Opinions of Wednesday, 12 October 2022

Auteur: William Bayiha

'Le fédéralisme communautaire est un contrat social pour des Camerounais matures'

Cabral LMibii est l'auteur du livre sur le Fédéralisme communautaire Cabral LMibii est l'auteur du livre sur le Fédéralisme communautaire

Pour le Dr William Bayiha, le fédéralisme communautaire est une chance pour le Cameroun, de sortir des débats sur l'ethnie et de poser les bases d'un réel développement. Avec des exemples très terre-à-terre, il le démontre dans la tribune ci-dessous.


"Selon le Larousse, l'ethnie est un «groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l'unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe».

Tout anthropologue sait qu'il s'agit d'une définition lacunaire du fait de sa brièveté. Cependant, elle essaie, en une phrase, de ramener la notion d'ethnie à des éléments qui permettent de distinguer une ethnie A d'une ethnie B.

Cette définition, selon une conception trop répandue, du sens commun anthropologique, insiste beaucoup sur les aspects qui sont perçus comme des différences et pas assez sur les catégories qui rapprocheraient les entités ethniques dans le projet de construire une société multi-ethnique qui s'assume.
Dans ce modeste post, je voudrais attirer l'attention sur ce que produit un changement de conception du monde. Que se passe-t-il si l'on décide de considérer l'ethnie comme facteur d'unité et, en plus, de cohésion ?

Réfléchissons ensemble à travers des cas qui existent dans notre société.
Prenons une femme née dans l'ethnie A et qui va en mariage dans l'ethnie B dans un ménage heureux. De quelle ethnie est-elle ? De quelle ethnie est son mari et que peut-on dire de ses enfants ?

Deuxième exemple. Soit un homme qui, pour une raison ou pour une autre décide de quitter l'ethnie où il est né, sa communauté A pour aller s'installer de son plein gré dans une communauté B, sans garder aucun lien avec sa communauté d'origine ; mais en se fondant dans les éléments distinctifs de sa communauté d'accueil, de quelle communauté ethnique est-il ?

Dernier exemple qu'advient-il de ce même homme ou de la première femme qui arrive dans l'ethnie B et qui continue à se considérer comme A i.e. qui continue à cultiver la différence sans jamais parler la langue, respecter les coutumes et sans cultiver une conscience de groupe ?

La réponse aux questions à ces trois cas peut être résumée de la manière suivante : il y a une part de donné et une part d'acquis dans l'ethnie. En d'autres termes, on peut toujours changer son ethnie en fonction de ses propres intérêts moyennant quelques sacrifices.

Chacun d'entre nous, en naissant s'organise pour s'ancrer ou pour se dégager d'une identité ethnique. Dans tous les cas, il n'y a rien d'essentiel dans l'ethnie au sens d'une ontologie de l'immuable et de l'éternel.
Je peux décider de ne plus être Bassa'a si je renonce à tout ce qui fait qu'un Bassa'a soit Bassa'a et que j'accepte de me plier aux obligations qui incombent généralement aux Bafia avec tout ce que cela comporte comme difficultés d'apprentissage et de distinction par rapport aux Bassa'a.

Je peux tout aussi faire le choix d'être Bassa'a ET Bafia aussi longtemps que je ne tombe pas dans le piège des incompatibilités irréconciliables ou du mélange de genres qui voudraient que mon identité Bassa'a m'amène à manger la tortue à Bafia au milieu des Bafia pour qui cet animal est un totem. Même pour un Bafia né et demeuré Bafia ce serait impardonnable.

Seulement, ce qu'on voit partout ce sont des Bassa'a à Bafia qui décident de rester des Bassa'a même quand ils ont passé 40 ans chez les Bafia et s'étonnent d'être qualifiés d'étrangers.

On aura compris que quand je parle de moi, je parle de tous.
Eboussi Boulaga disait qu'il serait inexact de dire qu'on est Camerounais point.
Cela signifie qu'on a toujours déjà un ancrage ethnique qu'on a finalement fatalement choisi, bien souvent avant d'être Camerounais.

Le fédéralisme communautaire que nous prônons voudrait que cet ancrage soit institutionnalisé i.e. reconnu en termes de droits et de devoirs afin de sécuriser la fluidité : ceux qui circulent et ceux qui sont ancrés.
Certains feignent d'y voir une volonté de diviser les Camerounais. Pour ma part, c'est la manière la plus sûre des les unir de manière cohérente i.e de passer du vivre ensemble au vivre en harmonie.

Car si le programme d'un État communautaire était appliqué de manière radicale, une ethnie comme les Duala, que l'on considère aujourd'hui comme ultraminoritaire à Douala même, serait parmi les ethnies les plus dynamiques du pays, y compris en termes démographiques ; à force d'intégrer de manière fluide, chaque jour, des milliers de nouveaux membres décidés à être des Duala comme les autres.

On comprend dès lors que le fédéralisme communautaire est un contrat social pour des Camerounais matures, à distance d'un universalisme naïf qui ne saurait profiter à personne ; sinon aux agents de la division qui fabriquent des boucs émissaires virtuels, des vâches à lait fantasmagoriques, des intelligences héréditaires et éternelles et consolident une conception ahistorique des migrations où les peuples ne se renouvellent plus des apports du sang neuf qui est l'élément central de tout projet de migration du point de vue de celui qui accueille".