Opinions of Friday, 4 October 2024

Auteur: William Bayiha

'PRC TV', le détournement de l'ambition médiatique du Cameroun

Paul Biya Paul Biya

L'existence de la « chaîne de la présidence de la République » était déjà connue, mais ses missions officielles demeuraient quelque peu floues. Elles viennent d'être précisées en filigrane par un récent communiqué du directeur du cabinet civil de la présidence (DCC): faire de la propagande autour de la personne du chef de l'État, en complicité avec la CRTV.

Dans son communiqué, le DCC Samuel Mvondo Ayolo annonce un débat pour célébrer les 5 ans du Grand dialogue national convoqué par Paul Biya sous le thème : « Paul Biya, le Grand dialogue national et la résolution de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ». La production sera diffusée simultanément sur la chaîne présidentielle et sur la CRTV. En s'imaginant que la ligne éditoriale sera peut-être proche de celle la chaîne nationale, il ne faudrait pas fonder un espoir exagéré sur la diversité des interlocuteurs autour de ce débat.

Si on met de côté les questions d'orientation politique des contenus, une question se pose en termes de gouvernance de l'offre médiatique du Cameroun : pourquoi une institution telle que la présidence de la République a-t-elle eu besoin de monter une chaîne de télévision en interne alors qu'il existe déjà un réseau de chaînes publiques (et privées) entièrement acquis à la personne du chef de l'État ?

DE L'ARGENT À L'ANTENNE

La réponse à cette question mérite une mise en contexte. Le Cameroun est engagé depuis environ 15 ans dans une vaste stratégie à moitié implicite de conquête des opinions publiques en Afrique francophone. À la base de ce travail, se trouvent des initiatives privées que les autorités ont accompagné timidement, puis avec vigueur au fil des années. Les exemples du rachat des actifs d'Africa 24 par la même présidence en 2019 ou encore les financements et/ou les soutiens politiques accordés à Afrique Média, au groupe Vision 4, mais aussi et de manière moins souvent avouée, aux groupes tels que Canal 2 ou Équinoxe TV participent de cette action publique.

Je ne parle même pas des conférences de presse organisées à partir de 2012-2013 par Issa Tchiroma de véritables super-productions au vue du budget - et même honnêtement de l'impact médiatique au Cameroun et à l'étranger.

Au total, ce sont des milliards de francs CFA qui passent des caisses publiques aux poches privées des promoteurs de ces chaînes de télévision qui ont la particularité d'être reçues dans des millions de foyers à travers l'Afrique francophone. De l'argent qui est bien souvent dépensé par le cabinet civil en dehors de toute budgétisation systématique liée au développement de l'offre publique. En clair, il s'agit en permanence d'une action parallèle à la gouvernance médiatique formelle incarnée, pour ce qui est de la télévision, par la CRTV.

Dans un contexte où le Cameroun trouve de plus en plus un intérêt à avoir des relais internes - dont l'absence peut être problématique comme l'a démontré la crise ivoirienne de 2010-2011, les soutiens divers et variés ont de fait reçu l'assentiment de Paul Biya.

MAPARTISME

Or la question se pose pour l'entourage : comment profiter aussi, à titre personnel, de cette enveloppe immense qui nous passe sous le nez et dont la gestion n'est même pas opaque entendu qu'il n'y a aucun contrôle possible sur le secteur ?

L'une des réponses a été la création d'un service en interne qui prétend porter directement les opinions du patron aux populations en contournant les réseaux médiatiques des anciens hauts fonctionnaires de la présidence, des réseaux qui ont la fâcheuse tendance à s'affranchir ces derniers temps. Ce service s'appelle PRC TV. Il y a tout d'une chaîne de télévision classique : identité visuelle et sonore, canal de diffusion sur la TNT, productions. Quid de la personnalité juridique ? Sans doute un casse-tête pour juriste.

C'est dans cette logique qu'une personnalité telle que Charles Atangana Manda, ancien directeur de l'Observatoire national des médias a été sorti de sa prime retraite dès 2021 pour œuvrer à la structuration éditoriale de la télé de Paul Biya.

Une valeur sûre ? Peut-être ! Le documentaire intitulé « Paul Biya, un grand homme d'État au destin prodigieux » qu'il a réalisé préfigure peut-être un peu plus clairement l'idée qui s'est imposée parmi les proches de Mvondo Ayolo: se constituer comme la centrale de propagande qui alimente les médias publics et privés en biscuits pro-Biya prêts à consommer. Une stratégie gagnante ? Le documentaire dont la qualité n'a convaincu que peu de monde a été diffusé par cinq chaînes au Cameroun et le débat annoncé sur le grand dialogue national sera aussi diffusé sur la CRTV. Une utilité trouvée à s'immiscer dans la programmation des autres. De gré ou de force.