Opinions of Friday, 19 May 2023

Auteur: Roland Tsapi

Réunification : comment Paul Biya a trahi Ahmadou Ahidjo

La longue marche vers l’unification du Cameroun La longue marche vers l’unification du Cameroun

Le processus engagé en 1961 par la fédération des deux Cameroun, et qui visait à terme à arriver à l’unité, a été jonché de beaucoup d’irrégularités. L’aboutissement au forcing en 1972 à l’unité nationale n’aura été qu’un leurre, car c’est un château de cartes sur du sable qui a été construit, et avec le temps les germes de la destruction ont fait leur effet.

La longue marche vers l’unification du Cameroun, que nous avons entamé depuis lundi, a connu un tournant décisif en 1969. Le Cameroun à cette date est une république fédérale, avec de chaque côté un premier ministre, et au-dessus de tous un président de la république, qui était Ahmadou Ahidjo. Ce dernier s’était arrogé tellement de pouvoir qu’il se permettait de choisir les premiers ministres de chaque Etat, ce qu’il fit en cette année 1969 pour le Cameroun anglophone, en choisissant Solomon Tandem Muna comme premier ministre, au détriment de Ngom Jua qui était mieux placé dans l’opinion. Solomon Tandem Muna avait le profil souhaité par Ahidjo, celui d’un dirigeant qui lui poserait moins de problèmes dans ses ambitions d’arriver à un Etat unitaire. Ensuite il y eut la modification constitutionnelle du 10 novembre 1969, et l’article 39 fut touché pour donner du sens aux actions d’Ahidjo. La procédure d’investiture du Premier ministre par l’Assemblée législative était supprimée, à la place il fut écrit que le président de la république fédérale nomme le premier ministre de chaque Etat fédéré. Un autre pas vers l’autoritarisme était ainsi franchi, synonyme d’une autre frustration laissée au sein de la communauté anglophone, habituée à faire des débats et choisir à l’issue d’une élection fortement courue leurs dirigeants. Mais le président Ahidjo n’en avait cure, il était prêt à frustrer davantage s’il le fallait pour atteindre ses objectifs, bien lancé dans la logique de la fin qui justifie les moyens. A cette date, John Ngu Foncha est toujours vice-président de la république fédérale, mais pas favorable à la réunification. Ahidjo trouva le moyen de l’évincer lors de l’élection présidentielle de 1970. Le bureau politique de l’Unc choisit Solomon Tandem Muna, toujours premier ministre du Cameroun anglophone comme colistier d’Ahidjo, au détriment de Foncha. Mieux, Ahidjo demanda à l’Assemblée fédérale de modifier une fois de plus la Constitution pour lever le verrou de l’incompatibilité entre la fonction de Premier ministre d’un Etat fédéré et celle de vice-président de l’Etat fédéral. Comme le dit François Bayard dans le livre l’Etat du Cameroun, les fédéralistes contrôlaient désormais Yaoundé et Buéa. Le chemin était désormais pavé, et entre le fédéralisme et l’unité, il n’y avait plus qu’un pas à franchir. Qu’importe les blessures morales que cela laissait derrière.

A la crise anglophone venue rappeler à tous que la plaie restait ouverte, s’est ajoutée depuis 2018 une autre manifestation du mal être de l’unité, la montée du discours haineux et tribal. Il est florissant dans les réseaux sociaux et des médias, entretenu par certains titulaires de doctorat et de Phd, aux côtés d’une meute politique qui se réclame de diverses obédiences, tout cela sous le regard admirateur d’un article introduit dans le code pénal en 2019, et qui punit le tribalisme.

L’acte

François Bayard relate les faits : quand Ahidjo annonce devant l’Assemblée fédérale en mai 1972 qu’il va soumettre à la volonté populaire par voie de référendum, la suppression du fédéralisme et la mise en vigueur de nouvelles institutions, cela étonne les observateurs. On savait que l’idée faisait son chemin, mais personne n’avait vu les choses venir aussi tôt. Le projet fut validé par l’Assemblée législative où Ahidjo s’était déjà assuré une forte majorité présidentielle. Le référendum quant à lui ne fut qu’une simple formalité, les électeurs avaient le choix entre oui et oui, et le oui l’emporta sur lui-même. La Constitution de 1972 finissait de concentrer les pouvoirs entre les mains du président de la république, elle supprima le poste de vice-président jadis réservé au Cameroun anglophone, même s’il ne servait à rien. La Constitution de 1961 prévoyait en son article 8 qu’il assistait dans sa mission le chef de l’Etat. Dans les faits, il était simplement chargé de l’expédition des affaires courantes pendant les absences du président Ahidjo, concomitamment avec le ministre de l’Administration territoriale. En temps habituel, le président de la république se bornait à le consulter sur des décisions qu’il était amené à prendre. Les avis qu’émettait John Ngu Foncha d’abord et Tandem Muna ensuite n’étaient pas contraignants pour lui. Le seul pouvoir du vice-président de la fédération était finalement virtuel, celui d’assumer en cas de vacance la fonction de président jusqu’à l’élection d’un nouveau président dans un délai de 50 jours. Cette clause n’a jamais été utilisée, et la constitution de 1972 supprima simplement ce poste. Ce poste qui incarnait le Cameroun anglophone dans la fédération, était resté inutile durant toute la période de la fédération, l’Etat unitaire venait l’effacer sans autre forme de procès. Sans le dire, Ahidjo et son Assemblée avaient ainsi exclu le Southern Cameroon de la partie, de l’histoire. Elle n’existait plus. Solomon Tandem Muna, le vice-président, se retrouva du jour au lendemain à errer comme une âme en peine, tandis que Foncha ruminait sa colère à distance, ayant échappé de justesse cette humiliation. Dans l’affaire de la réunification, les leaders anglophones dans l’ensemble se rendirent finalement compte qu’ils étaient allés simplement offrir l’autonomie du Southern Cameroon à Ahidjo qui leur avait tout pris : leur administration, leurs textes fondamentaux, leurs house of chiefs, leur assemblée, leur partis politiques, et même leurs hommes. Il avait tout concentré sur lui. Le parti c’était lui, l’Etat c’était lui.

En 2023, l’unité nationale fabriquée et actée en 1972, traîne encore les séquelles des malformations congénitales qu’elle avait déjà à la naissance. Le politique, pour rester fidèle aux institutions de la république continue de la célébrer, sans que les populations ne la vivent au quotidien. A la crise anglophone venue rappeler à tous que la plaie restait ouverte, s’est ajoutée depuis 2018 une autre manifestation du mal être de l’unité, la montée du discours haineux et tribal. Il est florissant dans les réseaux sociaux et des médias, entretenu par certains titulaires de doctorat et de Phd, aux côtés d’une meute politique qui se réclame de diverses obédiences, tout cela sous le regard admirateur d’un article introduit dans le code pénal en 2019, et qui punit le tribalisme.

Roland TSAPI