Opinions of Monday, 15 August 2016

Auteur: fr.allafrica.com

Réseaux Sociaux : Enquête sur le tribalisme 2.0

Photo d'archives utilisée à titre d'illustration Photo d'archives utilisée à titre d'illustration

Les plateformes interactives deviennent les nouveaux terrains d'expression des discours ethnocentristes qui connaissent une mue.

Le 10 juillet dernier, la mythique salle parisienne de l'Olympia Bruno Coquatrix abritait un concert dédié à la musique Fang-Beti orchestrée par des populations Ekang vivant dans des pays d'Afrique Centrale (Cameroun, Gabon et Guinée Equatoriale). En têtes d'affiches, on pouvait retrouver des noms bien connus de la scène musicale nationale à l'instar de Mbarga Soukouss, Govinal et K-Tino entre autres.

A la manoeuvre de l'organisation trônait Pascal Pierre Bengono, l'ancien animateur vedette de l'émission de variétés « Tubes Vision » qui a fait les belles heures de la CRTV dans les années 1990. L'événement promettait de donner à la communauté africaine de l'Hexagone des sonorités venues de la forêt équatoriale afin de rafraichir ses vacances estivales.

Seulement, la constellation de stars a dû se produire un dimanche, veille de reprise du travail et surtout un jour de finale d'Euro de football. Conséquence, c'est un public clairsemé qui a fait le déplacement pour applaudir la dizaine d'artistes programmée. Instantanément, des images du concert vont être partagés sur les réseaux sociaux, avec pour commentaire récurent que l'organisation n'aurait pas totalement réussie le pari de la mobilisation.

Le correspondant de Canal 2 International en France, Eric Golf Kouatchou sera l'un des porte-paroles de ce courant tendant à mettre le doigt sur certaines insuffisances du spectacle dans son volet programmation surtout. Rapidement, les esprits vont s'échauffer sur la toile et les amalgames se multiplier « ce bamiléké n'a pas à mettre sa bouche dans nos choses. Quand ils ont organisé le concert Sam Fan Thomas- André Marie Tala, personne n'a parlé qu'il se taise », « le peuple Fang-Beti ne supportera plus les immixtions de certain gens qui n'ont pour objectif que le dénigrement » ont écrit des personnes cachées derrière la réalité virtuelle de leurs ordinateurs et smartphones.

Egalement courroucé par les critiques d'Eric Golf Kouatchou, Pascal Pierre Bengono va demander, dans une vidéo postée sur son compte Facebook, que le journaliste de Canal 2 International présente des excuses publiques au « peuple Ekang » dans un délai de 48 heures. L'animateur dit ne pas supporter les bassesses du correspondant de la chaine privée en France qui aurait taxé les chanteurs de son concert d'artistes « de bars ». La polémique va rapidement déborder le simple stade des éclats de voix pour passer le cap des menaces sur la famille d'Eric Golf Kouatchou qui se dit victime d'intimidation.

Le 30 juillet, il a posté sur sa page inscrite sur le réseau crée par Mark Zuckerberg des clichés de son véhicule vandalisé. Les appels au calme de Pascal Pierre n'y feront rien : la guerre sera déclarée entre « les Bétis et les Bamilékés ». Métastase de ce psychodrame facebookien, les différentes communautés de la toile vont se déchirer sur cette affaire loin d'être anecdotique. Pascal Pierre Bengono sera encore malgré lui un acteur, cette fois lointain, d'un autre « buzz » qui a agité les réseaux sociaux. Le samedi 30 juillet, il officiait comme maitre de cérémonie de l'élection Miss Cameroun qui a sacré Julie Frankline Cheugueu Nguimfack. Comme il est désormais de tradition, le choix de la reine de beauté désignée au Palais des Congrès n'a pas fait l'unanimité et des sous-entendus sur son origine ethnique ont été perceptibles.

Taxée de « bosniaque » par des internautes qui se sont fendus de propos assez orduriers, la nouvelle Miss Cameroun a débuté son règne nerveusement. Loin de Yaoundé, la comédienne Aline Marie-Christine Zomo-Bem, basée en France, joue régulièrement la surenchère dans des vidéos comiques postées sur YouTube et qui ne font pas rire tout le monde. Elle opère une certaine dénivellation entre les groupes ethniques du Cameroun, notamment avec « ses anciennes belles soeurs bamilékés » du temps de son idylle avec le chanteur de Makossa Guy Manu. Les forums de débats sont également devenus le coeur de l'agitation sur Facebook en particulier.

L'un des plus en vue est « Le Cameroun C'est le Cameroun (LCCLC) » qui a environ 53.000 membres. Avec fréquence, il n'est pas rare de voir des débordements portés par la problématique de l'ethnie. C'est le clivage Bamilékés- Bétis qui est le plus souvent érigé en opposition par les débateurs même si « les Nordistes » , « les Anglophones » et « les Bassas » sont aussi , à des degrés moindres, au coeur de pugilats verbaux aux relents tribaux. Les réseaux sociaux ne sont pas des galaxies lointaines coupées du monde réel qui les sécrète. Les sujets les plus polémiques proviennent presque toujours de ce qui a pu être dit sur l'espace public. Faut-il cependant s'inquiéter de ces nouveaux canaux d'expressions véhiculant, avec de plus en plus d'acuité, la difficulté de vivre avec l'autre ?

Yves Martial Tientcheu en tout cas le pense. Fondateur du site d'informations en ligne LeBledparle.com, il garde un oeil permanemment rivé vers les débats des plateformes virtuelles. D'après lui : « Facebook, précisément, a permis à beaucoup de personnes de créer un nombre insoupçonné de groupe à vocation communautaire qui sont devenus à long terme communautaristes, parfois même des groupes créés pour d'autres thématiques ont fait naitre du communautarisme.

