Opinions of Friday, 23 December 2016

Auteur: Yves Mbella

Le DG de Camair-Co dans les serres des syndicalistes

Ernest Dikoum, DG de Camair-Co Ernest Dikoum, DG de Camair-Co

Ils multiplient les griefs contre Ernest Dikoum.

Dans l’après-midi du 14 décembre 2016, au 3e étage de l’immeuble La Rotonde à Akwa, le commandant Roger Mambingo, délégué du personnel du Syndicat national des pilotes et du personnel navigant du Cameroun (Spinac) et dix de ses collègues affichent une mine des mauvais jours. Ils viennent de conclure une rencontre avec le directeur général de Camair-Co, Ernest Dikoum, tout juste rentré d’une conférence internationale sur le transport aérien aux Bahamas dans les Iles Caïmans. La séance de travail, elle-même, fait suite à une première, tenue le 06 décembre 2016 et présidée par le directeur général adjoint, Moussa Habouba.

La mine des syndicalistes est liée à la mauvaise passe que traverse leur entreprise depuis des lustres au point où, conclure aujourd’hui que tous les indicateurs de sérénité sont au rouge serait même un doux euphémisme. La vérité est qu’il n’y a tout simplement plus d’indicateurs. «Le personnel est réduit à l’oisiveté, les aéronefs sont cloués au sol, les salaires sont incertains, nos collègues sont mis à retraite avec fracas, etc.», indique un employé de Camair-co

Pour le personnel de Camair-co, un certain nombre d’initiatives pris par le nouveau directeur général, Ernest Dikoum, est sujet à polémique. En premier lieu : la modification de l’organigramme de la compagnie. Le précédent organigramme avait été adopté au cours d’un conseil d’administration en octobre 2014. Arrimé sur le plan de relance de la compagnie qui ambitionnait alors une flotte de 14 avions, cet organigramme allait être par la suite enrichi des conseils par Boeing consulting. La firme américaine avait, en effet, proposé de transformer certains départements en direction, notamment ceux de la Formation, des Opérations aériennes et de la Sécurité entre autres.

Chamboulements

Aussitôt nommé à la tête de la compagnie aérienne, Ernest Dikoum va s’atteler à démanteler la structure de l’entreprise pour mieux l’adapter à sa politique managériale. Le département des Projets spéciaux et de la planification des investissements sera le tout premier à en faire les frais. Le chef de ce département et le chef de service du Leasing seront purement et simplement mis en complément d’effectif à la direction de la Maintenance. La direction générale de Camair-co s’étonne de ce que ce fait anodin suscite un intérêt chez les syndicalistes. «Un directeur général a été nommé. Il veut avoir des résultats et met en place sa politique, en quoi cela constitue-t-il un crime ? Je veux juste savoir », s’interroge un proche d’Ernest Dikoum.

Or pour les syndicalistes, cet épisode montre les stratagèmes de l’actuel Dg pour mettre en coupe réglée la boite. Selon eux, la suppression de ce département dont le travail consistait à assurer la transparence, voire une traçabilité certaine dans la location des aéronefs, les visites techniques, la révision des moteurs et autres projets d’importance, n’est pas anodine. «Un avion de 60 places a récemment été loué par la compagnie à FlyCaminter. En général, le coût de location d’un tel aéronef ne dépasse pas les 1750 dollars par bloc heure. Curieusement, ce petit porteur a été loué à 2900 euros, soit 3250 dollars par bloc heure !

La précédente équipe avait loué, il y a près de six mois, un B737-800 (180 places) à 2500 dollars par bloc heure. Pour nous, il est incompréhensible qu’un avion à hélice de 60 places puisse être loué plus cher qu’un B737. Cela peut se justifier, mais le contexte prête à confusion», indique une source autorisée. A la direction générale de Camair-co, ces soupçons sont balayés d’un violent revers de la main. «Quand bien même cela aurait été le cas, le marché de la location des aéronefs est dynamique et est soumis à la loi de l’offre et de la demande. Toutes les transactions financières à Camair-co se passent dans les règles de l’art», renseigne un proche du Dg de la compagnie nationale.

Tensions au sommet

En tout cas, le projet de location de deux aéronefs par le truchement d’une compagnie américaine, Jet Trading and Leasing, cristallise aussi les débats au sein de la compagnie aérienne nationale. C’est au cours d’une séance de travail avec les responsables des opérations et de la maintenance, que Ernest Dikoum a introduit cette société de négoce (Broker) en location d’avion en indiquant «qu’elle a été choisie par le gouvernement camerounais pour accompagner Camair-Co dans le cadre de renforcement de sa flotte».

