Opinions of Wednesday, 3 February 2016

Auteur: Jean-Bruno Tagne

Mystère : Qui est Paul Biya ?

Le dernier livre de Jean-Marie Atangana Mebara, « Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythe, textes et réalités » va certainement faire du bruit dans le landerneau. Le succès de librairie auquel cet ouvrage est promis tient d’abord à la personnalité de son auteur – ancien secrétaire général de la présidence de la République (2002 – 2006) incarcéré depuis huit ans à la prison centrale de Kondengui – et ensuite à son initiative d’oser un portrait de l’homme Biya qu’il a étroitement fréquenté pendant quatre ans dans le cadre de ses fonctions de Sg/Pr. Pareille entreprise - fort courageuse - est rare sous le Renouveau.

Très peu d’acteurs politiques et surtout les collaborateurs actuels ou passés du chef de l’Etat s’y sont essayés. Et lorsque son ancien secrétaire général décide de se jeter à l’eau, l’ouvrage ne peut que susciter de l’intérêt. Chacun espère en savoir plus sur le président Biya, 83 ans, qu’une chape de mystère entoure jusqu’à l’intrigue et le rend toujours étranger aux yeux de son peuple et même de ses collaborateurs après déjà 34 ans de pouvoir. Qui est donc Paul Biya ? On ne reviendra pas sur les lieux communs régulièrement repris dans ses biographies officielles, comme ses origines modestes, son éducation religieuse, sa formation en droit public, ses parchemins obtenus à l’Institut d’études politiques et à l’Institut des hautes études d’Outre-Mer, ou encore sa cooptation au début des années 1960 par Louis-Paul Aujoulat pour en faire un haut commis de l’Etat.

Mais en revanche, on s’attardera sur sa personnalité. On doit à la vérité de dire qu’avant Jean-Marie Atangana Mebara, quelques personnes se sont essayées à donner des pistes de compréhension de l’homme Biya. Peut-être pas avec le même niveau de détails. Les anciens Sg/Pr, Titus Edzoa (Méditations de prison) et Marafa Hamidou Yaya (Le choix de l’action). On peut aussi citer le journaliste camerounais Michel Roger Emvana à travers son livre « Paul Biya : Les secrets du pouvoir » (Karthala 2005) ou encore « Le Code Biya » du français François Mattei paru chez Balland en 2009.

Les secrets du pouvoir

Jean-Marie Atangana Mebara présente Paul Biya comme un « chef très soucieux d’être toujours bien informé et un gros travailleur ». François Mattei ajoute pour sa part qu’il « a mis l’exigence, le sens des responsabilités, la maîtrise, le sens des équilibres, au coeur de sa propre vie, comme il lui a été enseigné au séminaire, avant d’en faire des principes de gouvernement ». Pour Michel Roger Emvana, Paul Biya est « un carrefour de personnalités, un être essentiellement divers et ondoyant ».

Dans son « Paul Biya : Les secrets du pouvoir », Michel Roger Emvana parle d’un Paul Biya qui, au fil des ans a cessé de travailler pour se livrer aux jeux. « Biya s’égare dans les jeux, surtout le golf qu’il pratique comme sport après l’amenuisement du tennis et du cyclisme qu’il pratiquait avec Fofé et Philippe Mataga, ses rares intimes d’hier. C’est désormais sur les terrains de golf et autour du Songo que le président décide parfois des affaires de l’Etat. » Sur le jeu du Songo, Jean-Marie Atangana Mebara est quant à lui formel : « Le président Biya que j’ai connu et côtoyé ne correspond pas du tout à cette image, mais alors pas du tout. (…) D’ailleurs je le lui ai dit un jour, que les gens disent qu’il passe son temps à jouer et à se reposer. Il m’a alors révélé qu’il ne savait même pas jouer à ce jeu du Songo. »

Le temps est une donnée importante dans la conception du pouvoir ou de la gouvernance selon Biya. Il prend généralement son temps. « C’est un maître du temps, comme tous les poètes, les philosophes qu’il fréquente dans ses lectures, et comme les grands politiques », pense François Mattei. On peut y voir une conception quasi monacale du pouvoir selon Paul Biya. C’est pour cette raison qu’il peut se donner deux ou trois ans d’enquête pour nommer une personnalité ou encore se projeter sur 20, 25 ou 30 ans sachant qu’il n’est pas limiter par les exigences qu’impose l’alternance démocratique. Il est là ad vitam aeternam. Il prend donc son temps. Ce que ne peuvent pas se permettre des dirigeants modernes qui se savent au pouvoir pour 8, 10 ou 14 ans au plus. Les mandats étant limités.