D'autre part, je constate, que généralement dans des forums de discussions ou sur les commentaires des pages, il devient difficile pour un Béti par exemple de critiquer un Bamiléké ou alors un Bassa sera rapidement pris à partie par ces derniers et vice versa, même si la critique est saine. Il est désormais plus facile de dire ce que l'on pense, que face à une personne. Sur la toile, la liberté d'expression est vraiment grande. Il y a aussi que les leçons de moralité sont bafouées par ces jeunes.

Autant que cette xénophobie, je suis souvent très choqué quand je vois sur la toile des jeunes qui au lieu de vouvoyer des inconnus, des ainées, les tutoient ; des jeunes qui n'acceptent pas la critique. » Comme Yves Martial Tientcheu, nombreux sont ceux qui considèrent que les espaces digitaux sont venus conforter la rigidité des cloisons fortifiées qui jouent le jeu du refus du vivre ensemble, la stigmatisation et l'intolérance. Sans grand censeur encadrant les débats et limitant les dérapages, « les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles, qui avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix de Nobel. C'est l'invasion des imbéciles » avait déjà analysé le célèbre sémioticien italien Umberto Ecco.

Danger réel ou exagération ?

Mais la description des réseaux sociaux faite à l'aune de l'ethnocentrisme n'est pas partagée par Cédric Tsimi de Kabango, internaute très actif dont les « coups de gueule » ne manquent jamais de punch. De son point de vue : « Ma lecture est radicalement différente. Je ne crois pas que la société camerounaise soit tribaliste! Rappelons au passage qu'il y a plus de 200 ethnies! Il y a une instrumentalisation des ethnies, du haut vers le bas! Les réseaux sociaux ne représentent pas la réalité camerounaise. Je ne crois pas que quand on marche à Yaoundé ou à Douala, c'est le tribalisme qui frappe.

Il y a bien sur des discours foncièrement communautariste qui tendent à privilégier l'origine ethnique à l'appartenance nationale! C'est toujours des gens qui se bataillent pour tel ou tel intérêt ou le pouvoir qui embarque le reste dans des batailles de clan! Je ne suis plus depuis des lustres sur LCCLC mais ce n'est pas tant un problème de tribalisme, c'est un problème d'ego, de pouvoir! On peut se moquer des Bamis, Toupouris et Ewondos, n'importe qui ! La société camerounaise est constituée à 75% par des jeunes, lesquels sont parfois en zone urbaine! Moi je ne vois pas le tribalisme. Il existe, mais est un épiphénomène. Le problème pour moi c'est la misère, les guéguerres pour le pouvoir et donc le positionnement! On ne peut pas essentialiser les forums dans les réseaux sociaux. Ceux qui les composent sont d'une extrême diversité sociale, ethnique...et j'en passe! Pour le cas de LCCLC par exemple, il n'y a pas que des bamilékés là-bas je pense! »

Sur un ton comique et décalé, le rappeur Koppo, auteur de la chanson à succès « Si tu vois ma go » a aussi défendu un argumentaire proche de celui de Cédric Tsimi de Kabango. Dans une publication mise en ligne le 03 août dernier, Koppo a suscité un vif débat en donnant son sentiment sur les critiques dont fait l'objet la Miss Cameroun 2016 Julie Frankline Cheugueu Nguimfack : « Pour dire à mes frères de l'Ouest de cesser de verser dans la victimisation. Être Bami n'est pas un péché comme je l'entends de temps en temps. Bien au contraire, que serait le Cameroun sans le dynamisme des peuples des Grassfields?

Le sens des Affaires, de la Commekseuh. Aujourd'hui nous voyons un défilé de tenues en tissus pagnes les week-ends, Qui nous a appris l'importance des Réunions, des Associations, des GIC, des Tontines. Les Critiques autour de Miss Cameroun ne sont pas tribales, elles ont toujours existé depuis que cette compétition exècre une bonne partie du Mboa. C'aurait été une fille Ngoumba ou Bamoun qu'on aurait eu les mêmes quolibets. Après je reconnais que mes frères de l'Ouest traînent des tares qu'ils n'ont pas volé..;

Comme tout le monde d'ailleurs. Quand on dit à un Bami qu'il est sale ou hypocrite C'est parce qu'on vient de rappeler à un Ewondo qu'il n'est qu'un bête petit vendeur de terrain Et qu'il vient d'offrir à boire à un Bassa viscéralement opposant, méchant et descendant de Maquisards.

Tout ceci sous les rires hilares d'une vendeuse de Beignets Haoussa, dépucelée du rectum parce que tenant à honorer sa famille lors de l'épreuve de Vérification de Virginité à sa Nuit de Nioxx, de Noces autant pour moi Ces tares, Ces clichés sont caricaturés dans le but ultime de se moquer, de ridiculiser au maximum. Ceci a toujours existé entre peuplements, entre clans. En France, on trouvera toujours des "intrigues" entre Bretons et Corses. Entre Normands et Ch'tis .Entre Français et Belges. RIEN DE BIEN MÉCHANT. »

Alors, être tribaliste ou ne pas l'être, sur les réseaux sociaux ? Telle semble être la question posée à ces utilisateurs qui ont fait du débat une tribune vulgarisant aussi des messages de cohésion nationale.

La Guerre contre Boko Haram dans la Région de l'Extrême-Nord donne à cet effet l'illustration de ce que Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp peuvent être des mausolées « à la mémoire de nos frères nordistes » comme l'a posté un camerounais 2.0 d'Internet.