Opinions of Monday, 24 October 2022

Auteur: Njiki Fandono

Paul Biya renforce le brouillard - Njiki Fandono

Paul Biya Paul Biya

En quarante ans de pouvoir (le 6 novembre 2022) sans partage, le président de la République du Cameroun semble n'avoir rien perdu de ses traits politiques les plus commentés : impitoyable et imprévisible. Il affiche rarement ses cartes, même lorsque tout le monde ou presque, le croit profondément éreinté par le poids de l'âge (89 ans) et usé par la longévité.

En fauve politique rompu, "l'homme lion" dévore froidement ses proies dans un silence énigmatique, à la fois troublant pour ses adversaires et faussement rassurant pour les ambitieux qui l'entourent. En homme d'Etat expérimenté, le lecteur et grand admirateur de Winston Churchill s'arroge la maîtrise du temps, faisant de lui le maître des horloges, celui qui tient d'une main de fer les clés de l'alternance dans un pays où la peur des lendemains chaotiques côtoie insidieusement les envies d'un changement démocratique et pacifique. Le chef de l'Etat en a certainement conscience, mais le natif de Mvomékaa dans le Sud Cameroun s'amuse avec la météo, brouillant quasiment toutes les pistes, aussi évidentes en apparence que fantasques, quitte à décevoir la galaxie des thuriféraires qui rêvent du pouvoir sur un tapis de velours. Evocation de trois indices récents.

Franck Biya, renvoyé aux vestiaires

Le fils aîné du président à qui l’on ne connait aucun rôle officiel dans le dispositif étatique n'apparaît plus sur la pelouse médiatique des dauphins putatifs, lui dont les ambitions non déclarées semblaient gagner du terrain à travers le très controversé Mouvement citoyen des franckistes pour la paix et l’unité (Mcfp). Une organisation créée par les soutiens du conseiller officieux du chef de l'Etat, avec des objectifs clairs : préparer l'opinion à l'accepter comme successeur de Paul BIYA à la tête du Cameroun. Si le mouvement n'a pas été officiellement dissout, ses activités sont en berne depuis l’interdiction des effigies à la gloire de Franck Biya lors de la visite officielle du président français au Cameroun en juillet 2022. Les instructions contre la campagne des frankistes sont venues tout droit de la présidence, preuve que Paul Biya aurait peu goûté à ce que la société civile et l’opposition considéraient comme un ballon d’essai, redoutant ainsi l’hypothèse d'un scénario de succession dynastique et héréditaire à la Bongo, Eyadema, Deby, ou dans une certaine mesure Obiang Nguema et Sasou Nguesso, dont les fils sont d'ores et déjà positionnés au cœur du pouvoir et prêts à prendre les commandes.

Ferdinand Ngoh Ngoh, la désillusion ?

De tous les ambitieux de l’ombre supposés ou réels, le cas de l’actuel Secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr) embarrasse le plus. Réputé proche de la première dame Chantal Biya, le natif de Minta dans la Haute-Sanaga étonne par sa longévité au poste qu’il occupe depuis le 9 décembre 2011 et détonne par son influence quasi-excessive. De nombreux membres du gouvernement dont certains doivent leur ascension au Sgpr selon des indiscrétions lui vouent une allégeance intrigante, au détriment du Premier ministre et chef du gouvernement, supposé être leur hiérarchie dans l’ordre protocolaire. Mais depuis le regain de souveraineté recouvré par le prince, le tout puissant Sgpr se fait plus discret et atone dans l’exercice de ses fonctions, tout comme cette formule frénétique jamais rendue autant célèbre sous le renouveau : «sur Très Hautes instructions du Chef de l’Etat». Au plan judiciaire, le «vice-dieu» traverse une zone de turbulence, empêtré dans la gestion des fonds dédiés à la gestion du Covid 19, dans le cadre d’une enquête validée par le président de la République lui-même. La rumeur sur son audition imminente et physique au Tribunal criminel spécial est sur toutes les lèvres à Yaoundé, et celui qui s’était taillé une réputation de présidentiable au sein de l’opinion serait plus que jamais sur la sellette, comme ses prédécesseurs au destin tragique.


Retour progressif des manifestations du MRC

A côté des deux figures dont la situation témoigne d’une volonté récente et réaffirmée de Paul Biya d’entretenir le suspense de l'alternance jusqu’au bout, se trouve un troisième indice non négligeable. A savoir le retour progressif des manifestations publiques du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Une détente politique louable, car l’interdiction et la répression systématique des réunions et manifestations de l’opposition apparaissent comme une stratégie anti-démocratique savamment huilée par le système pour museler les adversaires politiques les plus redoutables et baliser sans encombre le chemin d’une passation illégitime du pouvoir. Le président aurait-il ordonné cette détente qui revitalise le jeu démocratique ? Difficile à savoir mais il va sans dire selon toute vraisemblance que cette nouvelle dynamique ne plait pas beaucoup aux apparatchiks et adeptes du statu quo, si l’on en juge par la multiplicité des tracasseries pas toujours fondées de l’administration pour décourager les organisateurs et manifestants de l’opposition. Un contraste saisissant avec le vœu de l’homme du 6 novembre 1982 qui voudrait qu’on garde de lui l’image de celui qui a apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun.