« Un jour un jeune est arrivé ici pour choisir une femme, et il m’a choisie moi. Et puis je suis tombé enceinte », explique Lucia Felix, 15 ans, sous le manguier situé à proximité de sa maison à Jangamo, dans le sud du Mozambique.
Fléau des sociétés traditionnelles africaines, le mariage des enfants fera l’objet d’un premier colloque de l’Union africaine le 26 et 27 novembre à Lusaka, en Zambie, en présence des ministres de l’UA et de représentants d’ONG et d’agences de l’ONU. Lucia en est à son huitième mois de grossesse et revient de chez le médecin. Elle a contracté le paludisme, et se plaint de douleurs dans le ventre qui ressemblent à des contractions. Sa mère, Zaida Zunguze, assise sur la natte à côté d’elle, est préoccupée. Si elle a accepté dans un premier temps que le jeune Velasco épouse Lucia, elle a néanmoins demandé à ce qu’ils attendent que Lucia ait 18 ans pour se marier.
Mais depuis que Lucia est enceinte, le père de Velasco – un guérisseur traditionnel dont Zaida se méfie – insiste pour que Lucia accouche chez lui. Elle deviendrait de fait femme au foyer.
« C’est encore une enfant, elle ne sait rien. Je veux continuer à lui enseigner comment s’occuper du foyer », explique Zaida.
Le mariage est légal à partir de 18 ans au Mozambique, ou 16 ans lorsque les parents donnent leur consentement. Mais beaucoup de filles se retrouvent mariées traditionnellement avant leur majorité, voire avant 15 ans, pour 14,3% d’entre elles, selon le dernier recensement mené en 2011. « Ici le concept de l’enfant est différent. Dès qu’il montre les premiers signes physiques de puberté, il est déjà considéré comme un adulte », explique Pascoa Ferrao, la directrice des services provinciaux d’action sociale, à Inhambane (sud), le chef-lieu de la province.
« Filles, pas épouses »
La principale cause des mariages précoces dans la région est la grossesse à l’adolescence, estime la directrice. Interrogée sur la contraception, Cidalia Daniel, 17 ans, reste évasive. Son fils, Eclercio, a 10 mois. « Maintenant, j’ai la pilule. C’est l’hôpital qui me l’a donnée », explique-t-elle, oscillant entre sourires et timidité.
Cidalia a arrêté l’école en 4e parce que son père ne voulait plus lui payer ses cahiers. Alors elle s’est mise à fréquenter un garçon plus âgé, et est partir vivre chez lui après un mariage traditionnel.
Mais lorsqu’elle est tombée enceinte, le garçon, qui la battait régulièrement, est parti vivre en Afrique du Sud, où beaucoup de Mozambicains partent travailler, le plus souvent dans les mines d’or ou de charbon. Depuis, Cidalia refuse de le voir, et est retournée vivre chez sa mère et son beau-père. « Avec ma grossesse, j’ai perdu mon emploi. Les patrons n’aiment pas ça », dit-elle, en attrapant son fils pour l’allaiter.
D’après la coalition d’ONG « Filles, pas épouses », les filles qui se marient mineures sont plus exposées au sida, aux violences domestiques et à la malnutrition. Elles sont également moins éduquées et leurs opportunités économiques sont moindres. Plus généralement, d’après l’Unicef, si 87 % des filles au Mozambique sont inscrites à l’école primaire, elles ne sont que 17% à fréquenter le collège.
Cidalia compte reprendre l’école à la rentrée de février prochain. Mais son beau-père, qui la fait vivre, ne semble pas complètement convaincu. « C’est cher, si seulement vous pouviez m’aider un peu », demande Vicente Nhanale à Ana Machaieie, de l’Unicef Mozambique.
« Pour payer les dettes »
Par chance, ils habitent tout près du poste administratif où l’action sociale pourra les aider pour l’inscription de Cidalia, et peut-être lui donner une bourse. Mais à l’échelle de toute la province, il n’y a que 14 assistants sociaux. En 2007, l’Etat a donc créé des comités communautaires pour prendre le relais. La sensibilisation autour du mariage des mineurs gagne du terrain, estime cependant Mme Ferrao. « On constate moins de mariages intergénérationnels », dit-elle.
Même si, selon elle, « on a également les cas de parents qui donnent leur fille au guérisseur traditionnel pour payer leurs dettes, et avec le poids des traditions et la pauvreté, c’est moins évident à combattre ». Elle espère que les discussions de l’UA à Lusaka s’orienteront vers le renforcement de la législation.
Epouser un mineur ou marier son enfant n’est pas répréhensible pénalement au Mozambique. Et jusqu’à la modification du code pénal survenue en 2014, un violeur pouvait épouser sa victime pour éviter la prison.