Les rumeurs de complicité entre l’homme d’affaires camerounais Paul Fokam Kammogné, Guillaume Soro et Djibril Bassolé dans le récent coup d’Etat militaire qui a paralysé le Burkina Faso, agitent particulièrement la presse camerounaise depuis le 12 novembre. L’homme est l’un des plus grands de la finance africaine aujourd’hui.
Le document sonore de 16 minutes, en circulation sur Internet, rend compte d’une longue conversation qu’auraient eue le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro et le dernier ministre burkinabè des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré, Djibril Bassolé. Les deux voix planifient clairement la déstabilisation du pouvoir de transition au «pays des hommes intègres».
À écouter ces enregistrements, la voix attribuée à M. Soro propose une aide financière à Bassolé pour mobiliser des rebelles, déstabiliser l’armée et assurer la victoire des insurgés avec le concours de Paul Fokam Kammogné. L'ancien chef rebelle ivoirien aurait cité entre autre Hamed Bakayoko, Alassane Ouattara, un rapport de Faure Gnassingbé, le candidat à la présidentielle Roch Kaboré, pour qui «c'est déjà plié», sous entendant ainsi qu'il a déjà gagné l’élection et qu’un homme d'affaires camerounais, Paul Fokam Kammogné, toujours selon les dires de Soro, via l'actuel ministre de l'Intérieur ivoirien, financerait sa campagne sans que Ouattara en soit informé. Cette fuite, subodorent des spécialistes, proviendrait probablement d'écoutes de services occidentaux.
Dans l’échange, la voix attribuée à Guillaume Soro dit : «Je peux même t’envoyer des mails où il (Hamed Bakayoko ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de Côte d’ivoire, Ndlr) est allé chercher Dr Fokam du Cameroun-là, qui doit financer l’argent de Roch. Il [Bakayoko] a connu Roch avec Pierre Fakhouri, ils ont déjà monté des dossiers pour financer la campagne de Roch. Et tout ça là, c’est dans le dos d’Alassane parce qu’Alassane ne sait pas. C’est moi qui sais. Moi, je n’ai pas dit à Alassane parce qu’il va dire que je m’acharne […].» En effet, ni Guillaume Soro Kigbafori (président de l’Assemblée nationale de Côte d’ivoire) et son interlocuteur Djibril Bassolé (ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré), ni Hamed Bakayoko (ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de Côte d’ivoire), encore moins le candidat à l’élection présidentielle Marc Roch Christian Kaboré, n’ont démenti officiellement l’authenticité ou le contenu de la conversation. Pourquoi ?
Dans les coulisses en revanche, de fins observateurs de la scène politique burkinabé soutiennent que le candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (Mpp) à la présidentielle du 29 novembre jouit non seulement d’une solide expérience dans les hautes sphères de l’État, mais également d’un réseau de connexions influentes dans la sous-région et bien au-delà. Il n’est plus un secret que, pour espérer arriver à la tête du Burkina Faso, le candidat Roch compte s’appuyer sur de nombreux réseaux et amitiés.
Et, d’après des indiscrétions, il ne serait donc pas exagéré de parler d’échanges informels, voire de rapprochements entre l’entourage du riche homme d’affaires camerounais et le Premier ministre burkinabé. Sinon, pourquoi le promoteur de la télévision en ligne Vox Africa entretiendrait-il un théâtre d’ombres autour de ses rapports avec le candidat à la présidentielle Roch Kaboré ?
Caméléon politique
Dans le tumulte provoqué par ces enregistrements sonores, l’homme d’affaires camerounais préfère se réfugier dans une victimisation à outrance, invoquant des «élucubrations». «Si vous voyez le journal qui a écrit ça, vous comprendrez que ce n’est pas un journal. Si j’étais intervenu dans cette affaire, posez-vous la question de savoir qui m’a appelé ? Qu’est-ce qu’on me demandait de faire ? Je ne suis concerné ni de près ni de loin par cette affaire», s’est-il exprimé mardi dernier, lors de l’assemblée générale ordinaire de l‘Association Mc2 dont il est le parrain.
On constate néanmoins que, parmi les mis en cause dans l’échange téléphonique entre Guillaume Soro et Djibril Bassolé, seul le banquier camerounais a craqué, faisant ainsi des autres protagonistes de grands muets. In fine, la sortie de l’une des plus grosses fortunes d’Afrique subsaharienne francophone, selon le dernier classement du magazine Forbes, ne fait qu’amplifier les soupçons.
Le patron d’Afriland First Bank ne se contente pas seulement de tancer le média qui s’est fait l’écho du document sonore, il voit aussi, derrière cette affaire, la main de personnes «jalouses» de son travail. Le flegmatique Paul Fokam Kammogné, pince sans rire, déclare que «même le président Paul Biya sait qui fait quoi dans ce pays. Personne ne peut le tromper». Le chef de l’État camerounais se retrouve ici pris à témoin dans une démarche qui, là aussi, laisse songeur pour une histoire concernant le Burkina.
N’empêche que, dans la foulée des étranges écoutes téléphoniques, ressort aujourd’hui le portrait d’un homme qui, dans son pays natal, est soupçonné d’être un dangereux caméléon politique.
Selon des sources introduites en effet, M Fokam Kammogné, qui s’affiche régulièrement dans les activités mondaines du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc, au pouvoir), est également et localement présenté comme l’un des gros financiers du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) du virulent Maurice Kamto, qui se voit déjà à Etoudi au lendemain de la présidentielle prévue en 2018. Il n’est jamais bon de mettre tous ses œufs dans le même panier, a-t-on coutume de dire. Et la posture de traitrise du patron d’Afriland est là pour confirmer cette assertion que beaucoup murmurent depuis des années.
Dans les salons huppés de Yaoundé, l’on subodore que si le milliardaire a effectivement joué un rôle dans l’insurrection ayant renversé l’ancien président burkinabé, il pourrait également constituer une menace pour le régime de Paul Biya. Le groupe Afriland First Bank, qu’il coiffe est, en dehors du Cameroun, présent en Côte d’Ivoire, au Benin, en République démocratique du Congo et en Guinée Équatoriale, entre autres pays.
Il n’est donc pas exclu qu’il dispose de solides attaches du côté du Burkina Faso, où ont séjourné de farouches opposants du régime Biya tels que le capitaine Guerandi Mbara, Dominique Djeukam Tchameni et autre Ndzana Seme. Nous y reviendrons.