Le Cameroun et la Guinée Equatoriale sont deux Etats voisins de l’Afrique Centrale, dont les peuples entretiennent des rapports teintés à la fois d’attirance et de répulsion, selon les moments de l’histoire.
Ce type de liens remonte à l’époque coloniale alors que l’île de Fernando-Po était sous la domination espagnole. C’est une histoire des migrations entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale, revisitée par le chercheur camerounais, Delmas Tsafack.
Delmas Tsafack vous êtes spécialiste de l’histoire politique et internationale du Cameroun, de la politique régionale, de l’intégration régionale et de la politique étrangère des petits États. Selon vos recherches, l’immigration des Camerounais en Guinée Equatoriale a commencé bien avant la découverte du pétrole dans ce petit Etat il y a 20 ans. Quelles sont les origines de ces flux migratoires ?
L’histoire des relations internationales entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale est très mal connue par les Camerounais. La migration des Camerounais vers la Guinée Équatoriale remonte au 20ème siècle, contrairement à l’opinion selon laquelle c’est la découverte du pétrole qui les a attirés vers ce petit État. Cette migration s’inscrivait dans le cadre du commerce illicite et de la recherche de la main d’œuvre pour Fernando-Po. Les migrations s’accélérèrent avec la Première Guerre mondiale, lorsque l’Allemagne perdit le conflit. Au lendemain de la défaite allemande, des milliers de Camerounais attachés à la cause allemande migrèrent vers la Guinée Équatoriale, particulièrement au Rio Muni. Le séjour de ces réfugiés camerounais en Guinée Équatoriale avait inauguré une nouvelle ère de la migration des Camerounais vers cette colonie espagnole. Entre 1916 et 1917, la Guinée Espagnole recueillit quelques 65 000 Camerounais (soldats et civils), ainsi que des Allemands. Ils y sont réfugiés au moment de la défaite. Les Camerounais civils furent implantés sur la côte ouest de Fernando-Po à Pequenos-Bokoko.
Dès l’époque coloniale, qu’est-ce qui attire les Camerounais dans ce petit territoire qui a été longtemps classé parmi les plus pauvres au monde ?
Je veux d’abord rectifier quelque chose. À l’époque coloniale, la Guinée Espagnole n’était pas un pays pauvre. C’était l’un des territoires d’outre-mer les plus riches puisque grand vivier agricole. C’était l’une des mamelles nourricières de sa métropole, l’Espagne. Le pays est devenu pauvre aux lendemains de l’indépendance en 1968 sous la dictature de Macias Nguéma.
« En 1884, elle fut décrite comme la « perle du Golfe de Guinée » et au cours des années 1960 comme « la Suisse de l’Afrique ». Les plantations de cacao, de café et de palmier à huile absorbaient la main d’œuvre. »
Au sujet de la cause de l’émigration des Camerounais vers la Guinée Espagnole, je peux dire que le recrutement intensif de la main d’œuvre forcée, la réclamation de prestations et l’impôt de capitation ont contraint des Camerounais à se réfugier en Guinée Espagnole où il n’existait pas, selon eux, ces tracasseries. Sur cette question, Liniger-Goumaz nous apprend que la mère de Macías Nguéma appartenait au clan Fang Obuk. Son père et sa mère (Pedro Mez-m-Nguema Biyogo et Emilia Negue Ndong) étaient des Gabonais établis initialement au Woleu Ntem, mais ayant quitté le Gabon pour échapper aux impôts de capitation. Les populations des zones frontalières qui étaient rétifs au travail forcé au Cameroun français émigraient volontiers en Guinée Espagnole.
