Opinions of Monday, 21 November 2022

Auteur: Eyikè-Vieux

Procès Coq sportif-Fecafoot : la sortie d’un juge camerounais qui change tout

Le Coq sportif réclamerait 16 milliards de francs Cfa Le Coq sportif réclamerait 16 milliards de francs Cfa

Eyikè-Vieux est un magistrat, enseignant et écrivain. Il est également sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice. Il éclaire les camerounais sur l'affaire qui oppose l'équipementier français Le Coq Sportif à la Fédération camerounaise de football (Fecafoot).

Suivant ordonnance de référé du 03 novembre 2022, la vice-présidente au tribunal judiciaire de Paris s’est prononcée dans l’affaire S.A.S. LCS international contre Fédération camerounaise de football. Cette décision a créé des passions, querelles et problèmes juridiques. Je mets immédiatement de côté les passions et les querelles pour ne m’intéresser qu’aux aspects juridiques de cette affaire qui ont noms : la possibilité désormais pour le juge des référés français de préjudicier au fond sous certaines conditions (1), la possibilité désormais pour le juge français de condamner à une obligation de faire en nature (2), la signification ou non d’une décision exécutoire par provision (3), le lieu de l’exécution de l’ordonnance rendue par la juge française (4) et la pureté du vocabulaire de la basoche (5).

1 - La possibilité pour le juge des référés français de préjudicier au fond Alors qu’il est interdit au juge des référés camerounais de retenir sa compétence en cas de contestation sérieuse, donc de préjudicier au fond (article 185 alinéa 1 du Code de procédure civile et commerciale, ci-après CPCC), son homologue français peut le faire « soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » (article 835 alinéa 1 du Code de procédure civile français). Cela montre à quel point la
procédure de référé que nous avons reçue de la France du temps de la colonisation1 est restée statique alors que la sienne a considérablement évolué. Il y a matière à réflexion ici, si on le
veut.

2 - La possibilité pour le juge français de condamner à une obligation de faire en nature

Contrairement à l’article 1142 du Code civil camerounais qui pose que « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur », l’alinéa 2 de l’article 835 susdit dispose que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
C’est vraisemblablement sur le fondement de ce texte qu’il est dit dans l’ordonnance du 03 novembre 2022 : « Ordonnons le maintien des relations contractuelles entre la société LCS INTERNATIONAL et la FEDERATION CAMEROUNAISE DE FOOTBALL au titre des deux contrats, contrat de partenariat équipementier et de licence conclus le 10 janvier 2020, jusqu’au terme du contrat, soit au 31 décembre 2023 ».

À la lecture de tout ce qui précède, je me suis dit que le juge camerounais avait trouvé la solution à un problème auquel il est souvent confronté lorsqu’il est saisi d’une demande en morcellement forcé du titre foncier. En effet, en cette matière, certains juges condamnent au paiement des dommages-intérêts tandis que d’autres ordonnent le morcellement du titre foncier.

Toutefois, ayant constaté que dans l’affaire susdite les choses étaient restées en l’état, je me suis dit que l’article 1142 suscité a encore de beaux jours devant lui, compte tenu de ce proverbe anglais : « On peut conduire un cheval à la rivière, mais on ne peut pas l’obliger à boire l’eau. »

3 - La signification ou non d’une décision exécutoire par provision
L’on s’est posé la question de savoir si une décision exécutoire par provision doit être signifiée par la partie demanderesse à la partie défenderesse avant d’en poursuivre l’exécution et pour faire courir les délais des voies de recours. La réponse à cette question est affirmative.

C’est même une exigence, de manière générale, dans le cadre de la coopération judiciaire internationale. Toutefois, de lege feranda, l’on peut raisonnablement se demander quelle nécessité absolue il y a à signifier une décision de justice rendue contradictoirement, c’est-à-dire en présence de toutes les parties au procès. Il existe bien des procédures pour lesquelles le délai d’appel, par exemple, court à compter du prononcé de la décision. À titre d’illustration,
l’article 49 de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution énonce que la décision de la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire est susceptible d’appel dans un délai de 15 jours à compter de son prononcé. À l’heure de la lutte contre les lenteurs judiciaires décriées ici et là, il convient de ne pas écarter d’un revers de la main ce genre de disposition légale.

4 - Le lieu de l’exécution de l’ordonnance rendue par la juge française

On est là en plein dans la coopération judiciaire internationale en matière civile, sociale ou commerciale. Cela dit, dans cette affaire, les parties sont l’une française, l’autre camerounaise. Comme on le sait, le Cameroun et la France sont liés par un Accord de coopération en matière de justice daté du 21 février 1974 et dont les articles 34 à 41 traitent de l’exequatur des décisions de justice et des sentences arbitrales rendues dans l’un ou l’autre pays.



Or, il se trouve qu’une tierce partie pourrait être impliquée dans cette affaire, à savoir la FIFA, dont le siège est à Zurich en Suisse. D’où la question suivante : l’ordonnance de la juge française doit-elle être exequaturée en Suisse ou au Cameroun ? Les opinions sont partagées à ce sujet. Pour certains, elle doit être exequaturée au Cameroun.

