Opinions of Friday, 27 May 2016

Auteur: Olivier Tchouaffe PhD et Engo Joal Didier

Note sur les procès et prisonniers politiques au Cameroun

Après notre dernière publication intitulée: “Cameroun: la figure de l’opposant: Genealogie d’une déchéance de Droits Civiques” nous nous sommes vus reprochés l’idée que Marafa Hamidou Yaya, célèbre prisonnier politique camerounais, s’est découvert la qualité d’opposant uniquement au moment de son incarcération.

Il serait donc un opportuniste ou un “minable” aux dires de monsieur Issa Tchiroma Bakary, ministre camerounais de la communication et porte-parole du gouvernement. Les notions de prisonnier politique et de procès politique ont été tellement dénaturées au Cameroun, que l’urgence d’une pédagogie est devenue nécessaire, afin de repreciser puis de clarifier ce que nous entendons par prisonnier politique et procès politique au Cameroun.

1) Qu’est ce qu’un prisonnier et un procès politique au Cameroun?

Le statut de prisonnier politique ne se réduit guère au coup de force politique contre la sûreté de l’État ou aux seuls délits d’opinion. Toute personne qui se retrouve enfermée souvent bien malgré elle dans une criminalisation de la compétition politique conjuguée à une politisation de la répression puis à une instrumentalisation de la Justice…est un prisonnier politique au Cameroun.

Le prisonnier politique est un coupable d’office qui subit la restriction de ses droits civils et politiques. Les recours légaux qui peuvent rétablir son innocence sont systématiquement fermés ou bloqués par un mur épais et sourd en béton.

Il en découle un sentiment légitime d’être enfermé dans un carcan Kafkaesque sans aucune protection légale ni juridique. Il est d’emblée placé en situation de détention arbitraire à l’instar de Jean-Marie Atangana Mebara, ancien secrétaire général à la Présidence du Cameroun, reconnu comme tel par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples; ou le Ministre d’État Marafa Hamidou Yaya qui a reconnu que ses déboires politiques ont commencé au moment où il a demandé au Président Paul Biya de ne plus se représenter en 2011.

Dans un pays où une vraie compétition électorale digne de ce nom est rare pour ne pas dire inexistante, cette demande a été assimilé à un vrai crime de lèse-majesté.

Ainsi dans le contexte vicié camerounais, pour pouvoir se déclarer et/ou devenir un prisonnier politique il faut aussi être capable de transformer la seule plate-forme autorisée qu’est le tribunal en sphère politique. C’est une démarche qui attire bien évidemment les foudres du régime en place, mais qui a comme principal mérite de sensibiliser l’opinion publique puis d’alerter les médias sur la nature du processus juridique et judiciaire enclenché contre l’infortuné du moment.

2) Procès Politique et Quiproquo Judiciaire

Se déclarer prisonnier politique, c’est aussi mettre le gouvernement devant un quiproquo légal et juridique, puis les contresens qui en découlent. Une dictature ne pourra jamais admettre que des purges politiques existent. Ce serait se tirer une balle dans les pieds et reconnaître que le système politique n’est pas démocratique.

Les prisonniers politiques ou “minables” sont donc être jugés comme des simples criminels de droit commun. Le hic c’est que ces prisonniers dits de droit commun sont jugés par des tribunaux spéciaux voire d’exception (à l’instar du Tribunal Criminel Spécial au Cameroun) et que leurs dossiers d’instruction ne suivent pas le canal judiciaire traditionnel, mais sont souvent instruits par des services spéciaux au nom de la sécurité nationale ou simplement du fait du prince.

Entre autres, le prévenu ne peut comparaître libre, est systématiquement placé en détention provisoire, alors même qu’il devrait normalement jouir du statut de prévenu de droit commun au moins jusqu’au prononcé du jugement. Cette privatisation du dossier judiciaire a des répercussions sur la défense, puisque les avocats n’ont généralement pas ou partiellement accès à tous les dossiers au nom de la sécurité nationale.

Ces prisonniers, pour la plupart, sont aussi embastillés, non pas dans des prisons conventionnelles mais dans des institutions militarisées ou de sécurité dite maximale, ce que Joël Didier Engo a appelé des “mouroirs concentrationnaires”.

3) Prisonnier politique, Verdict et État d’Exception

Dans une procédure politique, le verdict est prédéterminé d’avance parce que la justice passe aux ordres du politique. Un prisonnier politique, par nature, ne gagne jamais son procès, y compris défendu par les meilleurs avocats. En fait le prisonnier politique sert à ce que le philosophe Italien Giorgio Agamben appelle “Homo Sacer.” L’homo Sacer est un être qui ne peut-être sacrifié mais sa vie est disposable.

Il est embastillé et torturé mais il sert d’abord à établir un état d’exception dans lequel le souverain gouverne par décret. En effet, même comme la vie du Homo Sacer est disposable, il est en même temps un instrument essentiel du régime avec l’unique caractéristique qu’il est à la fois au centre et à la marge du régime.

La fonction de l’Homo Sacer c’est de donner une onction de légitimité à la dictature puisqu’il est exploité – ici sacrifié – pour justifier un état d’exception qui est en vérité ce qu’Achille Mbembe appelle “necropolitique”, un régime politique ou l’expression du pouvoir se réduit à la décision de vie et de mort. À ce titre, la raison d’être de homo Sacer est de servir à tout moment d’alibi politique à une dictature.

Il est intéressant de noter que le récent livre du Ministre d’État Jean Marie Atagana Mebara a été préfacé par Eric Chinje, ce journaliste autrefois présentateur du journal télévisé à la télévision nationale du Cameroun à qui le président Biya avait confié qu’il avait ce droit de “vie et de mort” sur chaque camerounais.

À ce sujet, Me Claude Assira, conseil de Jean-Marie Atangana Mebara explique objectivement que «L’exécutif camerounais utilise souvent l’opération Épervier à des fins purement politiciennes de propagande, d’intimidation ou de vindicte».

4) Le Souverain, l’Homo Sacer et Souci de Soi

Le paradoxe du Homo Sacer, c’est que le souverain ou dictateur peut aussi même se retrouver dans la situation d’un homo Sacer. Une des raisons que les dictateurs s’acharnent à retenir le pouvoir, c’est la paranoïa qu’une fois hors du pouvoir eux-mêmes peuvent devenir des homos sacer et être extradés à La Haye comme Laurent Gbagbo, ou Hissein Habre au Sénégal ou tous les génocidaires Rwandais en Tanzanie. Et l’Homo Sacer peut demain tout aussi devenir souverain comme Nelson Mandela.

La politique est un monde brutal où les coups reçus portent la marque de l’authenticité. Ce qui est important de noter, c’est que tous ceux qui restent ou se contentent d’être à la marge et se complaisent d’infantiliser ou dans le traitement condescendant voire méprisant à l’égard de ces combattants politiques, ne veulent surtout pas faire des vagues ou jouent au bon griot au nom de l’instinct naturel de survie et/ou d’éloignement personnel de la sphère politique. Les prisonniers politiques d’aujourd’hui seront certainement les leaders de demain parce que l’Histoire est de leur côté.