Opinions of Friday, 7 July 2017

Auteur: Man Bene

Quel système éducatif pour un citoyen « modèle » au Cameroun ?

Le système éducatif camerounais est à repenser Le système éducatif camerounais est à repenser

Un peuple qui ne se considère pas dans sa dimension citoyenne, non pas parce qu’il ne le veut pas, mais parce qu’il a ainsi été conditionné, perd sa capacité de penser et d’agir pour son propre bien ou celui de ses gouvernants.

Evidemment, pour un régime fainéant, sans véritable ambition d’œuvrer pour le bien-être collectif, il importe d’endormir, d’asphyxier toute forme de vigilance populaire et d’écarter la manifestation du désir de liberté du peuple.

Pourtant, il est utile, pour l’Etat, de favoriser en chaque individu la capacité de se connaitre/de se comprendre pour mieux appréhender le monde et ses mécanismes. En tant que maillon au bon fonctionnement de la société, que faut-il faire pour que l’individu s’y intègre harmonieusement ?

I- Effet du choix du système éducatif sur l’individu

Pour construire un modèle de citoyen, le système éducatif doit être bien pensé. Pour schématiser, le système éducatif au Cameroun est essentiellement mémoriel et citatif. L’accent est mis sur les enseignements à dispenser par le maître et à reproduire (recracher, pour être précis) par l’élève.

Un tel schéma de construction du savoir n’a pour conséquence que de faire de l’apprenant un objet mécanique obéissant, tel un réceptacle de connaissances, aux consignes de l’institution scolaire. Cette dernière se fixe, par ailleurs, pour vocation de vérifier le degré d’assimilation de ces savoirs et n’hésite pas, lors des délibérations circonstanciées aux examens officiels, à relever les moyennes pour inciter ainsi la population concernée (élèves, parents) au sentiment d’une récompense de l’Etat à l’égard de ses fils.

Dans un tel contexte, « l’Etat gratifiant » (ici les diplômes) se permet de faire l’impasse sur les notions d’autonomie de l’apprentissage, de recherche personnelle, d’initiation incitatrice à la lecture critique des textes, de questionnement sur le monde et le mode de vie des hommes, etc. Un tel système éducatif ne peut produire que des récipiendaires attentistes, incapables de raisonnement personnel ou d’esprit d’initiative. Plus tard, l’élève, devenu adulte et responsable en entreprise ou dans l’administration, devant ses responsabilités nouvelles, se trouve incapable d’innover, de penser par lui-même, d’anticiper sur les situations ou événements (être proactif donc), d’être gouverné par le désir incessant d’efficacité en un mot.

Le système éducatif mémoriel citatif crée un individu amorphe, passif, acquiesceur, vide de toute puissance ostentatoire et répétiteur sans détour ni questionnement du modèle appris. Voilà le profil voulu (consciemment ou inconsciemment ?) par le régime fantoche et fainéant du Cameroun. Or, il faut souhaiter tout le contraire de ce profil individuel au rabais. Cela passe, aussi, si on veut y parvenir, par le choix d’un autre type de système éducatif.

En lieu et place donc du système éducatif mémoriel et citatif qui vient d’être présenté, il urge d’encourager l’émergence d’un système éducatif réflexif. Ce dernier vise à former un citoyen, c’est-à-dire un être inquiet du devenir de soi et de l’existant. Un être entièrement voué à la réflexion et à la remise en question permanente.

Loin de réciter ses cours, l’apprenant les intellectualise grâce à son maître. Celui-ci n’évalue plus seulement les savoirs, mais précisément les compétences de ses élèves. Et parmi ces compétences, il est fortement question de la compétence (re)créatrice qui permet de confronter peu à peu la pensée de l’apprenant à celle(s) qui existe(nt) en histoire, en physique, en philosophie, en histoire des arts ou en littérature.

Cela suppose immanquablement l’absence de censure, l’accès facile aux livres, la disponibilité de tous les auteurs, des programmes scolaire et académique démocratiques mis à la disposition de la liberté du maître de choisir les perspectives et les auteurs à étudier. Ce qui importe, c’est d’exposer les apprenants à la pensée plurielle afin d’aiguiser, nourrir et entretenir peu à peu leur esprit à la pensée critique des textes et des situations.

Le système éducatif réflexif postule la possibilité de former un homme libre et conscient de la vertu de l’exercice de la liberté (de sa liberté), un citoyen conscient de l’autorité de la pensée individuelle dans le contexte de la pensée collective, un citoyen conscient et soucieux de compétence, capable de réalisation personnelle parce que se déployant lui-même dans un mode institutionnel impersonnel.

Le système éducatif réflexif est un enjeu essentiel à mobiliser dans un pays qui aspire objectivement à l’émergence. Au Cameroun, le cap d’atteinte de l’émergence a été fixé en 2035. On peut être d’accord qu’il y a quelque chose d’absurde dans le choix de cette année. S’il y a nécessairement des processus et mécanismes à mettre en place, il y a particulièrement un état d’esprit à instaurer et à favoriser. Ce qui n’est toujours pas le cas jusqu’ici. En lieu et place d’une transformation psychosociale et paradigmatique des populations et des institutions, on constate plutôt l’ « albatrosation » de la jeunesse, telle que la figure est décrite par Baudelaire dans son poème « l’albatros ».

