Opinions of Saturday, 18 March 2017

Auteur: Bounya Lottin

Problème anglophone: la pondération de Bernard Muna

Bernard Muna Bernard Muna

La grogne des populations anglophones a donné lieu à diverses interprétations. Nous vous proposons une revue des détails qui ont pu faire déborder le vase de l’exaspération.

Le réflexe est facile de disqualifier les revendications des activistes anglophones du Cameroun, surtout lorsqu’elles peuvent paraître excessives à la limite d’une sorte d’intégrisme qui fait les affaires d’un régime qui a étalé depuis 34 ans qu’il préférait la politique de l’autruche et des faux-fuyants face à un problème qui reste pourtant fondamental. Passé les crises d’apoplexie des intégristes du Sud-ouest ou du Nord-Ouest qui appellent carrément ou ouvertement à la sécession, sas s’attarder sur les ultimatums de Chairman du SDF qui demande, dans un style qui lui est particulier : « Je veux que Monsieur Biya m’entende bien, depuis 1992, la paix dans ce pays a été et est toujours entre mes mains. S’il pense qu’il n’en a pas assez tué comme cela, qu’il continue. Un jour, j’en aurai ma claque… Nous ne pouvons pas développer le Cameroun dans une ambiance de guerre… »

Le patron du SDF va plus loin : « je n’abandonnerai jamais le combat pour la libération des serres d’un régime dictatorial… » Un tel oukase de la bouche du leader de l’opposition ressemble de près à une déclaration de guerre. La situation politique au Cameroun a atteint la cote d’alerte. Après John Fru Ndi, c’est le journaliste Boh Herbert qui arme une sortie musclée contre le ministre Paul Atanga Nji, chargé de mission à la Présidence de la République et non moins secrétaire permanent du Conseil national de sécurité. Il a eu la maladresse d’une sortie jugée « provocatrice » sur la CRTV. Le journaliste tient simplement à lui refaire le portrait, au propre comme au figuré. Pour Boh Herbert, Atanga Nji est d’abord accusé d’user de tours de malin.

De grand feyman. Dans les années 90, il était en prison. Et du fond de son cachot de New-Bell, il a prétendu parler au nom des élites du Nord-Ouest, dans une curieuse motion de soutien signée d’un seul homme. Alors qu’il ne s’est jamais donné la peine de rendre la plus petite visite à ses pairs du Nord-Ouest. Nous dit Bo Herbert, du fond de sa prison de New-Bell, Paul Atanga Nji avait aussi pris sur lui d’annoncer que l’aventure du SDF finira en eau de boudin. Non sans avoir promis que Paul Biya ne légalisera jamais les partis d’opposition. On constate avec le confrère que le ministre s’était trompé, bien qu’il ne fût pas encore ministre au moment de ses déclarations.

À l’époque, assène encore le journaliste, Paul Atanga Nji annonçait que le SDF était une faillite politique et que ses militants étaient des égarés. On sait aujourd’hui qu’il s’est trompé. Sûr que le ministre s’est trompé ou que c’est le journaliste qui va un peu trop vite en besogne dans ses analyses ? Pour le journaliste, il faut simplement disqualifier les déclarations de Paul Atanga Nji qui, selon lui, ne dit que ce pourquoi il est payé. Il est prêt à tout, y compris sacrifier sa famille en échange des faveurs de Paul Biya, le dieu d’Etoudi. Pour finir, Boh Herbert assène ses certitudes en quatre points.

le Peuple qui vous a défié, vous et votre régime, en 1990, est le même peuple aujourd’hui. Nous ne reculerons pas, nous n’abandonnerons pas. Nous vaincrons Le Peuple qui travaille pour s’assurer que vous ne réduisez personne en esclavage … est le même qui vous a tenu tête en 1990. Le peuple qui s’est trompé selon vous en 1990 est le même qui a défié vos forces armées en 1990 pour créer le SDF. Au cas où vous aurez oublié, c’est ce même peuple qui a finalement gagné.

