Désormais, tout Camerounais, élu de la nation ou simple citoyen, qui osera d'une manière ou d'une autre soutenir la cause anglophone sera passible de poursuite judiciaire.
C'est entre autres une des mesures que le pouvoir de Paul Biya entend mettre en place pour briser définitivement la fronde. C'est le résultat d'un piège tendu par les acteurs de la crise anglophone qui, depuis cherchaient à pousser le pouvoir en place à bout de ses nerfs, et le conduire vers le chemin de la répression brutale qui retrempera leur engagement. Décryptage.
Jusqu'où ira le régime de Yaoundé dans sa décision d'en finir avec la crise anglophone ? A cette question un ponte du régime et proche collaborateur du président de la République joint par Le Messager répond : « Force reviendra à la loi. Le Cameroun est un Etat de droit. Tous ceux qui enfreignent la loi doivent savoir qu'ils ne resteront pas impunis. Et justement les dispositions de la loi de notre pays répriment fermement tous ceux qui appellent à la sécession du Cameroun, et qui s'attaquent à l'unité nationale. »
Et de poursuivre : « Ce n'est pas acceptable de voir que des personnes qui se disent Camerounaises ou considérées comme telles, puissent se lever un matin, et remettre en question la forme de l'Etat, lancer un appel à la sécession, et organiser des actes de violences pour atteindre ces desseins dont ils ont seuls les motivations, et troubler ainsi le vivre ensemble de notre nation, chèrement acquis par les pères fondateurs du Cameroun ».
Un tel discours montre bien que le pouvoir de Paul Biya a décidé de passer à la répression. Après l'interdiction d'existence et d'activités de la Scnc, et du Consortium anglophone, suivis de l'arrestation des leaders du Consortium, le pouvoir dominant entend désormais mener la chasse à l'homme à tous les activistes anglophones et leurs soutiens. La crise anglophone vire ainsi au drame, en ce sens que, excédés par les atermoiements des grévistes anglophones qui ont muté au fil des semaines leurs revendications au retour au fédéralisme à deux Etats, puis en partition du Cameroun, Paul Biya et son gouvernement ont décidé d'user de la manière forte. Le dialogue et les négociations qui avaient été engagés à travers le comité ad hoc présidé par le directeur du cabinet du Premier ministre ont été clôturés avec un point essentiel, à savoir non à la sécession et au retour au fédéralisme, revendication sur laquelle le Consortium anglophone campait.
Immédiatement après la clôture de ces négociations par un communiqué musclé qui indique que les résolutions ont été transmises au Premier ministre, et face à la détermination du Consortium qui entendait faire prévaloir par tous les moyens sa principale revendication cité plus haut, le régime a répondu par l'interdiction de la Scnc et le consortium anglophone de toute activité. Les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont militarisées à outrance. Inutile durcissement ?
Si jusqu'au moment où nous mettons sous presse les nouvelles qui parviennent des deux régions anglophones ne signalent pas que les grévistes sont revenus à des meilleurs sentiments, le pouvoir pour sa part a décidé d'accentuer pression. Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont privés d'internet. Avant cette mesure, une mise en garde a été adressée à tous les utilisateurs de téléphonie mobile sur leurs comportements sur les réseaux sociaux. Nos sources indiquent à ce propos que le système dominant entend monter à la vitesse supérieure.
D'abord, selon toutes vraisemblances, il est possible que les services de sécurité puissent mettre sur écoute téléphonique et sous surveillance les utilisateurs des réseaux sociaux, « les agitateurs intellectuels et autres activistes », pour reprendre l'expression d'un des sécurocrates, soupçonnés de soutenir la cause du Consortium anglophone et de la Scnc, dont les activités publiques et privées ont été récemment interdites sur l'ensemble du territoire national.
Toutes déclarations allant dans le sens de l'intention des grévistes anglophones devraient désormais faire l'objet d'une consignation sécuritaire en vue d'une exploitation judiciaire. Plus graves, si l'on en croît nos sources, des parlementaires, qu'ils soient anglophones ou francophones qui auraient un langage tolérant envers les activistes anglophones ou la remise en cause de la forme actuelle de l'Etat du Cameroun, pourraient bien voir leur immunité levée très prochainement. Une session parlementaire extraordinaire serait imminente à ce sujet.
Le pouvoir pris au piège
Face à la fébrilité du régime, les activistes anglophones n'engrangent pas moins des points. C'est déjà une victoire que d'avoir fait paniquer le pouvoir de Yaoundé, et de le faire perdre son sang-froid. Les grévistes anglophones et autres membres du Scnc et du Consortium anglophone ont en effet réussi à hisser leur cause au niveau de l'opinion publique internationale et même de la communauté internationale. Déjà, l'union africaine, par la voix de sa pesante n'a pas manqué d'exprimer sa préoccupation sur les évènements qui ont pour théâtre les régions anglophones du pays et de prêcher la retenue. Lorsqu'on prive aujourd'hui de manière globale une partie d'un pays d'internet, il y a une atteinte grave à la liberté d'expression. C'est un fait indéniable. Lorsqu'on envoie l'armée sur les fronts du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ce n'est pas pour aller dialoguer ou plaisanter avec les citoyens de ces régions réputées frondeuses dans leurs la grande majorité. En cas de méfaits régulièrement enregistrés, il faudra bien que le régime ait à s'en expliquer un jour devant les instances internationales.
Et c'est bien sur ces aspects que surfent actuellement les grévistes et autres membres de la Scnc et du Consortium anglophone dont la plupart des membres sont prêts au sacrifice suprême pour leur cause, fut-elle détestables pour les tenants du régime de Yaoundé. Au final, la crise anglophone, telle qu'elle se présente aujourd'hui, avec comme principaux drame, le spectre d'une année blanche au Cameroun, et les risques d'affrontements meurtriers a beau être ce qu'elle est, à savoir un durcissement des positions des protagonistes ; il reste qu'il est toujours possible de poursuivre le dialogue comme le recommandent les évêques du Cameroun à l'issue de leur séminaire tenu récemment à Mamfe. camer.b Et là Paul Biya, le président du Cameroun qui a toujours souhaité qu'on retienne de lui qu'il a apporté au Cameroun la démocratie et le progrès, doit pouvoir montrer aux yeux de la communauté nationale et internationale qu'il est encore capable de résoudre sereinement les problèmes du Cameroun.
Ce n'est pas aujourd'hui qu'est né ce qu'on appelle sans qu'on en cerne bien les contours « Le problème anglophone ». « L'illustre prédécesseur » a bien fait face à cette question, sans tirer un coup de feu. C'est aussi bien possible aujourd'hui. Il suffit de retrouver et garder son sang-froid.