Opinions of Monday, 14 December 2015

Auteur: carmer.be

Les députés et l'équation des passeports diplomatiques

Les élus réclament le rétablissement de ce document retirés il y’a dix ans par le ministère des Relations extérieures. Le gouvernement a joué de l’esquive, et renvoyé les parlementaires aux textes réglementaires en la matière.

C’est Danata Paul, député Rdpc de la Kadey (région de l’Est), qui s’est chargé de porter les doléances des membres du Parlement pour le rétablissement du passeport diplomatique pour les élus du peuple. Pièce dont ils ont été privés par Laurent Esso en janvier 2005, alors qu’il était encore le chef de la diplomatie camerounaise. Et le député Danata Paul est allé puiser abondamment dans la Constitution du Cameroun pour justifier le fait que les parlementaires ont, de facto, droit à ce document, allant jusqu’à établir une comparaison fort douteuse entre le parlementaire et le président de la République.

Pas moins de sept articles ont été nécessaires au député pour plaider pour sa chapelle, tous ayant un trait avec la souveraineté, le Parlement, et le président de la République. L’article II, alinéa II sur la souveraineté du Cameroun qui « appartient au peuple camerounais, qui l’exerce soit par l’intermédiaire du président de la République et des membres du Parlement, soit pas voie référendaire» ; l’article 4 sur l’autorité de l’Etat « exercé par le président de la République » ; l’art 6, alinéa4, sur l’intérim assuré par le président du Sénat ; l’article 7, sur le président de la République qui entre en fonction dès sa prestation de serment ; l’article 14 alinéa 2, sur le Parlement qui « légifère et contrôle l’action du gouvernement » ; l’article 25, sur l’initiative des lois qui appartient « concurremment au président de la République et membres du Parlement » ; et l’article 26, la loi est votée par du Parlement. Tous ces articles convoqués pour souligner le « rôle du parlement dans la vie politique du pays». « Ne trouvez-vous pas que c’est une aberration que de priver les membres d’un pouvoir supposé remplir les obligations dans certaines conditions, du passeport diplomatique, alors que certains personnages pas plus méritants en bénéficient gratuitement ? » a plaidé Danata Paul.

Corriger une « injustice »

Pour Lejeune Mbella Mbella, ministre des Relations extérieures depuis le 02 octobre dernier, les textes réglementaires sont claires en la matière sur l’attribution des passeports diplomatiques. Tout en reconnaissant, très diplomatiquement, la requête « légitime» des parlementaires, l’ancien ambassadeur du Cameroun en France, a promis de « prendre à [notre] compte et étudier le cas, pour en faire référence et porter à l’appréciation de monsieur le président de la République». «C’est le chef de l’Etat qui fixe les modalités d’attribution du passeport diplomatique», a expliqué le ministre, avant de relever, subrepticement, que la doléance du député Danata est portée sur l’extension du passeport diplomatique, non plus aux seuls membres du bureau, mais à tous les parlementaires…

Le 28 mars 2005, Le Messager relevait déjà les textes qui encadrent l’obtention du passeport diplomatique. En effet, le décret présidentiel n° 90/245 du 24 août 1990 portant établissement des passeports est à ce niveau édifiant. Ce texte qui définit le passeport comme une pièce d’identité délivrée aux Camerounais en séjour à l’extérieur du pays, fixe les conditions d’obtention des passeports ordinaire, de service et diplomatique. S’il n’y a aucune restriction en ce qui concerne le passeport ordinaire, les passeports de service et diplomatiques font l’objet de dispositions particulières. Le passeport de service est octroyé au personnel de l’Etat en mission officielle à l’étranger. En principe il doit être retiré dès mission terminée. L’octroi du passeport diplomatique est complexe. Selon le décret, ont droit à vie au passeport diplomatique, le président de la République, les anciens présidents de la République, leurs épouses et enfants mineurs.

De même, dans l’ordre protocolaire de l’Etat, ont également droit à cette pièce jusqu’à la mort, le président de l’Assemblée nationale, les anciens présidents de cette chambre et leurs épouses, le président et les anciens présidents du Conseil économique et social, le président et les anciens présidents de la Cour suprême, le procureur de la République auprès de la Cour suprême et les anciens procureurs de la République auprès de ladite cour. Si on ajoute à cette catégorie des privilégiés à vie du passeport diplomatique, les ministres et anciens ministres des Relations extérieures, les diplomates de carrière, leurs épouses et enfants mineurs la boucle à ce niveau est bouclée.

Maintenant, il y a des cas spécifiques des personnalités de la République à qui le passeport diplomatique est octroyé dans le cadre de leurs fonctions. Il s’agit des officiers généraux en activité, des membres du gouvernement en fonction, leurs épouses et enfants mineurs, des ambassadeurs et ambassadeurs itinérants. Font aussi partie de cette catégorie, les secrétaires généraux des ministères en fonction, les hauts fonctionnaires de la présidence de la République et de la Primature jusqu’au rang d’attaché. Les personnels du Minrex non-diplomates jusqu’au rang de chef de service ont aussi droit au passeport diplomatique.

A l’Assemblée nationale précisément, les députés n’ont pas droit au passeport diplomatique. Un privilège du président de l’Assemblée nationale (Pan) et des anciens Pan et leur famille, mais aussi les députés membres du bureau. Mais avant le tour de vis du ministre Esso, tous les députés étaient bénéficiaires de ce document de manière illégale. Les députés en tant que faiseurs des lois peuvent bien envisager de corriger cette « injustice ».