Pour d’autres, c’est en Suisse qu’elle doit l’être. Pour d’autres encore, on peut obtenir, le cas échéant, l’exequatur au Cameroun (apposition de la formule exécutoire si les conditions sont remplies) puis la mettre en exécution en Suisse ou ailleurs. Beaucoup de juristes que j’ai interrogés à ce sujet, surtout les arbitragistes (habitués des procédures de demande en reconnaissance et en exequatur des sentences arbitrales étrangères), penchent pour la deuxième hypothèse. Toutefois, le débat n’est pas encore clos. Si suite il y a, nous serons tous fixés et j’aviserai si le Très-Haut me donne force, santé et courage.

5 - La pureté du vocabulaire de la basoche

À la fin de son ordonnance de référé, la juge française dit : « Rappelons que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire ». Pourquoi elle a dit « Rappelons » ? Pour la simple et bonne raison que les ordonnances de référé et celles du juge de l’exécution ou du juge du contentieux de l’exécution2, pour ne citer que ces décisions-là sont assorties de plein droit de l’exécution provisoire. Cette précision amène à se poser la question de savoir si les parties doivent nécessairement demander l’exécution provisoire et si le juge des référés ou celui du contentieux de l’exécution peut expressément l’ordonner ou alors la refuser3. Elle mérite d’être posée pour quatre raisons au moins :

- l’exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n’est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit ;

- beaucoup de parties demandent, dans leurs conclusions, l’exécution provisoire des décisions à intervenir en matière de référé ou de contentieux de l’exécution ;

- certains juges chargés du contentieux de l’exécution ordonnent l’exécution provisoire de leurs décisions, qu’on le leur demande ou pas, en ajoutant parfois les mentions suivantes : « Disons notre ordonnance exécutoire sur minute et avant enregistrement » (PTPI de Douala-Ndokoti, ordonnance n°263 du 07 septembre 2010, PTPI de Douala-Bonanjo, ordonnances n°019 du 17 février 2015 et n°63 du 26 mars 2015) ; « Disons notre ordonnance exécutoire sur minute par provision et avant enregistrement » ; « Disons notre ordonnance exécutoire par provision, sur minute et avant enregistrement » (PTGI du Wouri, ordonnances n°573, 574, 575, 577 du 19 septembre 2014 et n°789 du 19 décembre 2014) ;

- des juges chargés du contentieux de l’exécution disent « n’y avoir lieu à exécution provisoire » (PTGI du Wouri, ordonnances n°320 du 25 juin 2010, n°388 du 19 juin 2015, n°560 du 21 août
2015, n°421 du 20 juillet 2012).

Or, dans son ordonnance n°025/DE/JP du 23 juin 2014, le président de la Cour d’appel du Littoral a jugé que « [...] la décision du juge du contentieux de l’exécution est, de plein droit, assortie d’exécution provisoire...»4. Cette décision permet de soutenir que les parties n’ont pas besoin, en matière de référé et de contentieux de l’exécution, de solliciter l’exécution provisoire et que le juge n’a, ni à l’ordonner (c’est superfétatoire) ni à la refuser. Si l’on s’en tient à la définition littéraire ou juridique de la notion de « de plein droit », l’ordonnance suscitée est harmonieuse. Par ailleurs, c’est la raison pour laquelle, me semble-t-il, la juge française a, dans la pureté du vocabulaire de la basoche, dit : « Rappelons que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire ».

En somme, le juge des référés ou celui du contentieux de l’exécution n’a pas besoin d’ordonner l’exécution provisoire de sa décision parce qu’elle l’est de plein droit, mais il peut le rappeler, comme l’a fait la juge française. Toujours dans le sens du respect de la pureté du vocabulaire des gens de robe, il faut faire la différence entre l’exécution provisoire et l’exécution sur minute. Au dire du Lexique des termes juridiques, l’exécution provisoire est la « Faculté accordée à la partie gagnante à un procès de poursuivre, à ses risques et périls, l’exécution immédiate de la décision judiciaire qui en est assortie, dès sa signification, malgré l’effet suspensif attaché au délai de la voie de recours ouverte ou à son exercice ».

Selon le même ouvrage, l’exécution sur minute est « L’exécution d’une décision de justice mise en œuvre sur la seule présentation de la minute de la décision du juge [...] sans qu’il soit nécessaire à la partie gagnante de signifier, au préalable, une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire ». Pour le dire en mots simples, on prend la minute de la décision au greffe de la juridiction qui l’a rendue, on s’en va exécuter, puis on vient remettre ladite minute audit greffe. Enfin, aux termes de l’article 187 du CPCC (contenu dans le titre 18ème qui traite des référés, preuve que c’est la pratique qui a étendu les dispositions de cet article à d’autres procédures), « Dans les cas d’absolue nécessité, le juge pourra ordonner l’exécution de son ordonnance sur la minute ».

Ainsi, sont pertinentes, les formulations jurisprudentielles suivantes : « Attendu par ailleurs que du fait qu’il y ait extrême urgence à permettre à la demanderesse de jouir pleinement de sa créance qui a été longtemps détenue par des tiers, il convient de dire notre ordonnance exécutoire sur minute avant enregistrement » (PTGI du Wouri, ordonnance n°552 du 05 septembre 2014) ; « Attendu que le maintien de cette saisie cause indubitablement un préjudice commercial au débiteur privé ainsi de ses fonds nécessaires à ses activités ; Qu’il y a dès lors urgence à y remédier, raison pour laquelle il convient de dire notre ordonnance exécutoire sur minute et avant enregistrement » (PTPI de Douala-Bonanjo, ordonnance n°54 du 24 mars 2015).