En politique il est vrai que tout est sujet à interprétation, même les actes les plus anodins. A fortiori quand il s’agit d’une attitude lourde de sens, à un moment où l’on sait que les regards de tout le pays sont braqués sur soi. M. Paul Biya sait donc bien ce qu’il fait, l’exercice du pouvoir lui ayant donné une expérience qui l’empêche d’être l’auteur de bourdes diplomatiques ou d’impairs protocolaires. Et il s’agissait bien de protocole le 22 février 2014, moyen qu’avait peut-être choisi le magistrat suprême pour présenter à la nation celui qu’il voudrait voir à sa place, une fois achevé son septennat actuel. Ce pourrait être son épouse, Chantal Biya. Revoyons les images telles qu’elles nous ont été présentées par la télévision nationale, quand dans la capitale régionale du Sud-ouest il allait embarquer à bord de l’hélicoptère présidentiel, en compagnie de la Première dame. Au bas de l’échelle de coupée, se retournant vers les populations le chef de l’Etat avait levé les bras pour leur adresser ses gestes d’adieux, avait croisé les mains au-dessus de sa tête en signe d’unité, pour que nous restions soudés autant entre nous que derrière lui. Puis il avait gravi la passerelle menant à la cabine, s’était retourné une dernière fois quand il eut atteint la plus haute marche, avait encore levé le bras pour s’engouffrer enfin dans l’appareil.
Pendant ce temps où était Chantal Biya ? Elle était encore en plein dans un bain de foule, où elle prit son temps avant de se diriger à son tour vers l’aéronef, dans lequel elle avait rejoint son mari. Non sans avoir une dernière fois, au moment d’y pénétrer, eut le souci de se retourner encore pour adresser des gestes d’au revoir. Si bien que la dernière image que l’on avait eu de cette visite ô combien symbolique de célébration des cinquantenaires n’était pas, comme il se devait, celle du chef de l’Etat, mais de sa douce moitié. Le timing du protocole de ce départ s’était donc déroulé comme si c’était Paul qui accompagnait Chantal. Et que c’était par conséquent à elle de recevoir les derniers souhaits de bon voyage que leur adressait, de loin, la foule.
Une nouvelle ère?
Comment les choses auraient-elles dû se passer, si le taiseux hôte d’Etoudi n’avait voulu envoyer un message aux Camerounais ? Galanterie et règles protocolaires obligent, au bas de l’escalator il aurait d’abord laissé monter sa femme, l’aurait suivie, et c’est donc lui qui aurait en dernier lieu occupé les esprits. Mais en laissant cet honneur à Chantoux, énigmatique, c’est peut-être à dessein qu’il s’y était prêté, dans ce qui pourrait être une hypothèse de succession ayant le double mérite d’apporter le changement tout en assurant la continuité. En effet si Chantal Biya devient chef de l’Etat, le franchissement d’une barrière psychologique que représenterait l’arrivée aux affaires d’une femme pourrait faire passer la pilule, à la façon d’un François Mitterrand nommant Edith Cresson à Matignon : l’arrivée d’une représentante du sexe dit faible à la primature se voulait alors une stratégie devant permettre au chef de l’Etat français de rebondir.
Pour le Cameroun, cela reviendrait alors non seulement à tenir compte de la transmission du témoin entre générations, mais aussi à tenir compte de l’approche genre. Un tel scénario aurait-il quelque chance de succès ? Assurément, car Chantal Biya ne manque pas d’atouts dans son jeu. D’abord son charme et sa grâce, qui la dotent d’un charisme naturel provoquant de l’empathie pour sa tendre personne. Ensuite son aura internationale, l’ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO ayant depuis capitalisé cette stature pour acquérir une envergure transcendant nos frontières. L’on ne saurait occulter son carnet d’adresse bien fourni, qu’il s’agisse des grands de ce monde ou de l’élite de notre pays, qui seraient bien prêts à la ménager et non lui savonner la planche. Relevons aussi le tour de main qui est désormais sien dans la gestion des structures qu’elles aura portées sur les fonts baptismaux, qui toutes œuvrent dans le social. Last but not the least, la présence à ses côtés de son époux, qui lui apporterait de judicieux conseils, serait un élément important dans la manière dont l’actuelle Première dame pourrait être amenée à conduire les affaires étatiques. Bien que phallocrate, machiste, encore largement arc-boutée sur des concepts pourtant abscons de domination naturelle des mâles sur la gent féminine, notre société serait pourtant prête à sauter le pas, l’exemple de deux autres femmes sur le continent présidant aux destinées de leur pays respectif sans qu’on n’y décèle une tare congénitale à assumer de telles fonctions, est là pour faire changer d’avis ceux qui voudraient continuer à freiner des quatre fers, dans ce cadre.
Alors Chantal Biya à Etoudi ? Elle y est déjà. Comme magistrat suprême, pourquoi pas si cela peut nous assurer une transition sans heurts en ces temps où ici et là, de tels exercices sont porteurs de frictions et conflits débouchant souvent sur le délitement de l’Etat, les destructions de biens et de grandes pertes en vies humaines ? On connait de pires scénarios qu’une telle hypothèse, on sait qu’existent chez nous de pires solutions, si l’on veut scruter le seul landerneau politique où se trouvent ceux qui estiment être mieux qualifiés pour prétendre à la succession.