Cette migration était aussi favorisée par une politique espagnole d’immigration incitative. À cette période, une propagande répandue au Cameroun présentait Santa Isabel (Malabo) comme le pays des Blancs où on gagnait de l’argent et où on se procurait facilement des produits européens. Les migrations des Camerounais vers la Guinée Espagnole étaient favorisées par la faiblesse démographique de cette dernière. Cette faiblesse démographique aurait amené les Espagnols à recruter de la main d’œuvre étrangère. La migration des Camerounais vers la Guinée Espagnole peut s’expliquer par la mise en valeur du Rio Muni et de Fernando-Po. C’est à travers la culture du cacao et du café que la Guinée Espagnole se distingua du point de vue économique. En 1884, elle fut décrite comme la « perle du Golfe de Guinée » et au cours des années 1960 comme « la Suisse de l’Afrique ».
Les plantations de cacao, de café et de palmier à huile absorbaient la main d’œuvre. La prospérité des plantations coloniales était soutenue à 80% par une main-d’œuvre étrangère. En 1932, l’on dénombrait environ 15 000 travailleurs employés dans l’île de Fernando-Po et le tiers était renouvelé chaque année. Toute cette main d’œuvre étant importée de l’Afrique de l’Ouest et des colonies voisines de la Guinée Espagnole, le Cameroun constituait un terreau favorable de son recrutement. En effet, « confrontés au refus des Fang et des Bubi de travailler dans les plantations, les Espagnols durent faire appel aux Sierra-Léonais, Libériens, Nigérians et Camerounais ». Des conventions de transfert de main d’œuvre furent donc signées entre les Espagnols et les pays voisins.
« Le pétrole étant ce que l’agriculture était à l’économie de la Guinée Espagnole, sa chute a provoqué des problèmes économiques en Guinée Équatoriale d’où la baisse du flux des migrations camerounaises vers la Guinée Équatoriale »
Vous observez que les flux des Camerounais vers la Guinée Équatoriale sont en baisse aujourd’hui. Vous affirmez que ces mouvements migratoires n’ont jamais été constants, mais ont toujours évolué en dents de scie. Pourquoi ?
La baisse du flux des Camerounais vers la Guinée Équatoriale est juste une répétition de l’histoire. La Guerre civile qui éclate en Espagne 1936 eut un impact sur la migration des Camerounais vers la colonie espagnole. Éclatée en juillet 1936, la Guerre civile espagnole atteint la Guinée en septembre de la même année. Elle dura deux mois et resta circonscrite au Rio Muni.
Cette guerre provoqua un afflux massif des réfugiés de la Guinée continentale vers les possessions françaises du Cameroun. Elle ralentit à cet effet le déplacement des Camerounais vers la Guinée Espagnole. À la guerre civile s’ajouta la crise économique qui frappa l’Espagne et sa colonie du Golfe de Guinée provoquant l’inflation et la dévaluation de plus de 100% de la peseta, monnaie espagnole et de sa colonie. Cette situation diminua le pouvoir d’achat de la population de la Guinée Espagnole qui eut un impact sur les économies des migrants camerounais. La crise économique découragea les candidats à l’exode vers la Guinée Espagnole et permit le retour de certains émigrés.
Lorsque le pétrole a été découvert en Guinée Équatoriale au début des années 90, le visage économique du pays a considérablement changé et cela a permis au Camerounais de retourner dans ce pays. L’on a assisté à un flux massif des Camerounais vers la Guinée Équatoriale de façon clandestine ou légale. Donc les mêmes causes qui ont été à l’origine du déplacement des Camerounais vers la Guinée Espagnole se sont reproduites au début des années 90 et les mêmes effets ont suivi. Pourquoi je parle de dents de scie ? Puisque lorsqu’il y a eu la chute de l’économie agricole et l’avènement de l’insécurité dans ce pays dans les années 70 et 80, les Camerounais y résidant sont rentrés au pays et l’on a enregistré moins d’émigration des Camerounais vers la Guinée Équatoriale.
