Quand j’analyse le niveau élevé de cristallisation de la crise anglophone en cours, je réalise que le vol de la victoire de Ni John Fru Ndi à l’élection présidentielle de 1992 était la plus grosse erreur historique commise par le régime Rdpc. Sans ce hold-up électoral, cette crise n'aurait jamais vu le jour.
En effet, il faut reconnaître qu'avant 1972, il y avait un Cameroun avec deux États fédérés, deux systèmes de gouvernement, deux polices, deux systèmes éducatifs, deux systèmes judiciaires, etc., exactement comme dans tous les pays fédéraux. En noyant au forceps la fédération en raison de la découverte du pétrole de Limbé, il fallait absolument trouver des mesures compensatoires, comme le développement effectif des provinces anglophones, par exemple, avec une bonne partie des revenus du pétrole.
Mais la gloutonnerie du régime et le peu d'importance qu'il accorde au développement ont finalement convaincu les Anglophones de ce qu'ils s'étaient fait prendre au piège par Yaoundé. D'où leur détermination à revenir au statut fédéral d'avant 1972.
Or, s'il y avait au moins alternance régulière à la tête de l'État à Yaoundé, un Anglophone, comme tout autre Camerounais de toute autre culture, aurait logiquement espéré un jour accéder, lui aussi, au pouvoir, et les citoyens des régions du nord-ouest et du sud-ouest se seraient sentis appartenir véritablement à ce pays.
On peut donc dire, sur ce point, que la candidature de Ni John Fru Ndi comme chef de la coalition de l'opposition en 1992 avait satisfait cette attente. Le vol de sa victoire, suivi de sa mise en résidence surveillée par l'armée, avait donc finalement convaincu les Anglophones de ce qu'ils n'avaient plus leur place dans La République du Cameroun (dénomination qui est pire que celle de La République unie du Cameroun).
L'heure est désormais d'autant plus grave qu’il est pratiquement impossible d’ôter de la conscience des concitoyens anglophones le sentiment d’avoir été trompés et le dégoût qu’ils ont de la gestion calamiteuse des ressources naturelles et humaines du pays par le pouvoir en place. Si les institutions de la république ne sont pas remaniées en profondeur dans le sens d'un fédéralisme à deux, quatre ou dix États ou d'une décentralisation franche et prononcée avec, comme cerise sur le gâteau, des mécanismes efficaces et définitifs d'alternance au pouvoir, le Cameroun ne sortira plus jamais debout de cette crise.
Dans cette perspective, les gages de cette alternance doivent être donnés le plus tôt par le président, Paul Biya, afin de raffermir l’unité nationale et redonner l’espoir non seulement aux Anglophones, mais aussi aux Francophones qui partagent avec eux les mêmes misères.