« Le 29 avril 2022, les forces du maintien de l’ordre ont sécurisé la destruction du domicile de Maître Etoke, notaire retraité ayant servi l’État du Cameroun pendant...... Au-delà du litige concernant le terrain en question, il convient de s’interroger sur un processus d’expulsion et d’annihilation hors la loi. C’est aussi et surtout de cela qu’il s’agit. Comment les représentants de l’État peuvent-ils procéder à la destruction d’un domicile sans présenter aucun document justifiant leur action ? Dans quel pays vit-on ? Comment une poignée d’individus influents peuvent-ils transformer la république, « res publica », la chose publique, en chose privée ? Selon Max Weber, les citoyens accordent à l’État « le monopole de la violence physique légitime ». Or, dans le cas qui nous concerne, la violence étatique est illégitime. Elle reflète un système de privatisation de la police camerounaise afin de promouvoir les intérêts privés d’une caste corrompue.
Au vu de l’entreprise de destruction massive qui a eu lieu au domicile de Maître Etoke, la police et la justice camerounaises ont tout simplement verser dans un gangstérisme étatique mémorable. L’objectif ultime étant de soumettre, humilier et traumatiser le citoyen camerounais, la machine répressive et le rouleau compresseur étendent leurs tentacules, elles acculent le citoyen à une mort symbolique ou réelle.
Sous l’effet de la contrainte physique, ce dernier doit à accepter le braquage juridique : l’injustice d’une justice au service d’intérêts particuliers. L’oligarchie s’approprie les pouvoirs régaliens. La justice, la police et l’armée mettent en scène le spectacle de la cruauté en postcolonie. Route bloquée, hommes en tenues armés jusqu’aux dents, camions communément appelés « mami wata », bombes lacrymogènes, coups de feu tirés en l’air, pelleteuses Caterpillar, tout ce déploiement de violence contre un homme debout. Son seul tort : se battre pour la terre de ses ancêtres. Avait-on affaire à un terroriste, à un criminel, à un repris de justice évadé, à un bandit de grand chemin ou à un ennemi public numéro 1 ? Non.
Deux jours avant l’acte final, les autorités expulsèrent Maître Etoke de son domicile après qu’il eut à peine le temps de ranger ses affaires que des bras armés s’empressaient de jeter dans la rue. Le terrain et la maison furent mis sous scellés. Comment expliquer la violence indicible qui s’en suivit ? Le 29 avril 2022, ils décidèrent de tout détruire. La symbolique de la destruction
spectaculaire témoigne d’un État policier qui exerce sur ses citoyens des techniques de discipline et de castration irréversible. Toute personne qui se bat pour ses droits sera tout simplement liquider en public.
Les familles Sawa sont connues pour les litiges fonciers. Cette propension à trafiquer les titres de propriété, à accaparer ce qui n’est pas à soi afin d’obtenir des espèces sonnantes et trébuchantes, ce côté obscur de l’humain qui le pousse à vendre ou à tuer le frère, est d’une banalité affligeante chez ce peuple. Les Sawa s’acoquinent et s’allient à des individus dont le pouvoir d’achat est à l’origine de multiples expropriations territoriales. Mbemb’a Mot’a, les lamentations prophétiques et mélancoliques d’Eboa Lottin décrivent à merveille la tragédie du peuple Sawa.
Au nom de son obsession maladive pour l’argent facile, il sacrifie l’honneur, la loyauté, l’amour et les liens du sang à l’autel de ses désirs mortifères. Il est devenu un peuple sans honte. Néanmoins, le litige familial est l’arbre qui cache la forêt. Le mélange toxique de la haine et de la soif d’argent atteint son point culminant lorsque l’État policier et militarisé s’en mêlent. La convergence d’intérêts privés entre différents leviers du pouvoir aux détriments du citoyen est un scandale !Au lieu de les protéger, l’État policier et militarisé abuse les citoyens dans une impunité complète.
Aucun recours. Aucune présentation de document justifiant la destruction d’un domicile privé. L’unique mot d’ordre : violence, violence, violence, sur une terre qui vous a vu naître, une terre où les parents, selon la tradition, enfouissait les cordons ombilicaux de leur progéniture. La sacralité de la terre violée, les fils et les filles du pays brutalisés, où allons-nous ? La privatisation de l’État i.e. la justice, la police et l’armée afin de procéder à des actes de maltraitance, de prédation, de destruction, de dépossession et de vol organisé, est un scandale qui devrait bousculer nos consciences léthargiques. Réveillons-nous ! Maître Etoke aujourd’hui, qui sera le prochain demain ? Combien d’anonymes invisibles avant lui ? Nous sommes tous en danger. Il ne s’agit pas d’un homme, mais du devenir de la justice et de l’État de droit au Cameroun. »
Alain Ekwalla