Le chef de l’Etat camerounais passe pour l’un des plus secrets du continent africain. Enigmatique et imprévisible, il est au pouvoir depuis 29 ans. Ses adversaires le disent usé et de plus en plus coupé des réalités du pays.
Ceux qui le connaissent ou le combattent disent volontiers du président du Cameroun qu’il est un homme difficile à cerner.
A la fois prudent et attentif à ce qui se dit sur lui, patient et fin manœuvrier, Paul Biya est surnommé «l’homme-lion» ou «le sphinx», une sorte de doublure du «Prince» de Machiavel.
S’il ne jouit plus d’une très grande popularité dans les quartiers, et si on sait très peu de choses de lui, il est, de loin, le personnage le plus connu au Cameroun.
Quand il arrive au pouvoir en 1982 à la suite de la démission de l’ancien président Ahmadou Ahidjo, le personnage fascine par sa jeunesse et la modernité de son discours.
Déjà, à cette époque, on sait peu de choses de lui, même si auparavant il a été Premier ministre et a gravi tous les échelons de la fonction publique. Ses apparitions publiques sont suffisamment rares pour être remarquées et les ambitions qu’il affiche pour son pays suscitent un certain enthousiasme.
C’est «l’homme du renouveau». Il parle de la rigueur économique et de la moralisation des comportements. Il fait du «libéralisme communautaire» le socle de son action politique, un dosage de libre entreprise teintée de solidarité nationale, de justice sociale couplée à une répartition équitable des fruits de la croissance. Et, chose rare, il parle de la modernisation de l’Etat et de l’avènement du multipartisme.
Ce programme ambitieux fait vite du jeune président un homme populaire, dont la plupart des musiciens des années 80 au Cameroun chantent la gloire, mais que les populations ne voient et n’entendent que très peu.
Un mutisme qui n’a de cesse de s’amplifier et d’alimenter les conversations depuis près de trente ans.
Le putsch manqué
Une fois affichées quand il arrive au pouvoir, les ambitions de Paul Biya voleront en éclats à partir de 1984. Après la tentative de coup d’Etat qu’il a essuyée le 6 avril de cette année-là, le président camerounais se terre dans un silence assourdissant. Des tensions feutrées apparaissent entre les ressortissants du sud, dont le président est originaire, et ceux du nord, fief de l’ancien président que certains soupçonnent d’avoir fomenté le coup d’Etat manqué.
Un système clanique se forme progressivement. Les vieux démons resurgissent, les libertés publiques sont encore plus restreintes qu’avant, et la presse est muselée. Toute référence à l’ancien président, exilé à Dakar au Sénégal, est passible d’emprisonnement. La psychose règne, du sommet de l’Etat jusque dans les chaumières des quartiers populaires.
Personne, si ce n’est peut-être son entourage, ne voit le président. Dans les quartiers, il se raconte qu’il ne vit ni au palais ni à Yaoundé. Selon une légende, il porterait en permanence un gilet pare-balles.
On le dit souvent parti pour l’étranger, pour ne réapparaître que pour les grands événements nationaux comme les comices agro-pastoraux, les sommets de chefs d’Etat ou encore la fête nationale.
Même lors des premières grosses secousses que connaît son régime dès le début des années 90, à l’instar de plusieurs autres pays africains, avec les revendications pour l’instauration du multipartisme, Paul Biya s’exprime peu.
L’énigmatique président démontre cependant son côté fin stratège pendant l’opération «villes mortes» qu’a connu Douala, la capitale économique, et Bafoussam dans l’Ouest, en 1991.
A l’opposition naissante et mal organisée qui réclame une Conférence nationale souveraine (CNS), Paul Biya offre une tiède conférence tripartite entre le gouvernement, l’opposition et la société civile.
En 1992, il remporte d’une courte tête face à son rival Ni John fru Ndi, le leader du Front social démocratique (SDF), la première élection multipartite depuis l’indépendance du Cameroun en 1960. Il sera réélu «à une écrasante majorité» en 1997 et en 2004, date à laquelle il instaure le septennat.
Trois ans plus tard, celui qui est aussi président du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, annonce son intention de modifier la Constitution du pays, qui limite alors le mandat présidentiel à deux exercices.
Les organisations non-gouvernementales dénoncent une restriction des libertés fondamentales et les partis d’opposition grondent sans pouvoir se faire entendre.
Des adversaires inaudibles
Si Paul Biya semble peu présent sur l’arène politique depuis qu’il a pris le pouvoir il y a 29 ans, ses nombreux opposants peinent cependant à occuper le terrain.
Après le fol espoir suscité par le vent de libéralisation des années 90, «ils se sont lentement englués dans des luttes internes à leurs partis et dans des revendications purement électoralistes», estime l’éditorialiste d’un quotidien basé à Yaoundé.
Ils se seraient aussi «perdus en conjectures sur la santé du président, ses voyages à l’étranger et sur les soupçons de corruption», estime un autre journaliste camerounais.
La prochaine élection présidentielle, prévue en principe au mois d’octobre 2011, ne suscite pas beaucoup l’intérêt des populations.
Les Camerounais ne se font pas d’illusions quant à la réélection de Paul Biya, même si ce dernier n’a pas encore annoncé sa candidature.
