Un incident isolé ? Peutêtre. Ce qui est certain est qu’il pose sur la table la pertinence de la politique du gouvernement camerounais sur la question du retour des ex-combattants de Boko Haram dans leur village ; un mouvement commencé le 20 octobre dernier et qui, chaque jour, enregistre son lot de «nouveaux repentis». De fait, alors qu’elles sont encore circonspectes pour ne pas dire sonnées par le cheque en blanc signé par les autorités aux ex-combattants -ceux-ci sont libres de leurs mouvements à l’intérieur de leurs villages.
Un évènement survenu le 22 octobre 2017 à Tolkomari est venu renforcer le doute dans les esprits à propos de la stratégie du gouvernement qui, si elle rassure les terroristes de Boko Haram qui n’ont pas encore franchi le pas en les incitant au retour, ne garantit pas pour autant une totale sécurité aux populations censées les accueillir. «Prétextant chercher du tabac, Baba Oumaté s’est rendu au domicile de Siddi Marcel, a proféré à son égard des menaces et lui a même lancé des slogans de Boko Haram.
Pourtant, lorsqu’il avait juré avec trois autres de ses compagnons sur le Coran, le 21 octobre 2017, il s’était interdit tout lien et toute référence à Boko Haram», explique Bana, un riverain de Tolkomari. «Il a été arrêté aux environs de 23 heures. Il s’était introduit dans une concession privée prétextant vouloir du tabac. Il tenait à la main un grand sac et menaçait les occupants de la maison. C’est comme ça qu’ils sont mis à crier et par la suite il a maitrisé et conduit à la brigade de gendarmerie », raconte Oumaté Ali, un membre du comité de vigilance de Tolkomari.
«Il a fait beaucoup de bruit. Je n’étais pas encore au lit et je sorti de chez moi pour voir ce qui se passait chez mon voisin. Quand je suis arrivé, je l’ai vu prendre la direction de la brousse. Il tentait de s’enfuir fuir. Nous l’avons maitrisé et conduit à la brigade. Peut-être qu’il y allait récupérer son arme pour venir en découdre avec nous», déclare Guiéké, habitant de Tolkomari et voisin de Siddi Marcel. L’arsenal gouvernemental sur la question du retour des excombattants est pour le moins léger. Il se résume à un bref séjour chez les forces de défense et de sécurité - lequel n’excède généralement pas 24h – où les repentis sont débriefés avant d’être reconduits dans leur village.
Ici, une séance publique autour de la plus haute autorité religieuse musulmane est organisée et au cours de laquelle les ex-combattants jurent sur le Coran pour confirmer leur rupture de tout lien avec la secte terroriste. Cette étape se veut la plus coercitive, la plus décisive même, et consacre de fait le retour des repentis à la vie civile. Or, aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour contester la consécration du dispositif religieux comme principale levier de la resocialisation des ex-combattants. Celles-ci militent pour l’instauration d’un véritable processus, certes couteux, mais indispensable pour s’assurer des résultats crédibles.
«S’il fallait seulement jurer sur le Coran pour effacer de sa mémoire tout lien avec Boko Haram, retrouver une certaine virginité religieuse, retomber amoureux des vertus d’une société qu’on a passé le temps à combattre et à dénigrer, ce serait trop simple. Il est nécessaire d’admettre que l’étape qui consiste à jurer sur le Coran doit intégrer un mécanisme plus large, plus vaste. Les autorités doivent se poser une seule question : quel est le lien entre le Coran et ces repentis ?
Hier, ils juraient sur le Coran pour faire allégeance à Boko Haram qu’ils trahissent aujourd’hui en jurant de nouveau sur le Coran pour réintégrer notre société», admet une source administrative locale. Laquelle cite les exemples du Nigeria, du Tchad et du Niger, trois pays engagés dans la guerre contre Boko Haram et qui dispose de politiques assumées pour les repentis de Boko Haram.
Pour sa part, de sources gouvernementales se défendent de toute légèreté dans la gestion du retour des ex-combattants de Boko Haram. Une source gouvernementale ne manque d’ailleurs pas de relever que l’objectif principal aujourd’hui est de créer les conditions de confiance afin qu’un grand nombre de combattants camerounais de Boko Haram déposent les armes et regagnent la mère patrie.
«Il y aura toujours de petits dérapages dans ce processus, mais ce qu’il faut retenir, c’est que ceux qui viennent sont le fruit des coups de fils passés par les premiers repentis», indique-telle. Mis à l’index, le gouvernement est plus que jamais attendu sur ce nouveau chapitre de la guerre contre Boko Haram.