Je vous ai publié un article sur cette page, où je déplorais le fait que Biya, le supposé « père de la nation », n'ait pas ressenti le moindre pincement au cœur (à supposer qu'il en ait un), suite à la terrible boucherie qui est survenue ce 6 novembre à Mamfe, soit le jour même où il célébrait l'anniversaire (très regrettable) de son accession à la magistrature suprême. J'ai en effet été amusé de voir qu'il avait choisi un décor blanc (nappe et gâteau. confondus), comme si ce petit stratagème suffisait à couvrir la rivière de sang que sa politique arrogante et désastreuse a générée dans ce noble coin du pays depuis 2016.
Dans cette première partie, j'ai surtout précisé que l'identification des causes du conflit anglophone etait le point de départ crucial vers sa résolution. J'ai ensuite présenté une technique politique pour appréhender son ennemi de manière efficace : la transposition. Il est important de bien lire cette partie-là pour comprendre l'Acte 2 (comment résoudre la crise) que nous allons traiter aujourd'hui. Avant donc de poursuivre votre lecture ici, vous pouvez consulter le premier texte en intégralité via ce lien : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=299030029676575&id=100087087390159&sfnsn=scwspmo.
Quant à notre défi du jour, j'avais annoncé que nous allions expérimenter la méthode colombienne du président Juan Manuel Santos, pour voir si celle-ci pourrait s'appliquer au Cameroun, et ainsi permettre un compromis qui satisfait tous les acteurs, et qui ramène alors à nos concitoyens du NOSO la stabilité perdue depuis désormais un septennat entier.
L'HOMME QUI TE RESSEMBLE
Quand on parle de guerrilla et de guerre asymétrique entre un État et des groupes contestataires, la Colombie fait pour ainsi dire figure d'experte en la matière. Si la rébellion séparatiste sévit au Cameroun depuis 7 ans, la rébellion des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) a quant à elle débuté en... 1964, et ne s'est terminée qu'en... 2016 ! Elle aura donc duré 52 ans dans sa phase la plus bestiale, avant que les FARC ne se transforment en parti politique (Force Alternative Révolutionnaire Commune) l'année suivante. Il est de ce fait intéressant d'apprendre comment, sous la présidence de Juan Manuel Santos (2010 - 2018), ce groupuscule extrêmement violent (ce sont eux qui auront notamment maintenu en captivité l'ancienne sénatrice et candidate à la présidence Ingrid Betancourt pendant 6 ans, entre 2002 et 2008), a pu être re-pacifié et intégrer la vie courante.
Et il est intéressant de voir comment, dès 2019 et l'arrivée au pouvoir du nouveau président Ivan Duque, les choses se sont à nouveau quelque peu détériorées, avec des velléités de reprise de la lutte armée par les combattants d'hier. C'est ce qu'on appelle la politique comparée, et cela nous est très utile dans cette analyse du conflit anglophone chez nous au Cameroun, car il y a de grosses similitudes entre le mauvais élève Ivan Duque, et le mauvais élève Biya... D'où la similitude des conséquences (forcément).
Voici donc ce qui s'est passé : depuis leur création, les FARC se distinguent par une approche gauchiste radicale, inspirée des mouvements communistes à la Che Guevara, qui se caractérisent par une forte proximité d'avec la paysannerie, et par une hostilité de tous les instants à l'égard du pouvoir central et des couches urbaines supérieures. Les tueries de masse, les meurtres de personnalités, les viols, les prises d'otage (voire même un peu de cannibalisme) sont leur apanage. Autant dire que la seule solution, c'est de les exterminer jusqu'au dernier. C'est en tout cas ce que vont penser les gouvernements successifs, depuis Guillermo Valencia (1962-1966) jusqu'à Alvaro Uribe (2002-2010), en passant par Andres Pastrana (1998-2002). Ils sont convaincus qu' « on ne dialogue pas avec les terroristes », et même les efforts d'Uribe (libération de guerrilleros en échange de Betancourt, lors de l'Operation Jaguar en 2008) sont tout de suite effacés par la priorisation de l'option militaire. Alors, les années se suivent et se ressemblent ; car en même temps que les choses avancent, elles reculent.
Ça s'appelle marquer le pas.