De plus, ils peinent à voir émerger une offre d’alternance crédible. Le SDF, le parti de son adversaire légendaire Fru Ndi, ne pèse plus grand-chose, malgré le groupe parlementaire qu’il a réussi à former à l’Assemblée.
Et on peut s’interroger sur le poids réel de Pierre Mila Assouté, exilé en France, ex-député du parti au pouvoir, devenu depuis l’un de ses opposants les plus médiatiques, et que certains voient comme un possible challenger de Biya lors de la prochaine présidentielle. Venant Mboua Massock, l’initiateur des «villes mortes» de 1991 ne constitue plus réellement une menace pour le régime.
Même l’opposante Edith Kah Walla, transfuge du SDF et aujourd’hui leader du parti Cameroun O Boso, vient d’annoncer sa candidature à la présidentielle. Mais la ligne dure qu’elle incarne peine à convaincre.
Les observateurs s’accordent à dire que Paul Biya, gr'ce à la patience et à la discrétion qui le caractérisent, a réussi à museler l’opposition. D’abord en encourageant la création de nombreux partis, ensuite en leur tendant le piège de la «mangeoire».
En 2000, il a en effet fait voter une loi sur le financement public des partis politiques. Au Cameroun, d’après cette loi, «les partis politiques légalement reconnus peuvent bénéficier du financement public dans le cadre de leurs missions d’expression des suffrages. Le financement public concerne aussi bien les dépenses couvrant les activités permanentes des partis politiques que celles consacrées à l’organisation des campagnes électorales». Un vrai guet-apens, puisque la vingtaine de formations politiques de l’opposition se disputent aujourd’hui une manne de 1,5 milliard de francs CFA (2,3 millions d’euros).
D’où les dissensions actuelles quant à une candidature unique de l’opposition à la prochaine échéance électorale.
Le président du Cameroun sait qu’il tient ses adversaires par ce levier. Ces derniers continuent pourtant de dénoncer les violations des libertés publiques, la corruption et les absences fréquentes et souvent très longues de Paul Biya du Cameroun et son mutisme sur nombre de grands sujets nationaux.
Les partisans du régime parlent d’une «stratégie». Ce point de vue est aussi soutenu par le journaliste François Mattéi, dans son ouvrage Le Code Biya. Mattéi estime que, «sans doute, Paul Biya conçoit la politique comme jadis Eric Tabarly la course au large. Il observe le silence radio pour endormir l’adversaire et surgir là où on ne l’attend pas, alors qu’on le croyait perdu». Ainsi, lorsqu’en 2004 une rumeur persistante le donne pour mort alors qu’il est absent du pays, à son retour le chef d’Etat déclare avec ironie qu’il donne «rendez-vous à ses détracteurs pour dans vingt ans».
A tout cela, l’opposant Mila Assouté répond que «Biya ne parle pas tout simplement parce qu’il n’a rien à dire». Anicet Ekanè, le président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), a aussi son analyse:
«C’est l’illustration parfaite de ce que les années de pouvoir finissent, à terme, par vous déconnecter de la réalité. Comment voulez-vous que Paul Biya ait une idée des souffrances du peuple?»
L’éternel «renouveau»
Stratégie ou pas, la discrétion du Président camerounais et sa faible présence sur le terrain du jeu politique au Cameroun alimentent les conversations et compliquent la t'che de l’opposition.
Comment les opposants peuvent-ils en effet le combattre efficacement, dans la mesure où ils ne le voient jamais ni ne savent jamais ce qu’il pense ou dit? La date de la prochaine présidentielle n’est pas encore publiée, même si les Camerounais savent qu’elle pourrait se tenir au mois d’octobre. Et le dernier conseil des ministres que Paul Biya a présidé date de juillet 2009…
Le flou total règne sur la destination de ses séjours à l’étranger. Certains pensent qu’il vivrait en partie à Genève en Suisse où les enfants qu’il a eus avec Chantal Biya, sa seconde épouse, sont scolarisés. D’aucuns parlent de Baden-Baden en Allemagne, d’autres encore évoquent La Baule.
Un séjour dans cette ville de l’ouest de la France a notamment défrayé la chronique il y a quelques temps, puisque le voyage aurait coûté la somme de 800.000 euros en trois semaines.
Selon un document élaboré par la Commission nationale anticorruption, 2,8 milliards d’euros auraient été détournés en six ans, de 1998 à 2004, au Cameroun. Alors que 48% des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon le CIA Factbook. Selon l’ONG Transparency International, le Cameroun est perçu comme l’un des pays les plus corrompus au monde.
En 2011, le Cameroun est encore classé Pays pauvre très endetté (PPTE) par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Paul Biya est actuellement visé par une enquête préliminaire ouverte par le Parquet de Paris pour «recel de détournements de fonds publics», suite à des plaintes déposées par des associations de Camerounais à l’étranger (le Conseil Camerounais de la diaspora et l’Union pour une diaspora active).
Pour faire taire les critiques, le président camerounais a lancé une campagne d’assainissement des mœurs et des comptes publics. L’opération anti-corruption Epervier, démarrée en 2004, a produit quelques coups d’éclat avec l’arrestation de plusieurs pontes du régime, avant de s’essouffler.
Du coup, très peu croient en son efficacité. Ceci d’autant plus que la lutte contre la corruption était déjà la promesse de Biya en arrivant au pouvoir, il y aura bientôt trois décennies.