Opinions of Wednesday, 27 July 2016

Auteur: René Dassié

Lettre ouverte à Issa Tchiroma Bakary

Le journaliste René Dassié Le journaliste René Dassié

La Lettre ouverte du journaliste René Dassié au ministre camerounais de la Communication, porte-parole du Gouvernement Issa Tchiroma Bakary

Monsieur le Ministre,

Votre attitude dans le dossier Marafa n’honore en rien le Cameroun, mais au contraire contribue à déprécier son image déjà en lambeaux, dans le monde entier. Vous désignez à la vindicte un homme certes condamné, mais dont l’innocence parfaitement établie ne fait l’ombre d’aucun doute, au Cameroun comme à l’étranger. À grand renfort médiatique, vous tentez d’embrouiller l’opinion sur les motivations réelles de sa mise au secret, au moment où de partout dans le monde, pleuvent avec l’intensité d’une averse tropicale les appels à sa libération.

Vous mentez au peuple camerounais, et une pareille imposture de votre part n’étonnerait que ceux qui ne vous ont pas côtoyé. Pas moi, en tout cas. Avec un peu d’effort en effet, vous vous souviendrez de moi. Il y a un peu plus de dix ans lorsque vous vous disiez farouchement opposé au régime que vous servez aujourd’hui avec un zèle difficilement égalable, je vous avais passionnément soutenu dans l’élaboration et la diffusion du fameux mémorandum* que vous aviez rédigé sur l’extrême misère qui sévit dans votre Grand-Nord natal.

Vous me receviez régulièrement chez vous au quartier Bastos et parfois, nous refaisions le chemin à pied jusqu’à chez le ministre Dakolé Daïssala, qui habitait à quelques encablures de là. C’était l’un de vos partenaires dans la défense de ce mémorandum qui exigeait de la part de l’État des solutions appropriées aux différents maux qui minent le nord du pays, aujourd’hui en proie aux agressions meurtrières des terroristes.

Je me souviens que lors de nos discussions face à face chez vous, vous m’aviez juré au moins par trois fois que vous préféreriez la mort, plutôt que d’être de nouveau aux côtés du président Paul Biya, que vous peigniez alors sous le jour le plus sombre. La suite, bien sûr, n’appartient qu’à vous et à votre conscience. Je me dois tout de même de constater que vous m’aviez menti, et que depuis, vous avez triplement renié vos engagements. À l’image de l’apôtre Pierre des récits bibliques. Le mémorandum ne vous a finalement servi que de marchepied, pour décrocher un maroquin. Votre combat en faveur de la justice sociale au nord du pays n’est plus qu’un lointain souvenir, et celui que vous considériez hier comme le diable en personne est aujourd’hui devenu un saint à vos yeux. On dit des promesses qu’elles n’engagent que ceux qui y croient!

Que vous tentiez aujourd’hui d’accabler le ministre Marafa Hamidou Yaya, injustement sevré de l’affection des siens et qui n’a plus pour fidèles compagnons que les rongeurs et insectes de son sombre et humide cachot de sinistre réputation de la gendarmerie nationale de Yaoundé, où son état de santé déclinant suscite de graves inquiétudes, ne traduit qu’une certaine cohérence dans votre démarche d’homme public opportuniste.

Les Camerounais qui sont un peuple mature méritent cependant mieux que votre propagande haineuse contre cet homme. Ils savent que M. Marafa n’est coupable de rien, si ce n’est d’aimer passionnément son pays et de nourrir de fortes ambitions pour son avenir. Ce qui ne vous empêche pas de hurler dans le mégaphone géant que vous confèrent vos fonctions de ministre de la Communication pour les induire en erreur à son sujet. D’où la nécessité pour les citoyens du monde épris de justice comme moi de faire sentinelle, pour leur rappeler constamment les vraies motivations de sa disgrâce.

Récemment lorsque le Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire a exigé sa libération immédiate et la réparation de l’inestimable préjudice que lui cause sa privation de liberté, vous vous êtes répandu dans les médias pour discréditer cette demande. Et comme si cela ne suffisait pas, vous avez organisé à grand frais toute une conférence de presse, pour jeter l’anathème sur l’influence réelle et l’objectivité de cet organe chargé par les Nations Unies de veiller au respect des droits de l’homme partout dans le monde.

