Il existe un peuple camerounais, ce peuple est pacifiste et pas du tout démissionnaire comme nous le disons toujours assez rapidement. Nous ne pouvons pas le mener comme un mouton de Panurge où nous voulons. Nous devons savoir que la science ne rime donc pas avec prophétie - voilà pourquoi la transition au sommet de l'Etat n'est pas un sentiment mais une action.
Parmi les tyrannies qui écrasent l’homme il en est une, redoutable, qui ressemble à l’action, mais qui n’est pas l’action - un sentiment d'action qui se manifeste par des agitations, des tirs dans tous les sens. L'action est portée non pas par des verbes d'état mais par des verbes d'action justement.
L'agir est un de ses verbes d'action, ce n'est pas une émotion, ce n'est pas un sentiment une fois de plus, ce n'est pas une sensation. C'est tout sauf une silhouette ou une odeur de beignets chauds.
L'action est entraînante, elle est collective voilà pourquoi nous sommes un peuple, l'action est agissante, elle est entreprenante c'est d'ailleurs ce qui lui permet de briser les totalitarismes qui s'efforcent de maintenir les choses en l'état afin de préserver la totalité de ce qui fait sa raison d'être. Parce qu’elle est dynamique, agissante, parce qu’elle récuse l’idée même de totalité, l’action est ce qui nous arrache à nos replis sur nous-mêmes, cette autosuffisance déjà évoquée, ce gentil ronron dans lequel nous nous enfermons lorsque la force de l’habitude vient stériliser toute curiosité de ce qui se vit au-delà de notre univers.
On pourra aligner autant que nous voulons des superlatifs aux adjectifs rien n'y fera - tout cela n'a rien à voir avec le peuple camerounais. Je regarde le Cameroun de l'intérieur, je vois ses peurs mais aussi son courage - c'est ce visage là que nous devons voir parce qu'il nous fait face, mais ce visage n'est pas réduit à sa face visible.
Le peuple camerounais c'est un visage qui demeure infiniment transcendant par rapport à toutes les images que nous pouvions avoir sur lui. Emmanuel Lévinas, dans Totalité et infini, parle d’épiphanie à ce sujet : il y a un visage qui en appelle à moi, qui rompt avec le monde. Comprendre ce peuple-là, c’est accepter de laisser tomber les grilles de lecture, les définitions qui définissent ce qui est en réalité infini. Comprendre le peuple camerounais, c’est apprendre de l’autre qui il est au lieu de lui imposer un rôle. Ainsi Shakespeare fait-il dire à Don Pedro, dans Much ado about nothing I, 1 : « Mon amour t’enseignera. Et tu verras comme il est capable d’apprendre toute leçon difficile qui peut te faire du bien. »
Ce visage, le visage du Cameroun, le visage du peuple qui surgit bouscule mon savoir, le relativise pour ce qu’il est : seulement une opinion, partielle, partiale, qui laisse intacte l’énigme qui se présente et chamboule mes catégories, mes certitudes, pour peu que je ne sois pas imperméable à l’action. Parce que l’action peut endurer, elle me rend capable de mettre mes pieds dans les chaussures de l’autre, celui qui se présente à moi.
L’action me rend capable d’accéder à son univers et de le comprendre un peu mieux. Ne pas en rester à la surface, mais explorer de l’intérieur, découvrir ce qui évolue, se métamorphose de manière intime, ce qui est en train de naître, naître-avec, connaître. L’action est ce qui transcende notre savoir figé, totalisant, en une connaissance qui fait droit à la vie qui ne cesse d’évoluer.
L’action, c’est ce qui conduit l’être par-delà lui-même. Je comprends donc que certains soient pessimistes et voient l’apocalypse au Cameroun au moment de la transition.