Dans un contexte de turbulences liées à la baisse des cours des matières premières, la pression sur le franc CFA est plus forte que jamais.
Ce vendredi 30 septembre, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de la zone franc se retrouvent à Paris pour faire le point sur la situation économique de la zone. Et ce dans le contexte de la chute des cours des matières premières. Soixante-dix ans après la création du CFA, le bilan est mitigé et l'avenir de la zone pas si évidente. Si on fait le point pour les 14 pays africains plus les Comores, il ressort que cette zone doit affronter un dilemme permanent entre stabilité et croissance.
Le CFA, une monnaie désuette ?
Carlos Lopès, le secrétaire général adjoint de l'ONU, également secrétaire exécutif de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique, a jeté un pavé dans la mare, en déclarant que "le franc CFA est un mécanisme désuet qui devrait être revu". Alors simple provocation ou réelle volonté de construire un autre modèle ? "Aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis 30 ans. Cela existe dans la zone franc. Il y a donc quelque chose qui cloche", a affirmé le diplomate de l'ONU. Selon lui, cette situation démontre que "le mécanisme est devenu désuet et n'est pas adapté à la conjoncture internationale qui est très dynamique". Concrètement, via des accords monétaires, la France garantit aux pays de la zone franc la convertibilité illimitée du franc CFA avec l'euro à un taux fixe sous certaines conditions monétaires. Ces pays doivent également déposer 50 % de leurs réserves de change au Trésor français en guise de garanties.
Un sacré dilemme
Ce lien fort avec l'euro est considéré par beaucoup comme un gage de stabilité. Mais le système est aussi accusé par certains économistes de freiner le développement de l'Afrique, en obligeant les États concernés à calquer leur politique monétaire sur celle de la zone euro. L'objectif de départ devait permettre à la métropole française d'investir dans les colonies n'a pas été atteint et, pire, le système de l'arrimage du Franc CFA n'a jamais été réformé. Conséquence : les échanges intercommunautaires sont toujours faibles. La compétitivité est basse à cause de l'arrimage : quand l'euro s'apprécie, le franc CFA aussi. Et dans ce contexte de chute de la croissance, elle était de 3,4 % en 2015, sa plus faible enregistrée depuis 1999. Trois pays de la zone, le Tchad, le Gabon et la Guinée équatoriale, ont notamment été victimes de la forte chute du prix du pétrole. Sans compter que les dépôts à la Banque de France via le Trésor français sont largement en baisse.
70 ans après sa création, le CFA toujours sous le feux des critiques
Pour ou contre le franc CFA ? La question s'est toujours posée depuis la création de la monnaie en 1945. Les voix critiques sont celles qui se font le plus entendre, mais elles ne sont pas les seules. Et il faut noter que le débat s'est tour à tour retrouvé chez les intellectuels, les économistes ou encore les politiques. On se souvient des réactions des chefs d'État africains remontés à la suite de la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994, le Togolais Étienne Gnassingbé Eyadéma affirmant : "La force prime souvent le droit. Je n'étais pas le seul à formuler cette mise en garde, mais la France... en a décidé autrement. Les voix africaines n'ont pas compté pour grand-chose dans cette affaire."
En 2007, dans la crainte d'une nouvelle dévaluation, le président Omar Bongo Ondimba prévenait : "Il faut être clair. Si, par malheur, une autre dévaluation du CFA devait intervenir, je ferais tout pour que l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest abandonnent le franc CFA et créent leur propre monnaie". Aujourd'hui, force est de constater qu'il ne s'agit pas uniquement d'être "pour ou contre". Les arguments sont plus nuancés car il faut mettre à plat des politiques monétaires qui impactent 14 pays d'Afrique centrale de l'ouest et centrale, ainsi que les Comores, c'est-à-dire le quotidien de près de 150 millions de personnes. Pas une mince affaire.
En 2015, le président tchadien, Idriss Déby, a ravivé le débat en exprimant le souhait que les pays de la zone créent leur propre monnaie. Plus récemment, en avril dernier, Michel Sapin, le ministre des Finances, n'a pas fermé la porte à une évolution des clauses qui régissent le franc CFA, mais il a rappelé que « [celui-ci] appartient aux Africains. S'il doit y avoir une évolution du CFA, la France accompagnera mais ne se substituera pas aux pays africains ».
