Opinions of Wednesday, 1 March 2023

Auteur: www.camerounweb.com

Le temps de l'introspection sur la pratique journalistique : Questionnement autour du journalisme en commandite (acte 2)

Serge Aimé Bikoi Serge Aimé Bikoi

La première partie de l'autocritique épistémologique sur la pratique journalistique au Cameroun a consisté à focaliser l'attention sur le journalisme de listes, vecteur de chantage, de manipulation, d'acharnement et de dénigrement. Aujourd'hui, la deuxième étape de ce travail d'introspection consiste à tabler sur le journalisme en commandite. Le journalisme en commandite est gouverné par les patrons, les employeurs et les lobbies. Le journalisme en commandite est régi par une constellation d'intérêts des patrons de presse, qui instrumentalisent des journalistes pour commettre des papiers à charge, des articles de presse au vitriol ou des pamphlets contre certaines personnalités publiques/politiques. Derrière un journal, une station de radio ou une chaîne de télévision donnée, se cache une personnalité publique/politique ou un opérateur économique, qui est le bailleur de fonds. C'est ce bailleur de fonds tantôt visible, tantôt masqué qui paye, qui finance et qui commande. Nous sommes ici dans la logique : qui paye finance ! Et qui finance commande! Cette logique capitaliste, voire mercantiliste qui secrète le postulat ci-après : pas d'intérêt pas d'action(Pipa).

Parce que nous sommes embarqués dans des organisations, dans des entreprises de presse régulées par des lobbies, nous sommes incapables de fournir un travail objectif, neutre et impartial. Parce que nous sommes sous la botte des employeurs de presse, qui dictent tout, régentent tout, contrôlent tout, financent tout et commandent tout, nous sommes insusceptibles de nous autogérer et de nous autodéterminer. Parce que nous sommes dans un environnement social qui ne juge pas opportun de mettre les journalistes dans les conditions de mener leur besogne de manière décente, honorable et responsable, nous ployons sous le poids de la précarité existentielle de manière à être influençables, manipulables et corvéables au quotidien. Parce que des patrons de presse, les personnalités publiques-bailleurs de fonds et des lobbies divers nous tiennent et nous prennent en tenaille avec les cordons de la bourse pour produire des papiers en commandite parfois risqués, voire périlleux, nous sommes incapables d'inscrire la parole publique dans une écologie vertueuse de production de la vérité. Nous sommes incapables d'établir, dans l'arène sociale, le statut social de la vérité. Qui sommes-nous en réalité chers journalistes et employeurs de presse? Des lèche-bottes, des dindons de la farce, des laquais et des valets affamés et pauperisés par des patrons de presse ripoux qui s'engraissent avec leurs bailleurs de fonds qui roulent carrosse, qui construisent des villas cossues, qui entretiennent des maîtresses et qui investissent dans plusieurs actions de développement inconnues du grand public.

****** Énoncé de quelques cas illustratifs du journalisme en commandite

Dans des rédactions, vous avez ce que les rédacteurs-en-chefs appellent "papier de souveraineté". C'est un papier commandé soit par le rédacteur-en-chef sur haute instruction de la hiérarchie, soit commandé par l'employeur qui dicte la méthode rédactionnelle, le contenu et les éléments de langage à intégrer dans ce papier. A titre illustratif, chaque fois que l'Institut universitaire siantou (Ius), dont le promoteur est patron de la Radio tiemeni siantou (Rts), organise un événement, à l'instar de la 8ème édition du Festival universitaire des arts et de la culture (Unifac), tous les papiers de la rédaction centrale sont des papiers de souveraineté et, par corollaire, des papiers en commandite. A ce giron, la chaîne des majors ne fait plus dans l'information, mais plutôt dans la communication tant il faut polir l'image de marque de cet Institut privé de l'enseignement supérieur(Ipes).

Dans d'autres rédactions, vous avez des patrons de presse qui sont, parallèlement, acteurs politiques. Chaque fois qu'un patron de presse qui plus est homme politique est en déplacement pour tenir un meeting, la rédaction centrale est contrainte de déployer une équipe de reportage pour couvrir l'entièreté des activités de son patron. La diffusion de ce ou de ces reportages est faite avec une certaine diligence et avec une certaine amplification. Sur ces entrefaites, le timing d'une minute trente secondes n'est plus respecté tant il avoisine 3, 4, voire 5 minutes. Pourquoi ? Parce que c'est un papier de souveraineté et, partant, un papier en commandite. Nous ne sommes plus, ici, dans le registre informatif, mais fort au contraire dans le registre communicatif.

Dans des organes de presse écrite, vous avez régulièrement des papiers en commandite qui sont des papiers à charge faits contre certaines personnalités publiques. Ceci se vérifie à travers la titraille, dont le contenu est tendancieux, vindicatif, insultant et diffamant. Exemples : "Scandale lié à la gestion de la redevance audiovisuelle/Voici pourquoi René Emmanuel Sadi ira en prison !"; "Issa Tchiroma Bakary au cœur de la mafia liée à la gestion de la TNT" "Meeting politique du Rdpc à Bafoussam/ L'Ouest tourne le dos à Maurice Kamto.", "Mal gouvernance de l'Agence de la normalisation et de la qualité/ Boto'o A Ngon est un prisonnier ambulant..."etc.

A la lumière de ces titres à charge, des journalistes, mieux des patrons de presse jouent le rôle de censeur, en devenant des juges qui clament haut et fort que tel ou tel doit aller en prison ou, du moins, qu'il est prisonnier ambulant. Dans les prochains jours, nous allons illustrer ces papiers en commandite en sport, en culture, en politique, ainsi que dans des débats audiovisuels du week-end.

Serge Aimé Bikoi