LA PRIX DU PRIX NOBEL
Mais lorsqu'il arrive au pouvoir en 2010, Juan Manuel Santos, autrefois ministre de la défense d'Uribe (et qui a donc dans un premier temps mené la politique offensive de ce dernier contre les FARC), réalise le caractère séculaire et perfide de la spirale de la violence : en effet, il va vite constater que, loin d'avoir apporté une accalmie, la situation a plutôt engendré un nombre de morts plus élevé qu'auparavant ! Il faut donc à coup sûr une approche différente, et c'est ce qu'il va s'évertuer à appliquer, sans perdre une seconde. Conscient des dérives de l'armée et des groupes paramilitaires (dont les sévices et le bilan sanglant n'ont alors rien à envier à ceux des guérilleros), il demandera un pardon solennel aux victimes de ces derniers, et leur restituera les biens (terres et avoirs) extorqués lors des « descentes sur le terrain ». Et il va sanctionner durement les officiers têtes d''affiche des massacres, scellant leurs peines de prison.
Ces actions surprise propulsent en un éclair la crédibilité de l'homme, qui ne va d'ailleurs pas s'arrêter en si bon chemin : pour se créer un capital sympathie dont il sait qu'il aura bientôt besoin au cœur même au camp adverse, il assainit profondément les secteurs de la santé, de l'éducation et de l'administration fiscale, gangrenés depuis des décennies par une corruption et un brigandage d'État incommensurables, et où règne une impunité sans nom. Ces grandes réussites le font alors apparaître totalement légitime lorsqu'il lance en août 2011 son intention de « recréer le dialogue avec les FARC ». Les années qui vont suivre (de 2011 à 2016) lui permettront en outre de développer le taux de croissance économique du pays et d'augmenter ainsi la qualité de vie de ses citoyens.
Et c'est alors que les FARC, pourtant jusqu'ici réticents envers ses prédécesseurs, sont désormais peu à peu réceptifs à la perspective d'honorer à leur tour ses conditions (notamment la libération des otages et le cessez-le-feu), en prélude au dialogue. En septembre 2016, le rêve devient réalité : Manuel Santos signe avec Timoléon Jiménez le chef des rebelles, un accord historique de cessation du conflit (sous la médiation internationale, notamment norvégienne) ! Un véritable miracle, né de la grandeur et de l'humilité d'un homme, qui a montré que si les terroristes sont des barbares sans foi ni loi, l'État a pour sa part la responsabilité de la raison, et c'est donc à lui d'impulser la marche vers la réconciliation, à travers des approches pragmatiques, loin des idéologies aussi abstraites que pédantes.
EN BREF :
L'accord sera par la suite soumis à un référendum le 2 octobre 2016, puis amélioré sur plusieurs de ses clauses, après que le peuple se soit exprimé en sa défaveur, car le trouvant incomplet. Le texte définitif est ratifié le 24 novembre 2016 dans la capitale Bogota. Quelques jours plus tôt, le 7 octobre, le président colombien reçoit (fort logiquement !) le prix Nobel de la paix. Ses paroles prononcées ce jour-là résonnent encore aujourd'hui dans la tête de ses compatriotes, à qui il consacrera non seulement le prix, mais aussi les 900 000 dollars dont il s'accompagne. Ce sont les paroles d'un leader authentique ; la déclaration d'amour d'un vrai dirigeant à son peuple :
« Colombiens, ce prix est le vôtre. C'est pour les victimes, et pour qu'il n'y ait pas une victime de plus, une mort de plus, que nous devons nous réconcilier et nous unir pour terminer ce processus et commencer à construire une paix stable et durable.»
En 2018, Ivan Duque succède à Juan Manuel Santos : aussitôt, il déclare ne pas appprouver
l'accord de paix, et reconduit aux fonctions régaliennes des officiers coupables de d'exactions durant la guerre. Les assassinats redémarrent (plus de 1000 durant son mandat), ainsi que le trafic de stupéfiants. Son approche belliciste, arrogante et inconsciente, menace de faire capoter les gros efforts de son prédécesseur, en même temps que la qualité de vie dégringole. Une manifestation contre la réforme de l'impôt est notamment réprimée dans le sang (plus de 50 morts) par les forces de l'ordre, en avril 2021.
Dois-je énumérer en detail ce que doit faire Biya au Cameroun dans un Acte 3, ou bien tu as déjà compris à ce niveau ?