Les spécialistes du droit international vous ont déjà expliqué que la décision du Groupe de travail, dont les avis font office de jurisprudence auprès de grandes juridictions comme la Cour européenne des droits de l’homme s’imposait au Cameroun. Ils vous ont rappelé que le Cameroun, en choisissant pour la première fois de répondre à l’interpellation de cet organe, alors qu’il avait brillé par son silence dans tous les autres dossiers soumis à son examen, se devait d’accepter et d’appliquer le verdict.

Monsieur le Ministre, lorsqu’on décide de participer à une compétition, on ne demande pas de rejouer le match, simplement parce que le résultat, totalement impartial, ne nous satisfait pas. Il s’agit donc avant tout d’une question d’honneur pour le Cameroun. Les Camerounais ont régulièrement démontré qu’ils aimaient leur pays. Ils ne supporteraient pas qu’il soit considéré comme un État voyou, qui face à ses responsabilités et engagements, se débine.

À cette contrainte morale s’ajoute une autre, matérielle. Vous avez forcément remarqué que les experts de l’Onu ont assorti leur décision de la saisine de la Rapporteuse de l’Onu sur l’indépendance des juges et des avocats. Il s’agit là de l’expression d’un doute profond, sur l’indépendance de nos juges dont on sait qu’ils ont juré de ne rendre que des décisions équitables. Jusqu’où allons-nous accepter de voir ainsi l’image du pays être traînée dans la boue? Sommes-nous devenus masochistes au point de donner des verges pour nous faire battre, de rechercher obstinément réprobation et sanctions de la part du monde ?

Vous prétendez que les cinq experts du Groupe de travail n’ont retenu que peu d’éléments dans la masse de pièces, plusieurs centaines de pages que le gouvernement leur a fournis, les obligeant à prolonger leur temps d’étude et de délibération qui au final aura duré six mois. Est-ce leur faute, si dans cette abondante littérature, ils n’ont trouvé que peu d’éléments substantiels? Doit-on les blâmer de faire leur travail en toute objectivité? Devaient-ils aussi se substituer au gouvernement, pour palier la vacuité du dossier qui a servi de base à la poursuite et à la condamnation de l’ancien ministre d’État ?

Vous prétendez qu’ils n’ont pas reconnu à M. Marafa le statut de prisonnier politique. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Si vous aviez lu attentivement son avis, vous auriez remarqué que le Groupe de travail souligne bien la nature politique de l’affaire, même s’il ne le retient pas au final, car visiblement superfétatoire, pour motiver sa décision.

Les experts écrivent en effet:
« Cependant, il n’y a pas de doute que l’exclusion de M. Yaya du gouvernement en décembre 2011, puis son arrestation et les poursuites à son encontre quelques mois plus tard interviennent peu après que les révélations de Wikileaks aient mis sur la place publique nationale et internationale l’opinion confidentielle du gouvernement des États-Unis à son égard, comme une alternative viable pour remplacer le président de la République. »

Ils ajoutent:

« Le Groupe de travail tient à souligner que cette affaire n’est pas la première dont il est saisi et qu’il a eu par le passé à exprimer sa préoccupation relativement à des affaires similaires où des spéculations politiques ont conduit des personnes devant les tribunaux camerounais. »

Vous comprendrez donc que dans le fond, les experts n’ont pas remis en cause le caractère politique de l’affaire Marafa. Entre deux pistes fortement probantes, celle de la détention politique et celle d’une procédure judiciaire abusive et atrocement viciée, ils ont choisi la dernière, la plus irrécusable. C’est pour cela qu’ils utilisent l’adjectif «limpide», pour qualifier leur conclusion sur ce point.

Soutenir le contraire équivaut à leur faire inutilement un procès d’intention. Les experts ont eu accès à toutes les pièces de procédure susceptibles d’innocenter M. Marafa, qui avaient été opportunément retirées de son dossier par les juges. Il n’y a qu’à citer ces rapports de la police judiciaire et du procureur qui le mettaient définitivement hors de cause dès l’entame de l’affaire.