C’est alors que des réserves ont été émises par des cadres de la direction technique de Camair-co sur la vétusté des appareils pour une compagnie en quête de leadership sur la façade atlantique. Les sceptiques avaient alors pris le cas d’un B737-800, vieux de 17 ans et qui avait déjà effectué plus de 60 000 heures de vol pour s’étonner des choix de leur patron. Sur le cas d’un autre avion, le B757, plusieurs employés de Camair-Co affirment aujourd’hui que le plan Boeing consulting suggère plutôt la transformation du B767 (le Dja) en cargo et non l’acquisition d’un vieux «congelé» volant.

Pour en rajouter à l’imbroglio, le président du conseil d’administration de Camair-Co, Oumarou Mefiro, a rappelé à son directeur général les procédures en matière de location des aéronefs. En réaction à une correspondance d’Ernest Dikoum datée du 25 novembre 2016, relative à la location de ces avions, le PCA a écrit ceci : « (…) il ne me revient pas en idée d’avoir discuté du problème de renforcement de la flotte avec vous (…) pour votre information, Camair-co étant une compagnie nationale, vous devez savoir que les membres du conseil d’administration sont comptables de toute initiative en matière de renforcement de la flotte (…), cela étant, je vous demande de sursoir à toutes initiatives de négociation des aéronefs sans l’avis formel du conseil d’administration (…) ».

Mais, c’est le cas des moteurs du B.767 le Dja qui fait actuellement jaser le personnel de Camair-Co. Il y a un peu plus d’un an, les deux moteurs du Dja étaient arrivés en fin de cycle. Il fallait donc les réparer. Le premier avait été déposé dans les ateliers d’Ethiopian Airlines et le second à Perpignan en France. Comme il est de coutume pour des marchés aussi faramineux (plus d’un milliard de FCFA), l’avis formel du Ministère des Marchés publics (Minmap) est capital pour déclencher une quelconque procédure.

C’est ainsi qu’au terme d’une consultation des différents ateliers internationaux spécialisés à travers notamment le département des Projets spéciaux, aujourd’hui démantelé, un tableau d’analyse comparative va aboutir au choix, validé par le ministère des Marchés publics, de l’atelier israélien IAI-BEDEK. L’entreprise israélienne est la moins-disante car elle propose de réparer le premier moteur à 1,495 milliard de FCFA et le second à 1,515 milliard de FCFA. Contrairement à Ethiopian Airlines qui propose 2,5 milliards et 2,7 milliards de FCFA, soit près de 2 milliards de FCFA de différence entre les deux offres.

La procédure et les compétences pour de telles transactions relevant du ministère des Marchés publics, le précédent top management avait sollicité et obtenu son autorisation pour engager les procédures de passation des marchés avec la société IAI-BEDEK. Le financement de cette opération étant pris en compte dans les 30 milliards du plan de relance, le précédent top management n’attendait que les mises à disposition de ces fonds pour finaliser la procédure auprès du Minmap et envoyer ces moteurs chez IAI-BEDEK.

Selon diverses sources, l’actuel directeur général se serait rapproché malgré tout d’Addis-Abeba. Instruction aurait d’ailleurs été donnée à la direction technique de Camair-Co d’expédier le moteur destiné aux ateliers de Perpignan à ceux d’Ethiopian à Addis-Abeba. Ainsi va Camair-Co.

Une compagnie aérienne en difficulté

Temps difficiles pour les passagers de la compagnie aérienne nationale qui ne savent plus à quel saint se vouer. Et pour cause : l’essentiel de la flotte est cloué au sol. Le B767 TJ-CAC ne peut plus voler à cause d’un défaut de logiciel de navigation (Navdata) et de panne du groupe électrogène de bord (Apu). Malgré de multiples dérogations accordées par l’Autorité aéronautique civile (CCAA), le régulateur a fini par se lasser. Pour sa part, le B737 QCA est toujours en Afrique du Sud. Quatre mois qu’il a été saisi. Le B737 QCB est en panne à Douala pour défaut de pièces de rechange tout comme les deux MA 60, à force de démonter l’un pour réparer l’autre. Même L’ATR loué aux conditions décriées a connu également des problèmes.

Pis, après la fermeture des agences de Paris, Lagos et Kinshasa, c’est désormais les escales de Malabo, Pointe Noire et les agences du Hilton à Yaoundé et de Bonamoussadi à Douala qui ont mis la clé sous le paillasson.