Les agents de la police nationale camerounaise sont souvent pointés du doigt pour les violations de droits de l'homme et des traitements dégradants infligés aux citoyens. A l'occasion de l'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations CANTotalEnergies 2022, l'éditorialiste Roland TSAPI revient sur les carences de cette institutions sécuritaire et fait démontre le lien étroit qui existe entre cette dernière et la façon dont le Cameroun est gouverné.
Le Cameroun doit faire peau neuve, ne serait-ce qu’à l’occasion de l’organisation de la 33eme édition de la coupe d’Afrique des nations en janvier 2022. Le discours est sur toutes les lèvres dans la sphère étatique. L’objectif est de projeter une image de propreté, certes de surface à ces étrangers qui vont fouler le sol camerounais. Jusqu’à date le travail d‘embellissement semble s’arrêter à la construction ou la rénovation des infrastructures, on oublie que le premier contact d’un étranger c’est avec les hommes, qui tardent pourtant à opérer aussi un changement à l’occasion, ne serait-ce que pour cette occasion.
D’ailleurs, on peut toujours se tromper en se disant que c’est à la veille de la compétition que les délégations vont arriver et ne verront que ce qui aura été préparé pour eux. Mais toutes ces délégations sont déjà au Cameroun avec des missions avancées, des sentinelles venues prendre le pouls, se frotter aux habitudes, être confrontées aux pratiques quotidiennes. Elles sont là dans la société, elles vont dans les marchés et font eux-mêmes le constat, elles prennent des taxis en ville, des bus pour les voyages interurbains, elles voient surtout l’attitude de la police camerounaise, et font rapidement la comparaison avec ce qu’elles ont chez elles, et au final c’est cette image qu’elles retiendront, et pas les haies d’honneur méticuleusement préparés pour l’accueil à l’aéroport ou dans les hôtels.
Un coup de sifflet suffit, les conducteurs des véhicules se garent sur les abords de la route et parfois sur la chaussée, et les retrouvent sous l’arbre, dans le bosquet ou dans la voiture transformée à l’occasion en guichet. Le prix du péage varie en fonction du type de véhicule, de 500 à 2000 francs cfa, et un peu plus dans des circonstances particulières ou s’il y a des « arriérés. »
Peau dure
Pas besoin de revenir sur les tares de cette police, mais l’on ne peut ne pas remarquer comme les délégations étrangères qui sont déjà au Cameroun, qu’elle est au cœur de la corruption à ciel ouvert, pratiquée sur les routes urbaines et interurbaines. Sous le prétexte des contrôles routiers, l’extorsion de l’argent aux usagers se porte toujours bien. Avec des motards ou des véhicules banalisés, elles montent des embuscades tout le long des axes routiers, et les postes de contrôles sont en réalité des postes de péages privés. Un coup de sifflet suffit, les conducteurs des véhicules se garent sur les abords de la route et parfois sur la chaussée, et les retrouvent sous l’arbre, dans le bosquet ou dans la voiture transformée à l’occasion en guichet. Le prix du péage varie en fonction du type de véhicule, de 500 à 2000 francs CFA, et un peu plus dans des circonstances particulières ou s’il y a des « arriérés. »
Sur des tronçons reliant les chefs-lieux de régions aux départements, Bafoussam Mbouda ou Bafoussam Dschang par exemple, les conducteurs des véhicules de transports savent qu’ils doivent payer deux fois au « péage » du carrefour Bamougoum, la patrouille du matin et celle de l’après-midi. Sur les corridors Douala-Ndjamena ou Douala-Bangui les tracasseries policières sont légendaires. Le Tchad a même, à cause de cela, déporté le débarquement de certaines de ses marchandises sur le port de Cotonou au Bénin, préférant parcourir de plus longues distances terrestres que de subir les tracasseries du territoire camerounais.
