Au moment où l’étoile du président Idriss Déby Itno semble briller au firmament en raison de ses victoires militaires contre les « fous d’Allah » au Mali et au Nigeria et qu’il s’affirme comme l’homme fort du Sahel, un passage nuageux a terni cet éclat.
En effet, ce 2 septembre 2015, des victimes de génocide du Tchad ont déposé , par l’intermédiaire de Maître Jacques Ndiaye, avocat au Barreau de Dakar, une plainte contre lui pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et tortures.
Sur la base de l’article 10 des statuts des Chambres Africaines, cette plainte qui intervient après une première déposée en juin dernier, ouvre des enquêtes au Tchad et en cas de refus de répondre, le président Déby pourrait faire l’objet d’un mandat d’arrêt international.
Le président Idriss Déby a sans doute des soucis à se faire car son passé ne plaide pas en sa faveur. En 1981, le jeune chef d’état-major des Forces Armées du Nord (FAN) de Hissène Habré, à l’époque âgé de 29 ans, joua un rôle trouble dans la guerre civile qui les opposa aux forces tchado-libyennes de Goukouni Weddeye.
Après cette violente conquête du pouvoir, s’en est suivie la brutale «pacification» du pays. Commandant en chef des Forces armées nationales tchadiennes (FANT), c’est sous son autorité qu’est menée, en 1984, la terrible répression dans le Sud, marquée par des exécutions ciblées et des massacres de masse connus sous le nom de septembre noir.
Déby le reconnaît lui-même en novembre 1984, dans le quotidien français Le Figaro en ces termes : «C’est une lutte sans cadeau où nous appliquons une justice expéditive et exemplaire. » On comprend d’ailleurs la fébrilité du régime tchadien face au dossier Hissène Habré. En effet, la justice tchadienne a refusé le transfèrement à Dakar de deux témoins clés, Mahamat Djibrine et Saleh Younous, qu’elle s’est empressée de juger elle-même.
Tôt ou tard, Déby devra répondre de son passé
Mais quelles sont les chances de voir cette nouvelle plainte aboutir ? Elles semblent minimes, tant qu’Idriss Déby Itno est au pouvoir, car disposant de toutes les possibilités d’étouffer l’affaire soit en maniant l’arme de la peur, soit encore en dissimulant des preuves ou encore en soudoyant certaines victimes.
On sait aussi que Déby n’a pas l’étoffe du président guatemaltèque, Ouo Perez, qui a eu de la hauteur, en rendant le tablier sitôt accusé par la Justice de son pays. On peut cependant déjà se réjouir du fait que la plainte mette le président Déby dans ses petits souliers et constitue un avertissement pour tous les prédateurs de vie humaine qui ne peuvent plus se sentir en sécurité nulle part sur la planète.
C’est surtout l’opposition tchadienne qui doit se frotter les mains car elle reçoit de l’eau dans son moulin, pour faire face au refus obstiné de l’alternance de Déby. Elle peut très avantageusement embrayer sur ce passé ténébreux de Idriss Déby qui constitue son talon d’Achille, même s’il existe le risque que le dictateur y trouve une raison de s’arcbouter ad vitam aeternam au pouvoir.
L’autre question que l’on pourrait se poser, c’est « quel effet ces plaintes pourraient avoir sur le procès Habré à Dakar ? » Jusque-là, à en croire les acteurs du dossier, Déby n’avait guère de souci à se faire et les autorités tchadiennes usaient du procès comme d’un dérivatif face aux tensions internes, présentant Déby comme l’homme providentiel qui a réussi à débarrasser le Tchad d’un dictateur féroce.
Mais avec cette nouvelle donne, le président sait que tous les épisodes sanglants du régime seront évoqués à la barre et suivis avec attention et que tôt ou tard, il devra répondre de son passé devant le tribunal de l’Histoire.