Les témoignages se multiplient en plein crise des enseignants camerounais. Après la révélation du cas Hamidou, mort récemment et ce, quelques jours après son intégration, les langues se délient.
C’est au tour de Olivia Manekeng de rendre son témoignage. Il s’agit d’un émouvant récit relaté par Serge Aime Bikoi. Voici l’intégralité de son histoire.
Olivia Manekeng est née le 30 mars 1979 à Douala. Après avoir obtenu ses diplômes des cycles d'enseignement primaire et secondaire, O. Manekeng décide, à l'âge de 22 ans (2001-2002), de devenir maitresse à l'école maternelle catholique de Fombap à Santchou. De 2002 à 2007, cette femme institutrice acquiert une nouvelle expérience dans un autre circuit socio-éducatif. Elle est, par la suite, maitresse à l'école publique de Balivounli Foto sans Capiemp. C'est une école créée dans la localité sans enseignant. Olivia et ses pairs font partie de l'ensemble des seigneurs de la craie ayant fait fonctionner, au quotidien, cette école durant cinq ans.
C'est en 2007 qu'elle passe le concours de l'Enieg(École normale d'instituteurs de l'enseignement général) de Dschang au point d'obtenir, à la fin de son cursus, son Capiemp (Certificat d'aptitudes pédagogiques d'instituteurs de l'enseignement maternel et primaire). Pendant trois ans de formation, l'enseignante dans l'âme a fait des stages dans des établissements scolaires de manière à densifier et à bonifier son capital d'expérience. De 2010 à 2020, la femme originaire de Santchou ajoute une corde à son arc et intègre l'école publique comme maitresse des parents(Mp). C'est un nouveau statut dans l'environnement socio-éducatif. Autant la quarantenaire enseigne dans une école primaire publique, autant elle offre ses services, de 2020 à 2022, dans une école primaire privée, en l'occurrence à l'école privée Groupe scolaire Borax(Gsb), située à Ngoa Ekellé dans l'arrondissement de Yaoundé IIIème.
En dépit de la dure épreuve sans acte d'intégration, sans salaire et sans acte de carrière, O. Manekeng n'a jamais abandonné son statut de femme enseignante. Aujourd'hui, cette femme institutrice n'est toujours pas recrutée. 12 ans déjà titulaire de Capiemp et 21 ans au service de l'enseignement au pays de Paul Biya, l'âge de cette dernière a, malheureusement, dépassé en 2020 alors qu'elle avait déjà atteint 41 ans. Rendue au bureau du ministre de l'Education de base(Minedub) en compagnie de ses pairs, il y a quelques jours, pour exposer, singulièrement, son cas, alors que le mot d'ordre de grève avait déjà été lancé le 14 février 2022, Laurent Serge Etoundi Ngoa, constatant l'âge dépassé de la plaignante, lui a, tout simplement, fait savoir qu'il n'y a que le chef de l'État qui peut décider, en pareille circonstance, du prolongement de la date de recrutement des instituteurs/trices concernés par cette déconvenue.
Dans l'optique de tenter de subvenir à ses besoins vitaux en termes d'alimentation, de santé, de logement, etc, O. Manekeng ne lâche pas du lest tant elle enseigne dans différentes écoles privées de la capitale métropolitaine. Mais la modique rétribution qu'elle perçoit lui permet-elle de combler alors ses attentes au quotidien, elle qui a une progéniture à sa charge et d'autres contraintes socio-économiques parallèles? Que nenni! Dans un témoignage qu'elle a fait circuler, le 13 mars 2022, sur les réseaux sociaux, O. Manekeng relate : "J'ai fait une étude de mon parcours de 20O1 à 2022. Pour le loyer, les bailleurs que je n'ai pas pu payer m'ont supportée jusqu'à la limite; ils m'ont mise dehors avec les enfants à Dschang et à Douala, en acceptant que dès que ma situation va s'améliorer, je vais régler. Je leur dois:
810.000 (Huit cent dix mil) Fcfa;
les boutiquiers 218.000 (Deux-cents dix huit mil) Fcfa;
les hôpitaux 645.000 (six cent quarante cinq mil) Fcfa de dette."
"J'ai dû, poursuit-elle, abandonner mes pièces- là jusqu'aujourd’hui, car j'ai un enfant malade depuis 2005. Il a dix-sept ans".
Eu égard à cette mésaventure assortie d'un parcours de femme enseignante combattante, O. Manekeng est en butte, 21 ans après, à une lassitude tant elle porte un fardeau sur ses épaules. Elle est très fatiguée et estime, sans scrupule et sans honte, que trop c'est trop. Elle a trop supporté.
"Devenant, dit-elle, la risée de son entourage", elle envoie ses supplications au Président de la république afin qu'il intercède pour les cas des instituteurs frappés, aujourd'hui, par la dispense d'âge, ainsi que pour l'ensemble des enseignants en grève concernés par la litanie des revendications listées par le collectif Ots(On a trop supporté) et le Syndicat national des instituteurs contractuels et des maîtres des parents (Snicomp), syndicat auquel elle appartient. "Papa Paul Biya, dis à ta fille comment faire pour supporter cette injustice!", conclut-elle les larmes aux yeux!