Aujourd’hui, nous observons la même situation avec la chute des prix du baril sur le marché international. Le pétrole étant ce que l’agriculture était à l’économie de la Guinée Espagnole, sa chute a provoqué des problèmes économiques en Guinée Équatoriale d’où la baisse du flux des migrations camerounaises vers la Guinée Équatoriale.
Depuis les premiers flux migratoires, l’accueil des Camerounais en Guinée Équatoriale a-t-il aussi évolué ?
Il faut noter que le départ des Camerounais vers la Guinée Équatoriale, que ce soit à l’époque coloniale ou aujourd’hui, a toujours été teinté d’une fibre de xénophobie.
Y a-t-il toujours eu des réactions de méfiance et de xénophobie, et même les refoulements, observés contre les Camerounais ?
Comme je viens de le dire, les Camerounais n’ont jamais été vus d’un bon œil en Guinée Équatoriale depuis la période coloniale. À titre d’exemple, le refus par la Curaduria Colonial de délivrer des reçus de dépôt et de rembourser des sommes prélevées sur le salaire des travailleurs migrants camerounais, n’incita pas les immigrés à rester sur le territoire hispano-guinéen. Les travailleurs en fin de contrat étaient obligés de travailler pour deux ans supplémentaires et les candidats au retour au Cameroun étaient dépouillés de leurs objets et des pesetas qui n’étaient pas utilisables au Cameroun.
Le retour des migrants était ensuite lié à l’insécurité qui régnait en Guinée Espagnole. Des abus de toutes sortes étaient perpétrés sur les étrangers et dissuadaient les Camerounais de toute idée de migration vers la Guinée Espagnole. Une rumeur divulguée en novembre 1936 fit état de l’exécution par fusillade par les insurgés de la guerre civile de 120 Camerounais à Santa Isabel (Malabo). Les autorités espagnoles développaient un caractère inhospitalier et xénophobe à l’égard des ressortissants camerounais en Guinée Espagnole. Plusieurs Camerounais étaient victimes des exactions des autorités espagnoles. L’on peut citer, entre autres, l’exemple du Camerounais Ekani décédé de suites des sévices infligées par son employeur guinéen, en mars 1965.
« L’investissement des Camerounais dans les activités criminelles a conduit à la structuration d’un discours officiel et d’une opinion publique sur le « péril camerounais »
L’évènement le plus connu par les Camerounais est l’expulsion massive et régulière des Camerounais de la Guinée Équatoriale. Le point culminant fut la crise diplomatique entre les deux pays en 2004. Plusieurs campagnes anti-camerounaises ont été organisées en Guinée Équatoriale. Les récentes vagues de xénophobie à l’encontre des Camerounais à Malabo se sont déroulées sur les espaces quasi contrôlés par ceux-ci.
Par exemple en décembre 2001, le marché des vivres de Malabo, véritable marché camerounais, a été attaqué par les extrémistes équato-guinéens. L’influence des immigrés camerounais en Guinée Équatoriale s’est faite aussi à travers la forte pénétration de l’économie populaire, comme le note Yves Alexandre Chouala. L’investissement des Camerounais dans les activités criminelles a conduit à la structuration d’un discours officiel et d’une opinion publique sur le « péril camerounais ».
Parlant des Camerounais de Malabo en 2000, le Président équato-guinéen dénonçait leur implication dans « la plupart des actes délictueux commis à Malabo (…) les Camerounais (…) sont beaucoup plus malins : les feymen et autres multiplicateurs de [faux] billets de banque ne font pas de bruit mais beaucoup de mal ». Teodoro Obiang Nguéma Mbasogo poursuivait en soutenant que « les voisins commencent à nous regarder avec jalousie et cela peut entraîner qu’ils provoquent l’insécurité dans notre pays». Face à cette insécurité générée par les étrangers (Camerounais et Nigérians surtout), le président équato-guinéen proposa la solution radicale de la «machette» : « Chacun de vous, conseilla-t-il à son peuple, doit disposer d’une machette, de bâtons et de barres de fer pour frapper les voleurs à la tête et qu’ils disparaissent ».