C’est à se demander si c’est dans cette pratique qu’elle trouve de quoi vivre, qu’elle se paye un salaire ou se soigne. La police au Cameroun est pourtant l’un des enfants chéris des régimes successifs Ahidjo et Biya. Comme stipulé à l’article 3 (1) du décret n° 2001/065 du 12 mars 2001 portant statut spécial du corps des fonctionnaires de la Sûreté Nationale, « Le corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale est placé sous autorité directe du président de la République.» Ce corps bénéficie alors d’un traitement à faire pâlir les autres corps de métier.
Traitement princier
Entre la police camerounaise et la corruption, le mariage semble être pour le meilleur et pour le pire. Les rapports de la Commission nationale anticorruption, de Transparency international pour ne citer que ces organes, la classent chaque année parmi les corps les plus touchés par le fléau, mais la gangrène persiste, et se perfectionne avec le temps. C’est à se demander si c’est dans cette pratique qu’elle trouve de quoi vivre, qu’elle se paye un salaire ou se soigne. La police au Cameroun est pourtant l’un des enfants chéris des régimes successifs Ahidjo et Biya.
Comme stipulé à l’article 3 (1) du décret n° 2001/065 du 12 mars 2001 portant statut spécial du corps des fonctionnaires de la Sûreté Nationale, « Le corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale est placé sous autorité directe du président de la République.» Ce corps bénéficie alors d’un traitement à faire pâlir les autres corps de métier. A titre d’exemple, d’après l’article 13 (1) de ce décret « le fonctionnaire de la Sûreté Nationale a droit au logement. Toutefois, quand l’administration n’a pas pu pourvoir à son logement, il perçoit une indemnité pour non logement. »
Autrement dit, le jeune policier titulaire d’un Bepc, sorti de l’école de formation de Mutenguené a droit à un logement payé par l’Etat, ce qui n’est pas le cas pour un enseignant d’université titulaire d’un doctorat, ou d’un médecin qui a fait 7 années d’études après le baccalauréat. Article 15: « le fonctionnaire de la Sûreté nationale a droit pour lui-même, son conjoint et ses enfants à charge, à la gratuité des consultations et des soins médicaux dans les formations sanitaires publiques. Toutefois, le fonctionnaire qui a supporté ces frais a droit au remboursement. Article 17:
1. Le fonctionnaire de la Sûreté nationale a droit conformément aux règles fixées par la loi pénale, à la protection contre les menaces, outrages, injures ou diffamation dont il peut être l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
2. Le fonctionnaire victime des faits visés à l’alinéa 1er ci-dessus ne peut engager de poursuites judiciaires que sur autorisation préalable du chef de corps de la Sûreté nationale.
3. Dans ce cas, le trésor public avance les sommes devant couvrir les frais de justice à la charge du fonctionnaire. »
Tout ceci peut être résumé simplement en ces termes : le policier qui a instauré un péage à la sortie de la ville, ne paye pas de loyer, l’Etat le fait pour lui. Il ne dépense pas de l’argent à l’hôpital pour se soigner, son partenaire officiel et ses enfants inclus, il ou elle ne dépense pas de l’argent sur l’habillement comme d’autres fonctionnaires qui changent de tenue tous les jours, l’Etat leur donne une tenue régulièrement renouvelée, et pour d’autre une arme pour se protéger. En retour, que lui demande-t-on ? Article 21, « (1) Le fonctionnaire de la Sûreté nationale a l’obligation de servir les institutions de la République et d’apporter aide et protection aux citoyens. (2) Il est tenu d’exercer ses fonctions avec honneur, dévouement, fidélité, loyauté, loyalisme, impartialité, intégrité, diligence et efficacité, conformément aux lois et règlements de la République. » Rien que cela. Est-ce vraiment trop demander, pour qu’ils exigent un salaire supplémentaire à ciel ouvert aux usagers, sans reçu ?
Bien entendu on ne peut perdre de vue que le corps de la police fait partie d’un tout, elle ne fonctionne pas en vase clos. Quand les feuilles d’une plante jaunissent, le problème est à la racine. L’image que projette la police n’est que le reflet du système.