Opinions of Tuesday, 31 May 2022

Auteur: Pr Edouard Bokagne

Libération de Regina Mundi : ce que Yaoundé n’a pas dit

La Sénatrice Elizabeth Regina MUNDI est libre La Sénatrice Elizabeth Regina MUNDI est libre

Pr Edouard Bokagne a profité de la libération de la sénatrice Regina Mundi pour s’interroger sur les réelles motivations du leader sécessionniste Ayaba Cho. Ce dernier selon Regina Mundi n’a jamais voulu la liberté des 75 autres chef ambazoniens en détention.

Pourquoi capturer l’Honorable Regina Mundi ? Ayaba Cho a prétendu vouloir qu’on libère 75 de ses hommes emprisonnés. Je vous ai dit que cette raison ne tient pas. D’abord parce que l’État camerounais ne peut l’accepter. (De toutes façons, il n’a jamais négocié là-dessus, et cela, pour des raisons évidentes). Ayaba Cho n’a rien à faire de 75 prisonniers qu’on peut du reste avoir retounés et qui, pour son camp, seraient d’ailleurs un danger.

Les hommes de terrain ne se sont jamais souciés de leurs prisonniers, (excepté dans les cas de très proches parentés). Si chez les Amba vous êtes pris, c’est chacun pour soi. À la rigueur, ils peuvent entreprendre de vous venger. Cette exigence n’entrant dans aucun modus operandi clairement démontré, le camp Ayaba Cho faisait de la diversion. Mais je me suis posé la question : pourquoi ne pas vouloir simplement une rançon ?

S’ils demandaient de l’argent, Regina Mundi elle-même pouvait payer. (Il est vrai qu’étant en captivité, la transaction pouvait se montrer un peu compliquée). Mais il n’y a pas d’évidence qu’une rançon ait été exigée. Pourquoi alors s’accrocher à une demande qui n’avait nulle chance d’être exaucée ? Jamais, au grand jamais, les 75 prisonniers exigés ne pourraient être libérés.

C’est cette raideur qui m’a fait lire l’influence directe de Lucas Ayaba Cho. C’est la façon de comprendre de quelqu’un de très déconnecté. Dans cette affaire, il jouait avec un temps qu’il n’avait pas et sur un terrain qu’il ne connaissait pas. Ça s’appelle en sémantique tactique : une prise de risque. Au jeu d’échecs ou de cartes, ça se dit : un gambit ou bien une ouverture. C’est découvrir son jeu.

Une fois le jeu découvert, on fait de la psycho. Que vise-t-il ? Vers où veut-il aller ? À ce stade, seule la psychologie permet d’anticiper. Ayaba Cho, (même s’il le demande), ne veut en fait pas la libération de ses gens. La demande est mal formulée ; d’une manière qui placerait le vis-à-vis en difficulté et qui, de ce fait, ne peut prospérer. Il ne veut pas davantage d’argent, puisqu’il n’en a pas demandé. Que ses hordes du terrain (qui, eux, l’auraient voulu) n’en réclament pas non plus atteste qu’il a usé de toute son influence pour le leur en empêcher.

Il faut élargir l’espace qu’il veut investir ; c’est-à-dire déterminer avec exactitude où il veut se diriger. Si on enlève tout l’espace tactique dans lequel tout le système ambazonien se meut, un espace caractérisé justement par son aspect sordide, on a l’impression qu’Ayaba Cho pose-là une exigence vraiment politique. Pourquoi quelqu’un d’aussi malavisé dans le domaine, subitement, se soucierait de s’élever dans le jeu ?

C’est alors que je vous ai invité à élargir votre regard au contexte international. Il est dominé par la crise militaire russo-ukrainienne qui a de fortes répercussions sur toute la diplomatie et l’économie internationales. L’ONU s’est vue sollicitée pour fournir le cadre légal de la réprobation (si ce n’est de la condamnation) de l’agression russe. La prise de décision là-bas est soumise au vote des Nations. Ces votes s’achètent par des concessions.

Au Nigeria déjà, la Grande Bretagne a livré l’lPOB, (le mouvement séparatiste biafrais) en le décrétant organisation terroriste, pour sauver ses relations. La répercussion est évidente pour les activistes de cette mouvance dans la diaspora nigériane. Elle touche aussi directement les ADF d’Ayaba Cho qui ont avec la branche armée de l’lPOB, conclut un contrat de collaboration. C’est l’axe naturel sur lequel, dans les jours à venir, notre diplomatie devra travailler.

Mais la crise russo-ukrainienne possède bien d’autres implications : surtout en matière de sécurité. Celles-là touchent les États baltes et scandinaves où Ayaba Cho s’est réfugié. Très attachés à des formes de neutralité, ces États se montrent très compromissifs à l’endroit de groupes dont ils croient qu’ils luttent pour leur liberté. La tolérance dont Ayaba Cho jouit en Norvège dont il a acquis la citoyenneté est la même dont bénéficient les activistes du PKK kurde qui, en Turquie, ont similaires activités.

Suède et Finlande sont sous le coup de la pression turque qui bloque leur entrée dans l’OTAN, (c’est-à-dire, en fait, qui exigent la tête – ou du moins la neutralisation – de l’activisme kurde). Quelqu’un comme Ayaba Cho peut bien lire ce que ça signifie : il n’est plus tout à fait en sécurité. Il lui faut, dépassant sa position de simple chef de faction, s’élever au niveau plus grand d’interlocuteur de la sécession. C’est cela qui explique sa prise de risque et sa capture d’une si grosse proie que, jusqu’ici, personne dans leur affaire n’osait attaquer.

S’élever au rang d’el capo di tutti capi ? Qui, en leur mafia, allait-il le lui laisser ? C’est le Nord-Ouest, avec ses deals et sa compréhension. Et l’armée de vous le jurer : elle a reçu l’aide des populations.

Ces gens-là se comprennent parfaitement dans leur affaire de sécession.
En tout cas, on a libéré la sénatrice Regina Mundi. Je savais qu’on allait y arriver.
Mais ce n’était pas à moi de le dire. Vous-mêmes auriez pu le deviner…