Notre chroniqueur fait le portrait d’un pays divisé, au mieux laissé à l’abandon, au pire réprimé par un gouvernement illégitime et coupable.
Il y a bientôt un an, j’écrivais une chronique intitulée « Cameroun, le pays des exilés de l’intérieur ». J’y expliquais qu’une majorité de Camerounais, les exilés de l’intérieur, ne se reconnaissaient pas dans leur pays. J’y expliquais plus largement que cette aliénation illustrait le fait que nous sommes, pour paraphraser Régis Debray, un « tas » plutôt qu’un « tout ». Ce problème me semblait présenter un risque pour l’avenir du pays. Il faut croire que je ne m’étais pas trompé.
Les manifestations qui ont eu lieu le 21 novembre à Bamenda, dans la région Nord-Ouest, à l’initiative d’enseignants anglophones, rejoints rapidement par des magistrats et avocats, contre ce qu’ils perçoivent à juste titre comme une forme de colonisation culturelle orchestrée par le pouvoir francophone de Yaoundé, mettent en lumière la marginalisation particulière de nos compatriotes d’expression anglaise et donc l’absence de cohésion nationale, révélant à nouveau, s’il en était besoin, l’incompétence du gouvernement. C’est aussi parce que le sentiment d’un destin partagé avec les francophones n’existe pas dans le cœur des citoyens camerounais anglophones que ceux-ci tiennent à préserver leur langue. Et, en l’absence de projet national, c’est-à-dire de l’établissement d’un contrat social autour de valeurs partagées, il est logique que chaque communauté se replie sur ses particularismes – ici la préservation d’une langue, et au-delà d’une culture particulière.
« Elites » collabos
Le silence des Camerounais francophones confirme cette fracture identitaire. Non pas qu’entre francophones la cohésion soit de mise, loin de là, mais il faut croire que l’usage du français fédère, bon an mal an, des francophones dont le déficit d’empathie surprend. On s’interroge : à défaut d’avoir une identité commune, n’avons-nous pas en partage l’oppression et le mépris du régime de Paul Biya ? Peut-être nous, francophones, apprécions-nous inconsciemment d’être pour une fois dans la position du colon ?
Mais il est vrai que le Cameroun est le pays où rien n’est jamais assez grave. Après l’affaire Monique Koumaté et le déraillement d’Eseka, ce ne sont pas des images de jeunes étudiantes de la région de Buéa (Sud-Ouest) traînées dans la boue face contre terre par des voyous qui font office de policiers qui vont nous émouvoir. Leur crime impardonnable ? Avoir protesté pacifiquement contre des pénalités financières pour retard de paiement de leurs frais de scolarité. Ce qui est jugé suffisant pour qu’un gouvernement illégitime laisse une police indigne humilier et persécuter la jeunesse.
Ces images étaient d’autant plus vouées à se heurter au mur de notre indifférence qu’elles nous parvenaient en pleine CAN féminine de football. La chaîne CRTV tournait à plein régime et des « élites » collabos, considérant que l’image du pays a davantage de valeur que la réalité des Camerounais, reprochaient à nos concitoyens leur mauvais goût. Manifester pendant la CAN féminine ! Pensez donc… De toute façon, il n’en fallait pas tant pour détourner l’attention d’un peuple pour qui la religion du ballon permet de revenir, le temps d’un match, de cet exil de l’intérieur.
Autour d’un projet commun
La violence de la répression de toutes ces manifestations a surpris ici et là. Pourtant les forces de l’ordre, fidèles à la logique des régimes qu’elles servent, ont toujours été des forces d’oppression au Cameroun. C’est la raison pour laquelle, au plus fort de la « guerre » menée par l’armée camerounaise contre Boko Haram, le soutien important, quoique en partie instrumentalisé, dont elle bénéficiait de la part de la population m’a laissé songeur. Il me paraissait évident que « nos » soldats ne défendaient pas les Camerounais contre Boko Haram : ils assuraient la stabilité du régime. Nous étions les bénéficiaires indirects de leur action. Il en est de même de « notre » police, invisible pour lutter contre les grands bandits, mais omniprésente pour persécuter les petits étudiants.
La doxa veut que nous, Camerounais, serions frappés d’une passivité pathologique. L’insupportable nous serait supportable. Pourtant, il n’est guère besoin de remonter à la période coloniale pour démentir ce poncif. La jeunesse étudiante camerounaise, par exemple, a prouvé son courage (encore ces jours-ci) et exprimé sa soif de changement à de nombreuses reprises depuis une décennie. Mais elle est désespérément seule. Le Cameroun n’a pas mal à son peuple, il a mal à ses élites. Qu’elles soient politiques, culturelles ou économiques, elles préfèrent, dans le meilleur des cas, une vie de confort à une vie de courage. Dans le pire et le plus fréquent des cas, elles tournent le dos au peuple et collaborent avec le régime.
L’heure de la refondation du Cameroun sonnera. L’enjeu sera alors de rassembler les exilés de l’intérieur, qu’ils soient anglophones ou francophones, autour d’un projet commun, national. Sur ce point comme sur tous les autres, le régime de Paul Biya a lamentablement échoué.