Ils sont de plus en plus nombreux, des personnes souffrantes de démence qui, sans encadrement, arpentent les rues de Yaoundé de jour comme de nuit.
Lundi 10 août 2015, carrefour Vallée Nlongkak à Yaoundé. Il est un peu plus de 12h. Une femme d’une quarantaine d’années avance tout droit vers le carrefour Régie. Elle est pieds-nus et porte une robe sale. Entre ses mains, elle tient un paquet recouvert d’un foulard.
Une fois arrivée devant le grand temple de l’Église évangélique, la femme dépose son paquet au sol. D’un air égaré, elle se débarrasse de la robe et du sous vêtement qu’elle porte. Puis, se met à laver ses pieds avec de l’eau recueillie dans une petite rigole. Tout ceci se passe sous le regard perplexe des nombreux passants qui n’osent dire mot.
A quelques pas de là, c’est une autre femme un peu plus vieille qui a élu domicile dans un drain. Assise à même le sol et les pieds-nus, elle est adossée sur un sac contenant apparemment ses effets. Juste à côté, elle a construit un foyer à l’aide de trois petites pierres et y a déposé une vieille boîte de lait vide.
« Elle est en train de faire sa cuisine », ironise une commerçante du coin. « Elle ne dérange personne ici. Par contre, il y a un autre fou qui passe souvent ici, lorsqu’on le voit, on recule d’abord parce qu’il est très agressif », poursuit la vendeuse.
Des malades mentaux, on en retrouve de plus en plus dans les rues de Yaoundé. Ce 12 août, nous en avons dénombré huit sur le tronçon qui va du carrefour Régie à Mballa II, et cinq sur celui qui va de Bata Nlongkak aux services du gouverneur, lieu-dit Province.
Certaines personnes trouvent que cela est normal parce que « nous sommes à quelques pas de l’hôpital qui s’occupe de ce genre de personnes.» D’autres par contre, trouvent cette situation aberrante.
« Si aux alentours de l’hôpital Jamot, qui a pour mission de prendre en charge les malades mentaux, on retrouve déjà autant de fous, vous pensez que c’est plus loin qu’on ne va pas en trouver ? Il faut juste reconnaître que cet hôpital ne fait pas son travail comme il se doit », déclare Senghor. A l’hôpital Jamot, l’on apprend qu’il revient au malade de solliciter la prise en charge et non l’inverse.
« Les maladies mentales ne sont pas très connues par les africains. La plupart de temps, c’est après avoir fait le tour des églises, des marabouts et autres que la famille décide d’amener le malade à l’hôpital. Le traitement psychiatrique est cher et long », explique un stagiaire en psychiatrie.
Il fait savoir qu’en l’absence de traitement, le patient rechute. Celui-ci est alors généralement abandonné par la famille qui est épuisée de dépenser. « C’est le cas de plusieurs fous qui sont actuellement dans les rues », affirme le stagiaire.
Il note aussi l’insuffisance des médecins psychiatres au Cameroun, comme étant un facteur de ces errances des fous dans les rues. Dr Jean-Pierre Kamga, le chef du service psychiatrie à l’hôpital Jamot, fait savoir que la prise en charge de ces « fous » n’est pas de la seule responsabilité des hôpitaux, mais de l’ensemble de la société.
« L’hôpital Jamot est scindé en plusieurs services, parmi lesquels l’on compte celui spécialisé dans les maladies psychiques. Nos missions sont celles de la prévention ou du traitement. La prise en charge des malades mentaux qui sont dans la rue n’est pas la responsabilité des hôpitaux, mais de toute la société », déclare le docteur.
« Lorsque dernièrement certains chefs d’Etat devaient arriver ici, on avait raflé ces fous. Ce qui veut dire qu’il est possible de les contrôler. Il faut juste une bonne politique interministérielle pour que ce problème soit résolu », conclut-il.