Au sein de l’opinion, son maintien au gouvernement de vendredi dernier est très mal accueilli. Et pourtant…
Ceux qui attendaient avec une assurance survoltée, le départ d’Edgard Alain Mebe Ngo’o du gouvernement, devront encore attendre. C’est que, depuis la manifestationdu 9 septembre des casques bleus camerounais de retour de la Centrafrique, de nombreux observateurs voyaient le ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense (Mindef) perdre des plumes.
Ce d’autant plus qu’on n’avait jamais, dans l’histoire de l’armée camerounaise, vu des militaires sortir des casernes pour protester dans la rue.
Des indiscrétions de palais indiquent que Paul Biya de retour de l’étranger avait déjà les coudées franches pour bouger les lignes au niveau de la Défense nationale, au regard également des bruits en provenance des hommes de troupe (notamment ceux du Bataillon d’intervention rapide) engagés dans la lutte contre la secte Boko Haram à l’Extrême-Nord.
Pour des langues fourchues, les prémices d’une implosion au sein de la grande muette étaient perceptibles. Allusion faite à l’affaire de détournement de l’effort de guerre et autres primes des soldats au front, qui ont failli créer l’étincelle.
On comprend pourquoi, à l’occasion de l’installation du commandant de la 3ème région interarmées à Garoua, Fréderic Ndjonkep Meyomhy, il y a quelques temps, Edgard Alain Mebe Ngo’o avait solennellement prescrit à ce dernier, de respecter «tous les droits» des soldats.
Il semblerait donc, selon toute vraisemblable, que les hurlements des soldats ont été entendus par la plus haute autorité de l’État. Sauf que, face à tous ces bruits de bottes, le chef des Armées, fidèle à sa politique de contre-pied, a choisi de couper pour le moment, la poire en deux en mutant l’ancien délégué général à la Sûreté nationale aux Transports. Edgard Alain Mebe Ngo’o est-il au bout de ses peines ?
Pas si sûr, puisqu’à la tête de ce strapontin, le chef de l'État va sans doute assigner des tâches bien précises au successeur de Robert Nkili. On pense notamment à l’épineux dossier Camair-Co, qu’il trouve sur sa table. Sur les routes, l’incivisme bat son plein, avec pour conséquence de nombreux accidents de circulation enregistrés.
Dans tous les cas, l’ancien Mindef qui va sans doute se séparer de son sempiternel cortège ronflant, est parfaitement conscient de la tâche qui l'attend aux Transports, même si certains soutiennent sans grande conviction que l’élégant homme serait déjà, ni plus ni moins, sur les traces de Jean Marie Atangana Mebara, muté du secrétariat général de la présidence de la République pour le ministère des Relations extérieures, s’est retrouvé en prison, huit mois seulement après.
Vrai ? Faux ? À voir. Surtout que Mebe n’est pas Mebara…
Toujours est-il, dans les conditions décrites plus haut, il est évident que le nouveau patron des Transports semble toujours jouir de la confiance du président de la République. Une confiance jamais démentie depuis qu’il est préfet du département du Mfoundi, avec à sa charge le dossier Edzoa Titus.
Au Cabinet civil de la présidence de la République (1997-2005), son séjour a également été marqué par de nombreux faits d’armes. Devenu entre temps délégué général à la Sûreté nationale (Dgsn) en 2004, il a su marquer d’une pierre blanche son passage dans ce secteur névralgique, ce qui lui a d’ailleurs valu sa nomination à la Défense en 2009.
Partout donc, ce digne fils Fong, fils de feu député Ngo’o Mebe, originaire de Zoétélé, dans le Dja et Lobo, région du Sud, a hérité des dossiers importants, délicates et sensibles.
Tsunami profond.
Au-delà des jérémiades et appréciations du peuple, l’on s’apitoie déjà sur l’avenir du gouvernement du 02 octobre dernier, étant donné qu’au fond, l’échec de l’équipe du 09 décembre 2011 est cuisant, à quelques exceptions. De nombreux projets d’envergure restent au stade des vœux.
Du coup, une grille de lecture du réajustement gouvernemental laisse penser à bien des égards que le tsunami présidentiel arrive à grands pas. Avec l’échec du plan d’urgence, l’inertie et l’incompétence décriées depuis le 31 décembre 2013par Paul Biya lui-même, quelque chose risque inévitablement se passer entre décembre 2015 et avril 2016.
