Le rapport de l’International Crisis Group (ICG) intitulé Cameroun : la menace du radicalisme religieux et publié ce 3 septembre 2015 vient à point nommé avec la recrudescence des attaques de Boko Haram contre le Cameroun depuis mars 2014.
pendant, l’utilisation d’une approche méthodologique englobant chrétiens pentecôtistes revivalistes, musulmans wahhabites et radicalisés violents de Boko Haram a dilué l’analyse, étouffant ainsi sa capacité de projection.
Lorsqu’on parcourt le document, il devient difficile de cerner la problématique centrale. Cela va dans tous les sens et les contradictions sont légions. Par exemple, le rapport constate qu’il existe des « clivages intra-religieux » dans le christianisme et l’islam camerounais mais recommande tout de même la mise en place de nouvelles formes de « dialogue inter-religieux ».
De plus, le rapport expose les techniques du prosélytisme wahhabite grassement financé par le « gouvernement saoudien et des fondations et ONG qataries, koweitiennes et égyptiennes » mais omet d’analyser les techniques du prosélytisme des églises revivalistes. Une analyse saillante aurait démontré que les églises revivalistes sont en grande majorité issues du tissu religieux local et donc en majorité financé par des adeptes qui se recrutent en majorité dans les plus basses couches de la pyramide sociale en quête de miracles. Ces canaux de financement divergents suffisent à disqualifier une analyse simultanée de l’islamisme radical et du christianisme revivaliste.
Le modèle économique des églises et leurs liens avec les élites politiques locales témoignent de l’intérêt qu’elles ont à la stabilité du Cameroun. Le rapport illustre par exemple que l’église du pasteur Tsala Essomba « en plus d’avoir fait campagne pour Biya » avait lancé une initiative de caisse commune devant servir à « servir à financer les projets figurant dans le programme de campagne de Paul Biya. » Cela me semble être une preuve que ces églises, quoique « radicales » ne versent pas dans l’extrémisme violent mais aspirent plutôt au maintien du régime politique actuel dans l’optique de sécuriser leurs sources de financement. Elles ne devraient donc pas faire l’objet d’une étude croisée avec le rigorisme islamique issu du wahhabisme importé.
On se trouve donc là face à une contradiction suffisamment puissante pour invalider l’hypothèse de recherche qui a orienté l’écriture de ce document.
Le rapport reconnaît que « les musulmans du Cameroun ont condamné Boko Haram, qu’ils considèrent comme une secte non islamique qui n’a rien à voir avec le Coran » et que les imams et les chefs traditionnels musulmans collaborent le plus souvent avec les forces de sécurité. Il propose également que la sécurité des chefs traditionnels musulmans soit renforcée, afin qu’ils puissent fournir de l’intelligence aux autorités administratives sans crainte de représailles de Boko Haram. Cet argument est un signe clair que la pratique de l’islam au Cameroun et même l’existence du courant rigoriste wahhabite ne tolère ni ne soutient la secte Boko Haram.
Au lieu de verser dans un amalgame contre-productif, le rapport de l’ICG aurait pu approfondir la réflexion sur les dangers qui guettent le pays. Il aurait été utile de porter l’analyse sur :
les processus de radicalisation individuels et collectifs dans l’Islam au Cameroun et surtout le passage du radicalisme au terrorisme violent matérialisé par Boko Haram.
les limites du système de collection de renseignements au Cameroun. Opérant généralement en silos, les services de sécurité, au Cameroun, ont un rendement sous optimal ; ceci crée des lacunes importantes dans le renseignement que Boko Haram pourrait exploiter à son avantage.
la transformation graduelle de l’armée camerounaise et de sa perception. D’instrument de protection du régime, elle devient progressivement le garant de la sécurité du peuple. Cette problématique est essentielle pour appréhender les mutations en cours depuis les premières attaques de Boko Haram, aussi bien dans l’armée conventionnelle que les forces spéciales (le BIRR). Plus que l’assemblée nationale ou le sénat, l’armée est désormais perçue comme la seule institution crédible et légitime.
Malgré la mine d’information et de données primaires qu’il pourvoie, le rapport de l’ICG sur-interprète le foisonnement religieux au Cameroun en se trompant de problématique. L’amalgame entre le radicalisme religieux dans les églises pentecôtistes, l’Islamisme extrémiste et le terrorisme violent de Boko Haram est le fruit d’une hypothèse mal alignée et d’une argumentation stérile qui noie de fait sa capacité de projection dans les recommandations disjointes que le rapport formule.
ICG aurait dû observer que le pentecôtisme et l’islam fondamentaliste évoluent dans des mondes à part en termes de modèle économique, de schéma de radicalisation et de basculement dans la violence. Les églises pentecôtistes sont ancrées dans l’écosystème domestique et leur modèle économique renforce le status quo politique et social plutôt qu’une transformation puritaniste prônée par l’islam wahhabite ou le sectarisme violent de Boko Haram.
Le Cameroun traverse une des périodes les plus turbulentes de son histoire. Il serait donc judicieux que l’ICG utilise sa crédibilité pour produire des analyses permettant au gouvernement et à ses partenaires d’orienter leurs actions pour éradiquer les menaces à la paix et la sécurité.
Kodjo Tchioffo est analyste politique, doctorant a l’université de Leipzig, et Chief Knowledge Management Officer à l’Union africaine