Ce 6 novembre 2016, Paul Biya a célébré ses 34 ans de règne au Cameroun. Dans sa parution n°2913, le journal Jeune Afrique entre dans son intimité et décrit la situation d’un président qui aurait souhaité « congeler » et « vitrifier » le Cameroun et les Camerounais afin que le pays demeure « en paix » malgré ses absences, la multiplication des crises sociales et la situation économique particulièrement morose (crise de la sous-production). Comment et pourquoi a t-il réussi à s’éterniser au pouvoir ?
Personnalisation du pouvoir
D’abord, il faut voir que Paul Biya personnifie le pouvoir et cela fait de lui le seul maître, la seule référence, la seule alternative, le passage obligé et le seul fournisseur de l’ascension sociale et des actions publiques. Au Cameroun, les actions publiques entièrement financées par le contribuable sont appelées « œuvres sociales » du Chef de l’Etat ou de son épouse. Par exemple, le 3 novembre 2016, il s’est tenu à l’université de Yaoundé II Soa, un colloque dit « scientifique » sur l’action sociale de la Première Dame du Cameroun. Le but affiché était de lui trouver un statut constitutionnel à la hauteur de ses œuvres sociales.
En fait, Paul Biya a supprimé les droits dans la citoyenneté. Le citoyen a le devoir de payer ses impôts sans droit à la représentation. Il est à la merci de la « bonne volonté » du Chef de l’Etat et de son épouse. A cela, il convient de réutiliser le même créneau universitaire ou de l’éducation pour restituer à la citoyenneté tout son sens, à savoir celui du régime des droits et des devoirs. Il convient de restituer le cadre constitutionnel qui fait du président de la République un élu du peuple interdit de privatiser les actions publiques.
Clientélisme
Ensuite, le président utilise le clientélisme politique qui est une relation de dépendance entre deux ou plusieurs acteurs politiques. Au Cameroun, les acteurs politiques sont les autorités politico-administratives, les prescripteurs ethnico-religieux du vote et les électeurs à la base. Dans leurs coalitions, les autorités promettent l’ascension sociale aux prescripteurs qui promettent à leur tour les actions publiques aux électeurs en cas de victoire. En d’autres termes, l’on construit la relation selon laquelle si vous n’élisez pas Paul Biya, vous n’aurez pas droit à l’ascension sociale et aux actions publiques.
Par exemple, les départements et/ou ethnies où le candidat Paul Biya a perdu les élections n’ont pas droit aux « grandes réalisations » du budget d’investissement public (BIP) et à un représentant au gouvernement ou à de « hautes fonctions ». C’est le cas de Bamenda, capitale régionale et fief du principal opposant, qui est coupé à ce jour du reste du pays par manque d’entretien routier. Cette sanction politique permet de faire chanter les électeurs. Il convient de renforcer le contrôle vertical (société civile) sur le respect de la politique de redistribution afin de s’assurer que les allocations du BIP sont fonction des besoins de développement et non de l’appartenance ethnico-politique.
Manipulation des citoyens
Nous voyons donc que le président manipule mentalement les citoyens et les tétanise. Au sens d’Esquerre (2002)[1], la manipulation désigne un rapport de pouvoir se rapportant au contrôle psychique d’une personne. Par exemple, pour requérir le silence des populations, le régime investit dans l’appareil répressif, mais aussi laisse planer, via différents canaux, la crainte de répression dans l’[imaginaire populaire à tel point que beaucoup de citoyens ont déjà intégré que la moindre indignation est violemment réprimée. La psychose est telle que beaucoup de citoyens ont la conviction qu’ils seront tués ou pourchassés s’ils s’expriment en public.
Laurens (2003)[2]parle de « lavage de cerveau » ou de « l'existence d'une force quasiment irrésistible » qui pousse l’individu à faire, à penser ou à se conduire à sa propre perte. L’on note au Cameroun de nos jours, la situation d'une intrusion dans la représentation mentale des citoyens ou d’un sentiment de possession du citoyen par le politique à tel point que ce n'est plus le citoyen qui pense ou qui vote, mais c’est le politique qui pense ou qui vote à travers le citoyen. Vu sous cet angle, le travail de libération du jeu politique au Cameroun est avant tout un travail de conscientisation. L’individu doit prendre conscience de sa situation de « manipulé » ou de «possédé». Dans la guerre psychologique avec le régime Biya, il convient de mener une contre-campagne d’information du citoyen sur les bienfaits de la démocratie et de la liberté (individuelle et collective).
Instrumentalisation politique
Enfin, le président utilise l’instrumentalisation politique. En divisant pour mieux régner, il instrumentalise la loyauté, la justice, la légalité, le patriotisme. Il arrive à dresser ses partisans les uns contre les autres de façon à faire des uns ses espions auprès des autres. Ainsi, le système s’autocontrôle et s’autorégule. Pour continuer d’avoir la mainmise sur les institutions libéralisées, le président a instauré le régime de la tolérance administrative qui permet aux organisations et aux médias de fonctionner sans licence et donc, d’être susceptibles de fermeture en cas de «dérapage».
Aussi, il pousse les cadres à la faute ou les opérateurs économiques à l’incivisme fiscal à travers un laisser-aller, ce qui lui permet de faire planer la justice sur la tête de tout «récalcitrant» comme une épée de Damoclès. Surtout, il instrumentalise l’histoire (néo)coloniale et active le sentiment antioccidental à chaque fois que la communauté internationale effectue une «ingérence» en sa défaveur. Il convient de renforcer l’intégrité des citoyens afin de les libérer de l’emprise du chantage politique. Cela passe par la lutte contre la précarité et donc par la promotion de l’entrepreneuriat.
Bref, même si en le Cameroun peut afficher des institutions en apparence démocratiques, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont dysfonctionnelles car elles étaient détournées par le président Paul Biya afin de s’éterniser au pouvoir. Dès lors, la sortie de l’impasse ne peut venir que de la base populaire qui subit les affres de la dictature.