« La Guinée Équatoriale a toujours été un eldorado pour les Camerounais. À chaque fois que la Guinée Équatoriale dispose des ressources économiques importantes, les Camerounais s’y rendent en masse à la recherche du bien-être »
Qu’est ce qui peut expliquer cette animosité contre les Camerounais, sachant que le peuple est le même de part et d’autre de la frontière entre les deux pays ?
Cette situation peut s’expliquer de plusieurs façons. Il faut tout d’abord noter que la majorité des Camerounais ayant migré en Guinée Équatoriale sont sans papier. À ce titre, ils violent la loi équato-guinéenne de résidence sur le titre de séjour. Il faut noter aussi que les textes communautaires ne permettent pas aux ressortissants de la sous-région de séjourner plus de 90 jours dans un pays voisins. Passé ce délai, vous devriez vous astreindre aux règles de séjour dans le pays d’accueil. Deuxièmement, je relève la sous-éducation des masses en Guinée Équatoriale qui ne permettent pas aux autorités de respecter les règles communautaires de libre-circulation. Troisièmement, les Equato-guinéens ont peur d’une invasion de leur pays par les Camerounais ayant pour conséquence la prise de leurs emplois.
Malgré l’animosité dont ils sont victimes, les Camerounais continuent de se rendre en Guinée Équatoriale. Ce petit État est-il définitivement l’eldorado de son grand voisin en Afrique Centrale ?
Tel que expliqué plus haut, vous pouvez conclure avec moi que la Guinée Équatoriale a toujours été un eldorado pour les Camerounais. À chaque fois que la Guinée Équatoriale dispose des ressources économiques importantes, les Camerounais s’y rendent en masse à la recherche du bien-être. Ils quittent aussi le pays dès que la pauvreté se pointe à l’horizon.
« Les migrations entre les deux pays sont dans un double sens. À Chaque fois que ce petit État est en proie à des problèmes, ses ressortissants migrent vers le Cameroun et retournent en Guinée Équatoriale dès que la situation se stabilise »
Peut-on parler d’une attraction particulière de la Guinée Équatoriale, sachant que les Camerounais vont également dans les autres pays de la sous-région ? Ils sont très nombreux au Gabon, comme ils l’étaient en Rca avant la guerre.
Je ne peux pas parler d’une attraction particulière. Les Camerounais sont des hommes travailleurs et sautent sur toutes les occasions qui peuvent les faire grandir et s’enrichir. Donc, la destination Guinée Équatoriale ne respecte que ce principe.
Existe-il un mouvement des Équato-guinéens vers le Cameroun, surtout lorsque ce petit État traversait la pauvreté ?
Bien évidemment. Les migrations entre les deux pays sont dans un double sens. À Chaque fois que ce petit État est en proie à des problèmes, ses ressortissants migrent vers le Cameroun et retournent en Guinée Équatoriale dès que la situation se stabilise. La migration des Equato-guinéens vers le Cameroun a eu deux temps forts. Le premier temps correspond à la veille de l’indépendance de la Guinée Équatoriale. De nombreux nationalistes ont été contraints à l’exil et le Cameroun fut une destination prisée.
Le Gouvernement camerounais, à cette époque, a réservé un accueil chaleureux à ses réfugiés en leur offrant terre, en payant la pension de leurs enfants et bien d’autres choses d’après les documents d’archives à ma disposition. Ces réfugiés ont été rapatriés lors de l’accession de leur pays à l’indépendance. Le deuxième temps fort de la migration des Equato-guinéens au Cameroun correspond à la période où Macías Nguéma était au pouvoir. Lorsque ce dernier installa une dictature dans le pays, les ressortissants de ce pays étaient contraints à l’exil pour échapper à la mort. En 1978, l’on comptait environ 30 000 réfugiés Equato-guinéens au Cameroun.