Le débat s'agite
Kako Nabubko, dans Les Échos : "Le développement passe par la pratique, or c'est une notion occultée dans les débats. Dans la zone CFA, nous ne sommes pas aux manettes, donc nous n'apprenons pas. Je suis pour une approche gradualiste : si on passe dans un premier temps à une monnaie un peu plus flexible, cela permettrait aux banques centrales d'avoir un peu de marge de manoeuvre pour financer les économies locales. Les échanges intracommunautaires pourront se développer. Aussi, on peut adosser le franc CFA à un panier de devises qui tient compte de l'orientation du commerce international : le yuan (la Chine est le premier partenaire commercial de la zone), le dollar, l'euro et la livre sterling (pour tenir compte du Nigeria, qui détient l'essentiel de ses réserves dans cette devise).
Enfin, nous disposons actuellement de plus de 80 % de taux de couverture de l'émission monétaire auprès du Trésor français, alors que nous ne sommes tenus qu'à 20 %. On pourrait utiliser le différentiel pour financer des programmes d'infrastructures, dans l'éducation, la santé... On ne peut pas continuer à s'interdire l'utilisation des instruments monétaires, qui ont permis le développement du monde occidental."
Bruno Tinel, maître de conférences à l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne : "La fixité de la parité entre le CFA et l'euro n'est pas soutenue par les banques centrales des deux zones CFA, elle est assumée par le Trésor français. Le problème posé par des réserves qui sont limitées ne se pose pas a priori puisque le principe consubstantiel au CFA est que le Trésor français assure la parité fixe entre l'euro et le CFA avec comme contrepartie le dépôt de 50 % des réserves de changes détenues en zone CFA auprès du Trésor.
Les principes de développement économique sont, dès lors, secondaires et subordonnés au respect du principe monétaire de la parité fixe. Il est notable par ailleurs qu'en zone CFA, plus que de remplir leurs obligations contractuelles, les États vont au-delà notamment en ce qui concerne le seuil minimum de 20 % de couverture de l'émission monétaire : en effet, il se situe autour de 100 %, voire plus."
Demba Moussa Dembélé, économiste, président d'Arcade (Dakar-Sénégal) : "Le franc CFA est un instrument allant contre le développement des pays africains, ne serait-ce que parce que cette monnaie est étrangère et que son sort se décide en France, ou en Allemagne (siège de la Banque centrale européenne). La dévaluation de 1994, décidée à Paris avec le soutien du FMI, avant que les États africains n'en soient informés par le ministre de la Coopération, en avait déjà été l'illustration. Les leviers qui déterminent le franc CFA ne sont pas en Afrique, comme le prouve ce constat : sur les 15 pays africains membres de la zone CFA, 11 sont classés comme « pays moins avancés » par les Nations unies. Certes, plusieurs facteurs expliquent cette situation, mais la question monétaire en est un majeur. Le problème est fondamentalement politique : la monnaie est un attribut de souveraineté."
Régis Immongault, ministre gabonais de l'Économie, lors d'un entretien à l'AFP. « Le franc CFA a été un élément qui a renforcé la stabilité macroéconomique et monétaire de nos États. » Le CFA est utilisé par 155 millions de personnes dans 15 pays d'Afrique subsaharienne. Il est lié à l'euro par un système de parité fixe. « Les gens veulent changer [...] mais il ne faut pas faire un saut dans l'inconnu », a prévenu le ministre, qui milite toutefois pour plus de flexibilité pour les banques centrales africaines, qui doivent placer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français pour garantir cette parité.
Créée en 1939, la zone franc est un espace économique et monétaire d'Afrique subsaharienne, où vivent quelque 155 millions d'habitants. Elle comprend 14 pays d'Afrique subsaharienne (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, République de Centrafrique et Tchad). Le quinzième membre est l'archipel des Comores. La monnaie commune à cette zone est depuis 1945 le "franc CFA", qui signifie "franc de la communauté financière africaine" dans l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et "franc de la coopération financière en Afrique centrale" dans la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale).