Opinions of Thursday, 16 June 2016

Auteur: Boris Bertolt

Les problèmes du ministre du ciel et de la terre

En 2012, la Commission nationale anticorruption, parlait de « complot financier contre l’Etat du Cameroun » en référence aux malversations financières qui ont entouré les processus d’indemnisation des populations locales dans le cadre du port en eau profonde de Kribi.

Près d’une cinquantaine de personnes semblent impliqués dans cette affaire. 44 titres fonciers ont été établis postérieurement au 06 février 2009, date de l'arrêté n° 156/MINDAF déclarant d'utilité publique les travaux de construction du Port en eau profonde de Kribi. Ils ont fait perdre à l’Etat du Cameroun 4.821.356.625 FCFA soit 44,7% du total alloué aux indemnisations.

Qui s’est-il réellement passé dans cette affaire ? Qui a fait quoi ? La responsabilité du ministre de l’Economie et de la planification, Louis Paul Motaze est-elle établie ? CASH INVESTIGATION a décidé cette semaine de vous balader l’univers de la mafia autour des questions foncières au Cameroun.

Certains journaux indiquent qu’il a été récemment auditionné par les enquêteurs du Tribunal Criminel Spécial (TCS) sur l’affaire des indemnisations du port en eau profonde de Kribi. Lui, il dément catégoriquement. Mais une chose est certaine, Louis Paul Motaze, l’actuel ministre de l’Economie et de la planification semble visiblement avoir perdu la sérénité qu’on lui connait. Fait rare, pour ne pas être signalée, le week-end dernier, il a amené des journalistes à Kribi, en tant que président du comité de pilotage du projet de construction du port en eau profonde de Kribi où il s’est largement exprimé sur l’affaire des indemnisations et a nié toute participation dans cette affaire.

Pourtant, plusieurs élites du département de l’Océan, dont des élus de la nation soutiennent justement l’implication du comité de
pilotage dans la mafia qui a entouré le processus des indemnisations.

Tout commence le 6 février 2009, l’Etat du Cameroun décide de déclarer zone d’utilité publique les territoires situés entre Kribi et Campo dans la région de l’Océan. Le 14 octobre 2010 les territoires sur lesquels devaient être construits le port en eau profonde de Kribi ont été réquisitionnés et le 30 novembre 2010, les populations titulaires de titres fonciers ou non ont été exproprié. Le port en eau profonde de Kribi, c’est l’un des projets phares du chef de l’Etat Paul Biya.

A la tête de ce projet, un homme, Louis Paul Motaze, il pilote d’ailleurs d’autres projets d’envergure. Ce qui lui vaut dans les salons huppés de la capitale, l’appellation de « ministre du ciel et de la terre ». Le projet couvre une superficie de 26 345 hectares et s’étend sur 30 kilomètres.

Que s’est-il passé ? Etant informé du projet, des dignitaires en complicité avec les membres de la commission de pilotage du projet de construction du port en eau profonde de Kribi constitué des représentants de plusieurs ministères vont acquérir des titres fonciers qui seront délivrés par le ministère du domaine. Or, les nouveaux propriétaires n’ont jamais habité ces espaces et sont inconnus de tous les riverains. C’est ainsi que entre le 6 avril 2009 et le 30 novembre 2010, 44 faux titres fonciers seront établis. Par rapport à la masse globale de 10.774.638.375 FCFA indemnisant les détenteurs de titres fonciers, l'indemnisation des détenteurs de titres datés postérieurement au 06 février 2009 représente 4.821.356.625 FCFA, soit 44,7 % du total.

D’après le rapport de la CONAC, « les plus gros arnaqueurs qui ont réussi par tous les moyens et par toutes les manœuvres à espérer bénéficier de 500 millions à plus de 2 milliards "méritent" d'être nommément cités. Il s'agit de :

•Famille BONGASSOUTA (502.530.000 FCFA)
•NANGUIE Martine Veuve MPOLO (542.754.097 FCFA)
•TUETE Brigitte/Famille ELLA (550.356.000 FCFA)
•AKEVA François (555.761.000 FCFA)
•DJOUBA Aloys/Collectivité LOWENGUE (631.687.000 FCFA)
•MABELE Georges (631.985.929 FCFA)
•SIMBA Célestin (857.490.000 FCFA) BONGALAMBE (Collectivité de) 1.024.000.000 FCFA
•NSONG Victorine (1.037.794.470 FCFA) - DJOUBA Aloys / Collectivité BONGALAMBE 1.304.223.006 FCFA
•MBILE Benoît/Collectivité BIGOUNLI (2.031.166.500 FCFA).

Les 10.774.638.375 FCFA ont été débloqué sur le budget du ministère de l’Economie et de l’aménagement du territoire lorsque Louis Paul Motaze était encore patron de ce ministère. Au mois de février 2010, il annonçait que tout le monde ne sera pas régularisé au même moment à l’occasion de la 5ème réunion du comité de pilotage du projet.

Mais, en décembre 2010, les populations se rendent compte qu’elles ont été flouées par le comité. Elles découvrent les noms de personnes qu’elles ne connaissent ni d’Adam, ni d’Eve et sont ceux qui perçoivent les plus gros montants. Elles menacent de bloquer le projet et écrivent au chef de l’Etat. Les opérations d’indemnisation sont dans un premier temps arrêtées. Paul Biya dépêche sur place les enquêteurs de la police judiciaire, le DGRE pour s’enquérir de la situation. C’est comme cela que le poteau aux roses sera découvert.

Sur une enveloppe initiale de 24 milliards de Fcfa, suite aux dénonciations de la fraude, l’Etat du Cameroun va parvenir à économiser 10 milliards de Fcfa. Des titres fonciers seront annulés dès juillet 2013 par Koung Abessike la ministre du domaine. Dans un communiqué, elle parle de: « faute de l'administration matérialisée par la légèreté du conservateur foncier de l'Océan qui a irrégulièrement procédé à ce morcellement après l'arrêté déclarant d'utilité publique..., de la fraude du bénéficiaire qui a volontairement trompé la vigilance de l'administration dans le but de se faire payer des indemnisations auxquelles il ne pouvait légitimement prétendre ».

Mais un bon nombre de personnes détenteurs de ces faux titres fonciers sont en fait des prêts noms. Les véritables propriétaires étant impliqués dans le projet. Des dizaines d’arrestations ont déjà eu lieu parmi lesquels des préfets et sous-préfets qui ont servi dans la région. Les auditions se poursuivent…. Jusqu’où pourrait aller la justice ?