Depuis le début du mois de juillet, les membres de la secte semblent s’être approprié les préceptes des grands théoriciens de la terreur qui inspirent l’Etat islamique.
Hier, une triple attaque au centre de la ville de Maroua, jusqu’ici préservée des exactions de Boko haram. Dimanche dernier à 24h, des hordes de combattants présumés de la secte ont envahi Kamouna .Ils ont entre autres atrocités sciemment assassiné six enfants et des femmes et mis en scène leurs dépouilles.
Le 12 juillet à Fotokol a marqué l’inauguration d’un mode opératoire que l’on croyait lointain. Tous ces forfaits sont attribués à Boko haram. La secte islamiste, d’après des militaires a accédé à une autre étape de l’ignominie. Impuissante à conserver de vastes territoires, elle s’est reconvertie au terrorisme et à la guérilla.
Seulement, elle le fait désormais en s’inspirant des théoriciens du Djihad international qui ont inspiré l’Etat islamique, groupe auquel Boko haram s’est affilié.
Ben Laden est désuet
Abou Moussab al-Souri, le prophète du troisième jihad. De son vrai nom Moustapha Setmariam Nassar, c’est un citoyen syrien. Dans son opus majeur, Appel à la résistance islamique mondiale, qui compte… 1 600 pages et fut publié sur Internet en décembre 2004, cet intellectuel osait critiquer ouvertement la stratégie de Ben Laden. Principal reproche : les attentats du 11 Septembre ont eu pour conséquence la perte de l’Afghanistan, jusqu’alors base arrière des djihadistes du monde entier. Aussi propose-t-il une autre stratégie, diamétralement inverse, qui consiste notamment en des attaques décentralisées, menées par des petites cellules dispersées en Occident, sans liens avec un commandement central. Deux types d’opérations sont privilégiés : celles qui visent en priorité les musulmans ayant trahi leur foi (les apostats Ndlr), comme ceux qui ont endossé l’uniforme des armées occidentales.
Et celles qui, selon Al-Souri, leur permettraient d’attirer les sympathies de la communauté musulmane, comme l’assassinat d’enfants juifs en représailles des enfants palestiniens tués par Israël. Ou les blasphémateurs - et Charlie Hebdo entre à l’évidence dans cette catégorie, rapporte notre confrère français Libération.
« Le djihad des pauvres »
Et il poursuit : But final de la stratégie : déclencher une guerre civile en créant des divisions irrémédiables entre la majorité de la population et la minorité musulmane. Détail significatif : dans l’un de ses textes («14 leçons amères sur le jihad»), il préconise de s’appuyer sur des combattants d’élite plutôt que sur les masses musulmanes.
Méthode C’est la théorie dite du«djihad des pauvres» ou du troisième jihad, après celui contre l’armée soviétique en Afghanistan et celui contre l’armée américaine en Irak ; le premier victorieux, le second se soldant par un échec avec la permanence d’un gouvernement chiite à Bagdad. Comme le souligne l’islamologue Gilles Kepel, Al-Qaeda devient une méthode plutôt qu’une organisation.
La gestion de la sauvagerie
Abu Bakr Naji est la star du nouveau Djihad. Il a écrit Management of Savagery. Que dit Abu Bakr Naji? Qu’il ne croit pas que le mouvement Djihadiste peut vaincre les États-Unis via un affrontement mais qu’il peut le faire au prix d’une guerre planétaire et terroriste. En propageant partout la peur, la mort, la haine, en frappant les alliés — musulmans et non-musulmans — des infidèles, en ruinant les économies des puissances occidentales, se mettra en place une barbarie (nous aurions pu aussi bien traduire le titre arabe par (Gestion de la sauvagerie) que les djihadistes auront à gérer. Et c’est de cette gestion (ce management en anglais), étape indispensable, qu’émergera le califat, la victoire d’Allah, le règne des musulmans.
Les actions terroristes tous azimuts, explique — et veut démontrer —Abu Bakr Naji, créeront un tel sentiment d’insécurité que des régions entières, des régions « barbares », des régions « sauvages », seront abandonnées aux djihadistes qui s’appliqueront alors à les gérer, appelés à le faire — suppliés de le faire — par les populations (musulmanes mais aussi non-musulmanes) hébétées de terreur et avides d’un retour à l’ordre. Une fois l’ordre islamique, l’ordre de la charia, rétabli, la marche vers le califat coulera de source.
On lira aussi avec intérêt ce qu’Abu Bakr Naji écrit de l’utilisation des médias et de l’opinion publique, explicitant bien qu’il y a là un « ventre mou » qu’il convient de manipuler intelligemment. La méconnaissance de la menace islamiste et ce tabou suicidaire de s’interdire tout amalgame entre « islam » et « islamisme » sont les meilleurs alliés des théoriciens du djihad.
D’un côté, des combattants prêts à tout — et d’abord au pire — pour imposer la loi de l’Oumma. De l’autre, des peuples fatigués et des gouvernants sans réelle volonté politique. D’un côté, la barbarie comme moyen de conquête. De l’autre, un mol endormissement…
Les mesures telles l’interdiction du port de la Burqa, que les autorités camerounaises ont copiées chez leurs homologues tchadiens ne vont – elles pas conforter ces théories ?