Opinions of Thursday, 3 December 2015

Auteur: cameroon-tribune.cm

Recherche et innovation : Que deviennent nos trouvailles ?

Une semaine déjà que la cinquième édition des Journées de l’Excellence de la Recherche scientifique et l’Innovation au Cameroun (JERSIC) s’est achevée. D’ici à ce que les prochaines se tiennent en 2017, les principales innovations primées lors de cette grand’messe scientifique meubleront l’actualité dans le secteur. Il y a eu, parmi les chercheurs récompensés, Divine Tinzoh, l’inventeur de la décortiqueuse de pistache. C’est une machine deux en un. La première tâche qu’elle permet d’effectuer en mode automatique, c’est de décortiquer, c’est-à-dire retirer la graine de son enveloppe. La deuxième tâche est assimilable à celle d’une passoire puisqu’elle retient la graine et laisse passer les déchets.

Ce chercheur, lauréat du Lion d’or de l’innovation a reçu 10 millions de F pour cette trouvaille qui devrait moderniser le travail des paysans. C’est également avec l’idée d’améliorer leurs conditions de travail que l’équipe de chercheurs conduite par le Dr. Henri Bayemi de l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD) a, au terme de leurs recherches, abouti à une technique d’amélioration de la production laitière. Innovation qui leur a valu le Lion d’or de l’Excellence scientifique et de l’Innovation, prix d’une valeur de 10 millions de F. Cette innovation a permis d’avoir des vaches qui produisent quinze litres de  lait par jour, contre deux litres à peine en temps normal.

Maintenant qu’elles ont été révélées au grand public et reçues des distinctions, il reste pour ces deux innovations, comme pour la plupart de celles qui naissent chaque jour dans les laboratoires, à être vulgarisées. Cela suppose, pour la décortiqueuse de pistache, qu’il faille trouver des financements pour multiplier les copies afin des les rendre accessibles aux personnes pour lesquelles elle a été conçue. De telle sorte qu’en 2017, lors des prochaines JERSIC, que la décortiqueuse de pistache soit réellement utilisée par ses destinataires. Le challenge est grand et les chercheurs le savent. Passé l’émerveillement devant leurs prouesses, les facilitations et les encouragements qui suivent, il y a que, l’accompagnement souhaité n’est pas toujours évident.

Arthur Zang, l’inventeur du « célèbre » Cardiopad, cette tablette tactile permettant de faire des soins cardiologiques à distance, peine à produire ces appareils à l’échelle industrielle. Cet ingénieur qui a reçu plusieurs distinctions à l’échelle nationale et internationale pour sa trouvaille vieille de deux ans déjà, confiait dans une interview accordée à CT en juin dernier les difficultés à obtenir des financements auprès des banques locales pour finaliser la fabrication de son appareil. Des besoins qu’ils estimaient à 20 millions de F.

Le financement reste, en effet, le principal obstacle à la vulgarisation des fruits de la recherche au Cameroun. Le sujet a encore meublé les débats lors des JERSIC 2015. Objectif des échanges, trouver des solutions pour une meilleure appropriation des résultats de la recherche ainsi que leur exploitation dans l’économie. Dans le secteur des matériaux locaux où des avancées ont été enregistrées en termes de recherche, le constat fait est celui d’une timide évolution de l’entrepreunariat.

On attend encore de voir ce qu’il adviendra du ciment écologique (à base de latérite et produisant très peu de gaz carbonique), dernière trouvaille dans ce secteur qui porte l’estampille de Patrick Lemougna Ninla, récompensé dans la catégorie meilleurs chercheurs juniors (avec une enveloppe de 500 000 F) et détenteur du prix national jeunes scientifiques Kwame Nkrumah de l’Union africaine et de l’Académie des sciences pour le monde en voie de développement (TWAS) d’une valeur de 5000 dollars US.

Dans la quête de solutions à cette épineuse question de la vulgarisation de la recherche, les idées convergent vers le secteur privé. Le Dr. Ernest Simo invité d’honneur aux JERSIC 2015 a pendant sa leçon inaugurale, suggéré aux chercheurs camerounais, de « cibler les produits d’importation à développer pour le marché national avec le concours des privés ». L’implication du secteur privé dans le secteur de la recherche serait donc salutaire pour la survie des nombreuses innovations qui dorment pour beaucoup dans les tiroirs. Des mesures incitatives à l’image de celles prévues dans la loi du 18 avril 2013 sur l’investissement privé pourraient servir de modèles.

Mais d’ici-là, la concrétisation dans les plus brefs délais des recommandations formulées au terme des échanges entre experts lors des JERSIC permettrait d’avancer plus rapidement. Il s’agit de mettre en place un cadre de concertation permanent entre les entreprises et les chercheurs. Il est également annoncé, la création d’un fonds national pour la facilitation de la recherche au Cameroun, une redevance à l’innovation, un cadre institutionnel pour le suivi des résolutions, entre autres ont aussi été suggérés. Dans un contexte marqué par l’émergence de jeunes esprits créatifs, l’urgence de la vulgarisation du fruit de leurs génies est une évidence.