Erreurs de perception

Boh Herbert ne vit pas l’actualité politique du Cameroun de près. Il pourrait donc être en retard d’une leçon. Mais ses avertissements sont à prendre au sérieux. Ce peuple vaincra et bravera les forces de l’ordre de la République ? Pour lui en tout cas, rien n’empêchera la naissance d’un Cameroun anglophone dissident de la République. Avertissement à prendre au sérieux. Qui savait que les avocats anglophones dits du « Common law » avaient fini par créer leurs propres barreaux ? Le journaliste a perdu ses habitudes au Cameroun depuis des lustres. Il ne prend donc pas la mesure que le SDF est en perte de vitesse au Cameroun et ne jouit plus de la côte de sympathie dont le parti a pu se vanter dans les années 90, lorsque le parti de la « balance » se voulait un parti de tous les Camerounais, sans la ligne de clivage entre Anglophones et Francophones.

Les vagues de démissions successives et les dérives autocratiques au sein du parti ont définitivement les crédits du parti et ses arguments d’alternative crédible à la faillite politique du Rdpc de Paul Biya. Mais il n’empêche, Boh Herbert y croit encore, au grand dam de militants convaincus comme Célestin Djamen ou Abel Elimbi Lobé. Dans cette foire d’empoigne politique qui vire à la cacophonie, des acteurs plus pondérés et qui prennent la mesure de la situation, posent le bon diagnostic d’une situation potentiellement explosive. Un certain Bernard Muna, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun, ancien procureur du TPIR (tribunal pénal international pour le Rwanda) et non moins président d’un éphémère MSD (Mouvement Socialdémocratique), un mouvement dissident du SDF de Fru Ndi.

Les vrais problèmes qui fâchent les Anglophones

Au nombre des problèmes qui fâchent les compatriotes anglophones, on retrouve en première place la question du « Common Law » par opposition au « Droit civil ». Le premier est en usage chez les Anglophones alors que le second est l’outil des avocats d’expression francophone. L’incompatibilité entre les deux systèmes juridiques débouche sur d’insurmontables complications. En zone anglophone, au nom du Common law hérité du colon britannique, l’avocat peut au gré des circonstances officier comme « juge », notaire ou huissier de justice. Ce fait a profondément modelé la manière dont les hommes de loi dans la partie anglophone du pays ont été formés.

Cela fait forcément problème lorsque le régime dominant francophone veut imposer la norme des Notaires distincts des huissiers et des avocats dans la partie anglophone. Il y a plus sérieux. L’Etat du Cameroun se plaît à nommer des juges francophones dans les régions anglophones. Les débats des procès sot menés en français est les verdicts sont rendus en français, personne n’est sûr que tout le monde s’est compris. Le détail qui a conduit à la dernière grève des avocats était la mise à disposition des versions traduites en anglais des textes de l’OHADA. Depuis près de vingt ans, les avocats anglophones ont attendu en vain. Si les Francophones s’étaient retrouvés dans une situation où ils sont jugés par des magistrats anglophones, ils comprendraient mieux le problème posé par leurs compatriotes anglophones.

À force d’user de faux-fuyants le Cameroun est parti en morceaux. Le pays compte désormais trois ou quatre barreaux de fait. Las d’attendre, ils sont déjà passés à l’action : ils ont simplement créé des barreaux dissidents. Ce sont entre autres le NOWELA (North-West Law lawyers), la FAKLA (Fako Lawyers Association), la MELA (Meme lawyers Association), entre autres. Qui peut jurer de la caution de l’Ordre camerounais des avocats dans un tel cafouillage ?

Selon Bernard Muna, ce cafouillage est la responsabilité du gouvernement, lequel multiplie des refus d’agir et ajourne indéfiniment des décisions alors qu’il y a urgence. On l’aura vu avec le nouveau code de procédure pénale. Bernard Muna évoque les péripéties qui ont conduit à une autre impasse politique. Au début des années 80, l’Etat du Cameroun a entrepris de concevoir une loi consensuelle (la première) sur le code de procédure criminelle. Sur trente experts réunis pour l’exercice, on ne comptait que 6 avocats anglophones.

Le code de procédure pénale a été mis en texte mais la majorité francophone au ministère de la Justice, sous la férule de Laurent Esso et de Foumane Akame, a choisi de bloquer ledit projet, on ne sait pour quelle raison. Jusqu’à ce que le Président Biya lui-même fasse relire le projet du code de loi par des experts du Commonwealth qui ont conclu, après lecture, que le texte ne souffrait d’aucun défaut textuel. Pourquoi les Francophones avaient-ils choisi de bloquer, pendant 25 ans, un texte de loi qui avait l’avantage d’être au moins consensuel et qui pouvait être appliqué indifféremment à Yaoundé, à Douala, à Bamenda et Buea ?