Cette situation malheureuse passe par une éducation de la « diplomite » (délivrance de diplômes sans plus-value) où en réalité on forme de grands éléphants blancs qui finiront par construire des châteaux de cartes sur du sable.

Au final, on se retrouve à avoir non pas des technocrates, mais des diplômés sans compétences, des férus d’ascension professionnelle (des carriéristes donc), une administration politisée et des citoyens ayant démissionné du système politique et, par voie de conséquence, électoral.

II- Quel impact sur les élections en 2018 ?

Au Cameroun, 2018 est une année spéciale en matière d’élections. En réalité, si tout se passe bien, on devrait avoir autour de quatre à cinq niveaux d’élections : les régionales (probablement), les municipales, les législatives, les sénatoriales et les présidentielles. L’échantillon des candidats potentiels est assez considérable. En une année, tout le personnel politique en charge du quotidien national sera choisi.

Comme on peut s’y attendre d’un pays qui forme sa population à l’attentisme et à l’inertie, on note que le corps électoral a de la peine à se constituer. Les gens raisonnent autour de la fragilité d’un système électoral biaisé à l’avantage du pouvoir en place. On parle du flou sur non seulement le chiffre réel de la population nationale, en termes de nombre d’habitants, mais aussi du nombre exact d’inscrits par voie de conséquence logique.

D’aucuns estiment même qu’avant tout préalable, il faut, pour une fois, que les candidats potentiels ou déclarés, présentent leurs programmes de société. Il y en a qui expriment leur déception de voir une opposition innombrable, disparate et incapable de faire bloc autour d’une candidature unique afin d’affronter la machine corruptive et frauduleuse du parti au pouvoir.

C’est justement où tout le monde se trompe de méthode et d’hiérarchisation des priorités. Pour 2018, il faut des citoyens conscients du rôle qui est le leur et prêts à l’exercer de bout en bout. Ainsi, voici l’ordre à suivre :

- S’inscrire sur les listes électorales. Il faut le faire avant le 31 août 2017, même s’il n’est pas exclu que les échéances de 2018 soient prorogées ou anticipées. Si c’est le dernier cas qui prévaut, ce serait tout à fait dommage pour ceux qui ne se seraient pas encore inscrits. Il faut savoir que s’inscrire, c’est disposer d’une voix qui comptera lors des élections proprement dites. Il ne sert à rien d’être contre un système et de se refuser de l’exprimer le moment venu. Quitte à ce que sa voix soit détournée par les irrégularités souvent observées. L’essentiel est de pouvoir exprimer sa volonté à travers un préalable : l’inscription sur les listes électorales. C’est un visa d’accès, pour l’ayant droit, à la parole électorale.

- Examiner les différents programmes des candidats, lorsqu’ils seront publiés, généralement lors des campagnes électorales, afin de se fonder sa propre opinion et faire son choix final.

- Aller (ou non) aux urnes, selon qu’on soit convaincu (ou pas) par les programmes politiques. Il vaut mieux aller aux élections dans le but d’exprimer sa voix et sa position par un bulletin du candidat choisi ou par un vote blanc. Mais puisqu’il s’agit de s’inscrire dans l’optique de l’alternance politique, il est préférable de ne pas voter blanc ; encore moins de s’abstenir.

- Contrôler son vote est une étape cruciale, car elle permet de s’assurer de ce que sa voix reste intègre lors des dépouillements et que les résultats demeurent inchangés jusqu’à leur promulgation par les instances réglementaires.

III- Quid de la candidature unique ?

Le problème éternel de la candidature unique de l’opposition peut être réglé à travers une phase préalable d’organisation des primaires au sein de l’opposition elle-même. Pour qu’elle soit moins onéreuse, on peut créer un site Internet ou une application qui permet aux électeurs pressentis de s’y inscrire d’abord et de voter ensuite le (ou la) candidat(e) devant représenter l’opposition, ou disons les partis d’opposition ayant adopté le mécanisme des primaires. Celles-ci devront être à deux tours pour permettre de déboucher sur le candidat le plus représentatif du camp de l’opposition.

Tout cela peut être fait en attendant qu’il soit admis dans la loi un mode électoral à deux tours et des candidatures indépendantes. Pour l’instant, le bon sens voudrait qu’on considère que pour 2018, l’inscription massive sur les listes électorales et la participation effective aux élections sont des gages certains pour l’admission d’un président légitime en fin de parcours.

Conclusion

L’attentisme est une des principales causes du sous-développement mental, intellectuel ou managérial que l’on observe dans la plupart des Etats africains. Pour sortir de là, il faut un véritable travail de ressaisissement individuel et collectif, une implication des uns et des autres, la parfaite conscience de soi et de l’histoire de son pays, des grands hommes qui l’ont marqué ou qui le marquent, etc.

Tout cela suppose une véritable révolution sociopolitique. Rien de mieux qu’un rajeunissement de la classe politique, non pas en termes d’âge nécessairement, mais fondamentalement en termes de nouveau paradigme de pensée et d’entreprenariat sociopolitique. L’appel à la citoyenneté populaire est ici lancé.