Opinions of Thursday, 12 January 2017

Auteur: Jean François CHANNON

Présentation de Voeux: Paul Biya nargue ses courtisans

Paul Biya Paul Biya

La plupart des anciens hauts commis de l’Etat, retraités et vieillissants qui ont voulu exprimer des doléances au chef de l’Etat le temps d’une poignée de main ont été invités par ce dernier à aller mettre par écrit ce qu’ils ont dans le cœur. La cérémonie de présentation des vœux au président de la République. Le moment est toujours unique dans une année.

Certains l’attendent pendant 12 mois. Et parfois se livrent à des exercices souvent enfantins pour se dire que c’est le moment ou jamais de dire quelque chose surtout de se rappeler au bon souvenir du président de la République, le temps d’une brève poignée de main qui dure généralement à peine deux secondes. Le 5 janvier dernier, le Palais de l’Unité a une fois de plus accueilli cette prestigieuse cérémonie au cours de laquelle la nation toute entière s’arrête littéralement, pour cause d’échange de vœux respectivement avec les membres du corps diplomatique accrédités à Yaoundé, et ensuite avec les corps constitués nationaux au chef de l’Etat.

Dans la galaxie biyaïste, ce moment est très attendu. Le protocole d’Etat, dont les membres sont vêtus de redingotes, organise les deux cérémonies de manière on ne peut plus minutieuse. La Direction de la sécurité présidentielle se montre alors particulièrement nerveuse, avec notamment un général Ivo dans une crise de nerf, et qui cette année n’a pas cru bon de tolérer la moindre présence des médias privés dans les alentours du Palais de l’Unité. En tout cas, les diplomates ont été reçus comme d’habitude au Salon des ambassadeurs au troisième étage de l’immeuble principal du Palais de l’Unité, où se trouve finalement le cabinet du président de la République.

Paul Biya  n’avait donc que quelques pas à faire pour retrouver ses hôtes qui l’attendaient depuis une trentaine de minutes. Comme l’année dernière c’est le Nonce apostolique au Cameroun, Mgr Piero Pioppo, doyen du corps diplomatique qui a eu la tâche de prendre la parole. Prenant certainement acte du contexte de tension politique actuel au Cameroun, avec notamment ce qu’on appelle aujourd’hui « la crise anglophone », Mgr Piero Pioppo qui a fait le tour des grands moments de la vie diplomatique au Cameroun, en Afrique et dans le monde, s’est adressé au président de la République en français et en anglais. On aurait pu logiquement s’attendre à ce que le président du Cameroun fasse la même chose, à savoir qu’il alterne son discours dans les deux langues officielles. C’est mal connaître « L’Homme du 6 novembre 1982 », qui apparemment n’aime pas les situations de pression. Paul Biya pour sa part a superbement ignoré l’anglais.

Son propos d’une quinzaine de minutes essentiellement en français, après avoir fait le tour entre autres, sur la situation de crise que vit les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), du fait de la baisse des coûts du prix du pétrole, est revenu sur le contexte camerounais avec point principal la défense de l’Unité nationale et de la diversité : « Je ne cesse d’inviter mes compatriotes à veiller jalousement à ce que jamais cette unité ne s’arrête. Notre diversité fait partie de notre identité. Notre peuple est attaché à ces deux valeurs fondamentales : unité et diversité. Dans l’esprit de dialogue qui a toujours été le mien, je continuerai, avec l’ensemble de mes compatriotes, à tout mettre en œuvre pour renforcer notre vouloir vivre ensemble ».

Entre courtisans et républicains

Si au salon des ambassadeurs l’ambiance était plus détendue, avec en coulisses des échanges de propos bienveillants avec les diplomates étrangers accrédités à Yaoundé, dans la salle de banquet situé plus bas, l’atmosphère était un peu lourde, comme à chaque fois que les corps constitués nationaux attendent l’arrivée du président. Auparavant, le protocole d’Etat et la Direction de la sécurité présidentielle prennent le soin d’identifier et d’authentifier toutes les personnalités invitées à prendre part à cette cérémonie de présentation de vœux au chef de l’Etat.

En dehors des membres des bureaux du Sénat, de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et sociale, le gouvernement de la République, la Cour suprême, toutes les autres personnalités civiles doivent présenter chacune une invitation officielle certifiée et authentifiée par le protocole d’Etat et la Direction de la sécurité présidentielle. On retrouve dans cette catégorie des anciens membres du gouvernement et anciens commis de l’Etat, dont certains négocient très souvent durement leurs invitations. L’enjeu étant de prendre part à cette cérémonie de présentation de vœux, et réussir à se faire rappeler au bon souvenir du chef de l’Etat. C’est ainsi qu’on assiste comme toujours à des scènes à la fois émouvantes et burlesques.

L’ancien gouverneur Paul Omgba, malade ces derniers temps, avait certainement un tas de doléances à présenter à Paul Biya qu’il n’a plus vu en chair et en os depuis de longues années. Lorsqu’il a salué le président ce 5 janvier, il voulait lui dire une ou deux choses. Paul Biya l’a tout de suite éconduit d’un geste qui voulait clairement lui dire d’aller mettre par écrit ce qu’il a dans le cœur. Paul Biya a répété ce geste près d’une cinquantaine de fois, face à des courtisans dont le sentiment pouvait se résumer à « camer.be pardon grand chef, ne m’oublie pas, je te serai à jamais toujours fidèle. J’ai besoin de rejaillir, la pauvreté va me tuer ».

Au final, si beaucoup d’autres personnalités, à l’instar du ministre des Sports et de l’éducation physique (dont le passage a provoqué des sourires et même des rires y compris de Paul Biya), ont préféré tout simplement plier l’échine pour traduire leur révérence à celui à qui ils doivent inéluctablement tout, d’autres, comme l’Archevêque de Douala à la tête d’une délégation d’hommes de Dieu, ou encore le Dr Adamou Ndam Njoya, le président de l’Union démocratique du Cameroun ont préféré adopter une attitude républicaine, dans une attitude de respect mutuel avec le chef de l’Etat.