L’organisation internationale dénonce de graves atteintes aux droits de l’homme commis aussi bien par nos forces de défense et de sécurité que par la secte Boko Haram dans l’Extrême-Nord.
Fin juin 2014. Les insurgés de Boko Haram viennent de renouer avec le cycle infernal de violences dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun, à la faveur de la prise par la secte terroriste de plus grandes villes du nord-est du Nigeria, et de la déclaration par Abubakar Shekau d’un « califat » indépendant dont la capitale est Gozwa. Les attaques de la nébuleuse vont s’intensifier au Cameroun dès le mois d’octobre pour culminer en décembre de la même année. C’est dans ce contexte tendu et confus que, harcelées par les insurgés, les forces de sécurité camerounaises, impréparées pour faire face à ce type de guérilla, et dont les effectifs ont été revus à la hausse, organisent des opérations de ratissage d’envergure.
Le 20 décembre, 84 enfants (dont seulement trois âgés de plus de 15 ans et 47 ayant moins de 10 ans), et au moins 43 hommes, dont de nombreux enseignants d’écoles coraniques, sont arrêtés. Au cours du même mois, au moins deux cents habitants des villages de Magdeme et de Doublé sont arrêtés. Au total, ce sont au moins 1000 militants présumés qui ont été arrêtés. Ces informations sont contenues dans le rapport rendu public hier par Amnesty International sur la situation des droits de l’homme dans les zones de conflit armé, côté camerounais, depuis le début des assauts de Boko Haram dans ce pays voisin du Nigeria. L’organisation internationale de défense des droits de l’homme rapporte qu’un peu plus d’un an après, elle est toujours sans nouvelles des centaines de personnes « disparues » au cours de cette chasse aux présumés membres et sympathisants de Boko Haram.
Leurs familles non plus ne sont pas en mesure de dire où elles se trouvent. L’Organisation non gouvernementale nous apprend que les 84 enfants ont été détenus pendant un peu plus de six mois pour la plupart à l’Institution camerounaise de l’enfance, gérée par le ministère des Affaires sociales, sans avoir été inculpés d’aucune infraction. Quant aux 24 autres personnes arrêtées en juin 2014 au marché de Maroua, elles ont été localisées par les leurs seulement après qu’Amnesty International se soit saisie de ce dossier et qu’elle ait mené des diligences auprès du gouvernement camerounais.
Au moins 130 disparus
Des victimes de ces exactions ont par ailleurs raconté sous anonymat à Amnesty International qu’elles ont été harcelées par les forces de défense, qui ont pillé leurs biens, dérobé argent et biens, détruit des maisons. « Le sort de la plupart des personnes arrêtées dans ces deux villages [Magdeme et Doublé] reste inconnu. Au moins 25 de ces hommes et garçons, voire plus, sont morts en détention dans une cellule improvisée la nuit de leur arrestation, tandis que 45 autres ont été emmenés et enregistrés à la prison de Maroua le lendemain.
Au moins 130 personnes sont donc portées disparues et victimes présumées de disparitions forcées. Des éléments de preuve suggèrent que d’autres personnes seraient mortes alors qu’elles étaient en détention sous la responsabilité des forces de sécurité. Près de neuf mois après ces faits, les responsables de l’enquête interne n’ont pas encore identifié les morts, révélé l’emplacement de leurs corps ni interrogé les principaux témoins », résume Amnesty International. L’Ong rapporte que les cibles visées étaient des hommes âgés entre 18 et 40 ans, soupçonnés d’appartenance à Boko Haram ou de sympathie avec la secte.
« D’après les informations recueillies par Amnesty International, les forces de sécurité ont eu un recours excessif à la force durant ces opérations et se sont rendues coupables d’atteintes aux droits humains, notamment d’homicides illégaux et de destruction de biens », constate le rapport, qui n’épingle pas moins l’organisation terroriste, auteure de moult exactions, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Comme ceux commis à Amchidé en octobre 2014, à Bia en avril 2015 et à Maroua en juillet 2015 où elle s’est rendue coupable d’homicides intentionnels (attentats suicides à la bombe dans des zones civiles, par exemple), actes de torture, prises d’otages, enlèvements, recrutement d’enfants soldats, pillage et destruction de biens publics, privés et religieux.
Selon l’organisation de la société civile, ces attaques cumulées ont fait au moins 380 victimes parmi les civils camerounais, et des dizaines parmi les forces de sécurité depuis janvier 2015. Amnesty International dit avoir interpelé le gouvernement qui n’a pas répondu à ce jour, mis à part l’effort de collaboration manifesté par le ministre de la Justice.
Le rapport de 79 pages s’appuie sur des témoignages faits par plus de 160 personnes au cours de trois missions réalisées au Cameroun entre février et mai 2015, et de recherches complémentaires réalisées de juin à août 2015. Le document s’achève par des recommandations faites aux autorités camerounaises en matière de respect des traités internationaux qu’il a ratifiés. Le représentant du ministère des Relations extérieures présent hier à la conférence de presse n’a pas voulu s’y prononcer.