Les Camerounais savent bien que M. Marafa n’a jamais ordonné ni géré l’argent alloué à l’achat de l’aéronef présidentiel qui a dégénéré en procès de règlement de comptes politiques. Ils ont eu accès à des documents qui prouvent à suffire que les vrais responsables des décaissements n’ont jamais été inquiétés. Ils savent que le nom de M. Marafa n’a été greffé à un dossier qui n’aurait jamais dû le concerner, que dans l’unique but de le bâillonner.

Ils savent aussi que le gouvernement a engagé toute une série de procès dans une affaire définitivement close, du fait d’un arrangement homologué par la justice américaine ayant acquis l’autorité de la chose jugée, qui lui avait permis d’être remis dans ses droits.

Ce qu’ils pourraient se demander et sont en droit d’exiger comme réponses, c’est ce qu’est devenu le Boeing 767-200 récupéré par leur gouvernement de la faillite de l’intermédiaire chargé d’acquérir l’avion présidentiel objet du litige? Cet avion ramené au pays, comme l’a lui-même reconnu, il y a quelques années le Bâtonnier Akeré Muna, qui avait représenté le Cameroun devant la justice américaine doit en effet être au centre des débats, puisqu’il s’agit d’un bien public. C’est sur cette question que le Porte-parole du gouvernement que vous êtes devrait s’exprimer.

La nature politique de l’incarcération de l’ancien ministre d’État a d’ailleurs depuis longtemps été établie par le gouvernement des États-Unis, pays dans lequel s’était déroulé l’essentiel des transactions au sujet de l’achat de l’avion présidentiel. Et qu’une organisation comme l’Internationale socialiste, dont l’influence et le sérieux sont reconnus exige sa libération ne fait que renforcer cette conviction.

Monsieur le Ministre, arrêtez donc de mentir aux Camerounais.
« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps », disait le président américain Abraham Lincoln (1809-1865). Que des appels aussi pressants et insistants à la libération d’un seul homme viennent de toutes parts dans le monde, nous devons comprendre que l’État qui nous représente tous les citoyens a fait fausse route, et doit corriger une injustice criarde.

Loin de rabaisser, reconnaître une erreur et y remédier a toujours été perçu comme une preuve de grandeur. Le philosophe chinois Lao Tseu (vie siècle av. J.-C), auteur du Tao Te King, un petit recueil d’aphorismes très inspirants a écrit:

« Une grande nation est comme un grand homme. Quand il fait une erreur, il s’en rend compte. S’en étant rendu compte, il l’admet. L’ayant admis, il la corrige. Il considère ceux qui lui montrent ses fautes comme ses guides les plus bienveillants. »

Ni le Groupe de travail sur la détention arbitraire, ni les autres organisations et États qui demandent la libération de M. Marafa ne sont les ennemis du Cameroun. Au contraire, tous regardent ce pays avec bienveillance, et ne souhaitent que son progrès, notamment en matière des droits de l’homme, sans le respect desquels, aucun investisseur sérieux ne viendrait risquer chez nous son argent dont nous avons tant besoin pour notre émergence.

Je vais finir en vous faisant une confidence: il y a plus d’une décennie, lorsque dans le secret de votre domicile nous déblatérions sur le régime, j’étais aussi potentiellement hostile à M. Marafa, puisqu’il était alors un membre éminent du gouvernement dont nous blâmions le fonctionnement.

Que je consacre donc aujourd’hui du temps à sa défense signifie tout simplement que comme bon nombre de personnes, je me suis donné la peine d’étudier en profondeur son dossier, pour aboutir à la conclusion que sa place n’est pas dans une cellule infecte, mais auprès de sa famille.

Vous connaissez sans doute mieux que moi cet extrait d’un célèbre verset du Saint Coran:
[i « Ô vous qui croyez ! Observez la stricte vérité quand vous témoignez devant Dieu, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos parents ou vos proches. Que ce témoignage concerne un riche ou un pauvre, Dieu porte plus d’intérêts à l’un et à l’autre que vous-mêmes […]. »]
(verset 135 de la sourate 4)

Les Camerounais méritent autre chose que les contrevérités que vous leur servez au sujet de M. Marafa. Celui-ci n’a pas sa place en prison.

Monsieur le Ministre, veuillez recevoir mes salutations fraternelles.
Que Dieu vous protège,
Que Dieu protège le Cameroun.
J’ai dit.