Opinions of Sunday, 30 April 2017

Auteur: Jean De Dieu Bidias

Le 'Made in Cameroon' entre réalité et bluff

Assommée par la crise économique du milieu des années 1980 et l’invasion du marché par la friperie et la brocante européennes, l’industrie camerounaise tente un rebond avec l’installation des entreprises étrangères.

La production des biens comme les parapluies, les balais, les assiettes, les cure-dents, etc., soutient Dieudonné Essomba, « est parfaitement » dans les capacités du Cameroun. « Lorsque nous sacrifions notre marché des biens d’usage courant pour une mondialisation mal comprise, nous tournons le dos au développement », explique l’ingénieur statisticien et économiste. Pour ce dernier, il est d'une nécessité vitale et absolument non-négociable que le Cameroun réimplante sur son sol une manufacture des biens d’usage courant. Et cela doit se faire à tous les prix et par tous les moyens.

Car, poursuit cet ancien cadre du ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire aujourd’hui à la retraite, « une telle manufacture a l'avantage d'évoluer avec le marché, de stabiliser des emplois qui grandissent avec l'économie et, surtout, de maîtriser les déficits extérieurs. On ne peut jamais bouger si tous les revenus gagnés par les Camerounais sortent massivement en une monstrueuse hémorragie de devises, parce que nous n'avons pas une industrie locale qui en retient au moins une bonne partie ».

Dieudonné Essomba est, en effet, comme la plupart des Camerounais de sa génération, nostalgique de la période allant du milieu des années 1970 au début de la décennie 1980. Période pendant laquelle le Cameroun réalisait des taux de croissance parmi les plus robustes en Afrique. Entre 7 et 8 %. On comptait alors une industrie manufacturière et des biens d’équipements en pleine expansion, avec notamment des entreprises comme la Fabrication des appareils électroménagers (Faem), implantée à Douala.

Créée en 1979 par l’homme d’affaires camerounais James Onobiono en vue de combattre les marques étrangères dont les prix étaient exorbitants, celle-ci fabriquait des réfrigérateurs de bonne qualité « made in Cameroon ». Autre entreprise créée par un Camerounais et qui aura fortement limité les importations des bicyclettes, c’est Cycles du Cameroun, qui fabriquait des vélos. La fabuleuse histoire du « Made in Cameroon » se poursuit avec la naissance à Maroua, en 1987, de la Nouvelle tannerie du Cameroun (Notacam), bien des années après la Tannerie industrielle du Cameroun (Tanicam).

Ces deux unités et bien d’autres implantées dans la partie septentrionale du Cameroun confectionnaient de manière industrielle et à base de cuir et de peaux d’animaux, des sacs, des chaussures et autres accessoires de mode hautement compétitifs. « Une petite évaluation montre que si le Cameroun contrôlait la production des biens qu'il produisait en 1975, nous aurions plus de 3 millions d'emplois supplémentaires rémunérés à 250.000 F Cfa. Mais regardez ! Lorsque nous sacrifions notre marché des biens d’usage courant pour une mondialisation mal comprise, nous tournons le dos au développement », regrette Dieudonné Essomba.

Parallèlement aux initiatives privées s’était développée une forte agro-industrie qui ne favorisait pas l’importation massive des produits agroalimentaires manufacturés. Le « Made in Cameroon » entame sa descente aux enfers quand survient la crise économique du milieu des années 1980, laquelle crise affaiblit considérablement le pouvoir d’achat des ménages camerounais.

Et cette situation ne sera pas sans conséquences sur les habitudes de consommation des Camerounais, face à l’envahissement du marché par la friperie et la brocante en provenance de l’Europe. Les marques camerounaises perdront ainsi tout avantage comparatif par rapport à ces produits bon marché. Signe probable d’une prise de conscience, le Cameroun a élaboré en janvier un plan directeur d’industrialisation qui priorise l’agro-industrie, l’énergie et le numérique.