L’avocat déplore la tolérance dont font preuve les autorités de poursuite, qui a libéré les énergies malfaisantes.
Quelle appréciation faites-vous de ces fonctionnaires qui s'accaparent les biens de l'Etat, parfois en utilisant un cadre en apparence juridique comme l’expropriation pour cause d’utilité publique?
Juridiquement, l’expropriation pour cause d’utilité publique ne se réalise que sur les biens appartenant à des particuliers. Ainsi, dans votre hypothèse, on ne peut imaginer d’infraction que par le détournement en tout ou partie de l’argent mis à disposition pour l’indemnisation d’une expropriation réelle ou fictive.
En tout état de cause, l’article 184 du code pénal, texte principal qui protège les biens de l’Etat est tellement large que le mode opératoire importe peu. D’ailleurs, la loi n’exige qu’une rétention ou une détention, sans se soucier de ce qu’elle est directe ou indirecte.
Pourquoi les gens continuent-ils de se livrer à ce sport?
Vous avez raison de qualifier cela de « sport » au regard des contorsions auxquelles il faut se livrer pour arriver à réaliser une extorsion… C’est le sport favori de la grande majorité des fonctionnaires et agents de l’Etat : se servir, plutôt que servir. Peutêtre en raison du fait qu’ils ont observé un certain laxisme dans la protection des biens de l’Etat. La grande tolérance dont font historiquement preuve les autorités de poursuite de ce pays a libéré l’imagination et les énergies malfaisantes.
Pourtant la répression a été renforcée.
Tant que la répression se fera en trompe-l’oeil et sur des critères aléatoires, elle n’inspirera pas de véritable crainte. Les poursuites sont à tête chercheuse et initiées sur des bases qui restent floues et, de fait, il y a des soupçons qui ne sont pas approfondis, parce que certains sont protégés et des innocences persécutées avec acharnement.
Le serviteur de l'Etat se sert finalement de sa position pour s'enrichir, quel est le problème moral que cela pose?
Je ne sais pas si ça leur pose vraiment à eux un problème moral, dès lors que c’est la loi du genre. La morale est souvent un problème de contexte. Là où tout le monde fait mal, l’appréciation morale se déprécie et s’étiole. Les paradigmes moraux des « serviteurs de l’Etat » doivent être redéfinis. En revanche, ce qui est sûr, c’est que ça pose un problème juridique.
Il s’agit de comportements qui sont punis par le Code pénal camerounais, sous les qualifications de détournements de biens publics ou de concussion. Bref, il s’agit d’atteinte à la fortune publique. Les textes doivent juste être appliqués.
Comment peut-on mieux préserver le patrimoine de l'Etat à votre avis?
En instituant des règles juridiques et sociales de prévention et de répression claires. Au plan social, je crois que de bons salaires permettant de vivre décemment, d’acquérir sa propriété sans avoir besoin de la voler seraient la base minimale. On devrait y rajouter un bon service de soins et de santé ainsi qu’un système de retraite efficace.
Au plan juridique, vous savez qu’il existe dans ce pays un texte qui institue la déclaration des biens et du patrimoine de certains fonctionnaires et agents de l’Etat. Il s’agit d’une règle de prévention. Mais, elle n’est pas encore applicable. Il existe dans la panoplie de la répression une infraction qui s’appelle l’enrichissement illicite et qui offre l’avantage, selon moi, d’inverser la charge de la preuve.
Si cette infraction avait été instituée conformément aux engagements internationaux du Cameroun, c’est à la personne poursuivie qu’il serait revenu de démontrer que son patrimoine a une origine licite, honnête. Mais, le Cameroun traîne à instituer l’enrichissement illicite dans notre corpus législatif.
Dans tous les cas, ce n’est pas tout que d’instituer des règles ; il faut également pouvoir les appliquer ; les appliquer avec certitude (c’est-à-dire de façon systématique et sans faille) et, autant que possible, avec promptitude, pour marquer l’importance qu’on accorde à la valeur protégée. Et c’est là où le bât blesse au Cameroun.
Qu'encourent sur le plan pénal ceux qui dilapident ou s'accaparent des biens de l'Etat?
Le fonctionnaire ou l’agent de l’Etat contre lequel il existe des charges suffisantes permettant d’établir qu’il a pu distraire directement ou indirectement les biens de l’Etat encourt des sanctions pénales qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement à vie, si la valeur vénale du bien n’est supérieure qu’à 500.000 F CFA actuels!
Mais il encourt aussi des déchéances susceptibles de l’empêcher de continuer à exercer des fonctions publiques ainsi que des confiscations ; je précise que, ces deux dernières sanctions me semblent plus efficaces que les peines d’emprisonnement quelle que soit la durée, qui ne sont faites ni pour décourager, ni pour restituer ce qui a été distrait.