Opinions of Wednesday, 8 July 2015

Auteur: Olivier Ray

Pourquoi aider les régions menacées par Boko Haram ?

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L’aide au développement, dont la tâche est rendue périlleuse par la présence de la secte « Boko Haram » dans la zone du lac Tchad, est plus essentielle que jamais pour faire reculer durablement la menace terroriste en Afrique.

La percée du groupe radical Boko Haram est un phénomène aussi soudain que massif. Son combat asymétrique mené à dos de motos chinoises a surpris les professionnels de la sécurité. Malgré de récentes défaites, il nargue les forces nigérianes, parmi les mieux armées du continent, et inflige de lourdes pertes à l’armée tchadienne – longtemps considérée comme l’une des plus agiles.

Ses mutations impromptues interpellent les chercheurs en sciences sociales. Mouvement sectaire, politique et social à l’idéologie malléable, enraciné dans un terreau local tout en empruntant les codes de l’internationale djihadiste, il échappe aux grilles de lecture traditionnelles de la région.

Enfin, son expansion au-delà des frontières du Nigeria met au défi les organisations de la solidarité internationale, démunies face à l’usage illimité de la brutalité et dépassées par l’ampleur des besoins. Leur action sur le terreau économique et social de la violence est pourtant un maillon clef du retour de la paix dans la région du lac Tchad.

Dans une situation volatile et pleine d’inconnues, trois constats semblent établis. Premièrement, la seule répression ne permettra pas de venir à bout des mouvements djihadistes : si l’alliance des armées de la région a permis d’acculer le « califat » décrété par Boko Haram, le mouvement réapparaîtra comme il a pu le faire par le passé si ses causes sous-jacentes ne sont pas traitées.

Deuxièmement, sans une action en profondeur aux périphéries de la crise, celle-ci se répandra comme une tâche d’huile au Niger, au Nord-Cameroun et au Tchad : le déplacement de centaines de milliers de réfugiés déstabilise des sociétés vulnérables et menace d’embraser les tensions entre communautés.

Troisièmement, l’expérience montre que le coût – économique, humain, politique – d’une extension du conflit serait bien supérieur à celui d’une action préventive pour en réduire le risque.

Que pouvons-nous faire ? Les institutions d’aide au développement s’emploient à adapter leurs modes d’action à l’insécurité chronique qui mine leurs capacités d’action. S’il est essentiel qu’elles y parviennent, c’est parce que les activités qu’elles financent permettent d’agir sur les fragilités dans lesquelles les mouvements terroristes prennent racine. Prenons quatre illustrations

L’inactivité économique de jeunes qui peinent à trouver une place dans des sociétés patriarcales offre à la secte un vivier de recrutement qui s’étend bien au-delà du fief du mouvement, au Nord-Est du Nigeria. En confiant une kalachnikov et une moto à certaines de ses recrues, Boko Haram leur donne une source de revenus, un statut social, un sentiment d’appartenance.

Les agences de développement financent des projets de travaux à haute intensité de main-d’œuvre. Les chantiers de construction de routes, de barrages ou d’écoles permettent d’employer des milliers de jeunes, fournissant activités et revenus alternatifs à l’offre des groupes armés.

L’absence de services publics sur des pans entiers du territoire contribue à la perte de légitimité de l’Etat aux yeux des citoyens. Elle ouvre la voie aux tenants de son remplacement par un califat mythifié, régi par une charia idéalisée. L’aide au développement, en accompagnant le retour de services de santé dans les villages reculés, montre le visage d’un Etat au service de ses citoyens.

La déroute du système d’éducation publique, concomitant à l’affaiblissement des institutions traditionnelles d’encadrement, produit l’ignorance – y compris des préceptes de l’Islam – sur la base de laquelle prospèrent tous les obscurantismes.

À ce titre, la formation d’enseignants et la construction de salles de classe pour scolariser des générations de jeunes africains contribuent à lutter contre les phénomènes de rupture sociale parmi la jeunesse, dont la radicalisation est l’un des modes d’expression.

Les conflits locaux entre agriculteurs et éleveurs, pêcheurs et marchands, exacerbés par la croissance démographique et la dégradation des ressources naturelles, constituent des braises que les entrepreneurs de la violence savent attiser. Les programmes de gouvernance locale, de gestion du foncier ou d’amélioration des techniques agricoles, contribuent à apaiser les tensions entre groupes.

Aucune de ces réponses ne constituera, en elle-même, une solution à Boko Haram ou à ses avatars djihadistes. L’aide au développement ne représente pas une alternative au volet répressif de la lutte contre le terrorisme ; elle ne remplacera pas le long travail sur le terrain idéologique, trop longtemps abandonné aux thèses obscurantistes. Mais déserter ce champ de la lutte scellerait le sort de populations prises en otage.

Car si la grande pauvreté ne cause pas le radicalisme, elle le favorise indéniablement : le sentiment d’injustice et d’exclusion constitue l’un des puissants moteurs du terrorisme. Nous n’avons pas d’alternative au fait de s’y engager avec humilité, patience et détermination – sauf à laisser le champ libre aux soldats de la terreur.