sans compter celles arrêtées dans des villages voisins.
Les familles de ceux qui ne se trouvent pas dans la prison aujourd’hui n’ont aucune information leur permettant de savoir si leurs proches sont toujours en vie. C’est par exemple le cas d’Amina Samba (nom modifié) :
« Ils ont pris tous les hommes et les ont fait monter dans plusieurs camions. Mon fils était parmi eux. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Il n’a que 17 ans, il ne connait rien de la vie, il n’est jamais sorti du village. Je suis venue à la prison de Maroua avec neuf autres femmes dont les proches ont été également arrêtés, mais je n’ai pas pu trouver mon fils, il a disparu. Parmi les femmes qui m’accompagnaient, seules trois ont retrouvé leurs proches, les autres continuent à chercher leur enfant, leur mari, leur oncle ou leur père. Aujourd’hui, il ne me reste que l’espoir de revoir un jour mon fils. »
Des familles ont expliqué à Amnesty International qu’elles avaient essayé de découvrir ce qui était arrivé à leurs proches mais beaucoup ne savent toujours pas où ils se trouvent. « Les soldats ont emmené Al Hadji, mon fils de 19 ans. Avant, il vendait des noix de cola dans le village de Magdeme et aux alentours. Il a été arrêté juste deux jours après avoir enfin reçu sa carte nationale d’identité. Ils l’ont mis dans un camion rempli d’hommes.
Le chef du village m’a dit qu’ils avaient tous été emmenés à la prison de Maroua donc quelques jours après l’opération, j’y suis allée mais je ne l’ai pas trouvé. J’y suis retourné plusieurs fois et j’ai demandé aux gardiens de la prison, mais rien. Ils [les gardiens de prison] m’ont dit que s’il n’était pas à la prison, cela signifiait qu’il avait été tué. Je ne sais pas où est mon fils, il a disparu, je garde encore l’espoir qu’il n’est pas mort mais je ne sais pas pour combien de temps. »
Une autre femme a déclaré à Amnesty International que des gardiens de la prison de Maroua avaient menacé de représailles certains membres des familles s’ils continuaient à chercher des informations sur leurs proches ; d’autres encore ont indiqué que des agents de la sécurité de la prison leur avaient demandé de l’argent pour pouvoir consulter le registre.
« Mon mari et mes deux fils ont été arrêtés à Magdeme. Je ne sais pas où ils sont. Je suis allée trois fois à la prison mais je n’ai plus d’argent pour y retourner car à chaque fois les agents de la sécurité me demandent de payer pour consulter le registre174. »
Le 8 juin 2015, Amnesty International a communiqué aux autorités la liste des personnes qui auraient été arrêtées le 27 décembre 2014, leur demandant d’informer l’organisation et les familles si un de ces hommes se trouvait dans un centre de détention à l’extérieur de Maroua, ce que les autorités ont jusqu’à présent démenti au cours de nos entretiens. Les faits décrits ci-dessus constituent des disparitions forcées.