Normal donc que, depuis le mouvement de vendredi dernier, l’on trouve que la plupart des ministres restent en sursis. Qu’on se souvienne des ministres des Sports (Théodore Lando et Samuel Makon Wehiong en l’occurrence) n’ont fait que quelques mois de magistère.
Quant au sort des ministres débarqués, l’on pense à tort ou à raison dans les chaumières, qu’il sont été boutés du gouvernement Yang, soit pour insubordination, soit parce que sous le coup d’une enquête au niveau du Tribunal criminel spécial (Tcs), pour leur indélicatesse avec l’argent public.
On avance entre autres les noms de Jean Pierre Biyiti bi Essam (ex-Minpostel), Essimi Menye (ex-Minader), Catherine Bakang Mbock (ex-Minas) et Adoum Garoua (ex-Minsep), dont les dossiers sont actuellement épluchés par les enquêteurs du Tcs. Il est donc constant que de nombreux anciens membres du gouvernement Yang ont perdu le sommeil, sachant pertinemment que leur sortie entraînera sûrement leur internement à la prison de Kondengui. Verra qui vivra !
Les autres rescapés du 02 octobre
Plusieurs membres du gouvernement, maintenus ou mutés, traînent des casseroles peu reluisantes. L’on s’attendait à les voir quitter le navire.
Le président de la République, dans son message à la nation le 31 décembre 2013, s’interrogeait : «D’où vient-il donc que l’action de l’État, dans certains secteurs de notre économie, paraisse parfois manquer de cohérence et de lisibilité? Pourquoi, dans bien des cas, les délais de prise de décision constituent-ils encore des goulots d’étranglement dans la mise en œuvre des projets?».
Paul Biya ajoutait : «La plupart de nos grands projets mettent en jeu, à un stade ou à un autre de leur mise en œuvre, les compétences de divers services. Je ne suis pas sûr que l’indispensable coordination entre ceux-ci ait toujours lieu». Une manière secrète pour le chef de l’État d’indiquer que le Premier ministre (Pm), Philemon Yang, avait failli à sa mission de coordonnateur de l’action gouvernementale.
En effet, s’il est des qualificatifs à mettre à l’actif du gouvernement Yang II, c’est l’incohésion, l’impréparation et l’incompétence. Quand les membres de cette équipe ne se crêpaient pas le chignon, ils s’en prenaient vertement au Pm, considéré comme une personnalité fantoche, sans ascendance sur les ministres.
À l’observation, Philemon Yang n’avait plus le cœur à l’ouvrage. Il ne prenait plus de décisions majeures et laissait son secrétaire général prendre les actes les plus importants. Les seules fois où l’on le sentait impliqué dans la vie de la nation, c’était dans le cadre de la gestion du droit d’auteur et droits voisins de l’art musical.
Selon plusieurs indiscrétions, il aurait même, à plusieurs reprises, demandé au chef de l’exécutif à être démis de ses fonctions. Face à une telle déliquescence, Paul Biya avait indiqué la porte de sortie dans son adresse à la nation du 31 décembre 2013 : «Il nous faudra sans aucun doute améliorer les choses …
Sans doute faudra-t-il impérativement s’attaquer aux causes de nos insuffisances en supprimant les points de blocage». Le président de République, entre les lignes, annonçait ainsi le limogeage de l’ancien ambassadeur du Cameroun au Canada.
Son maintien à la tête du gouvernement au soir du 02 octobre aura donc constitué une grosse curiosité pour de nombreux Camerounais. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs que le Pm est le «rescapé en chef» du récent réajustement ministériel.
Bal des vautours.
Les mêmes mauvaises langues prétendent que l’ancien ministre de l’Économie, du Plan et de l’Aménagement du territoire, Emmanuel Nganou Djoumessi, aurait pu normalement «gagner le quartier» et non se voir confier un autre département ministériel. Car, indique-t-on dans les salons huppés et chaumières de la République, l’ancien aide-soignant d’Ayos avait suffisamment montré ses limites.
Se prenant parfois pour le plus intelligeant de la bande à Yang, son passage à l’«Immeuble rose» n’aura été couronné d’aucun succès, mais aurait plutôt contribué à saper d’une manière ou d’une autre l’excellent travail laissé par son prédécesseur Louis Paul Motaze.
Bien plus, son nom est revenu dans tous les scandales financiers qui ébranlent le Cameroun : Programme de reconversion économique de la filière banane plantain (Prebab), achat des avions chinois, don de 400 millions Fcfa aux députés du Sud… Plus grave, il s’est enrichi de façon exponentielle ces 3 dernières années.
Il multiplierait des subterfuges pour acquérir des hectares de terrains autour de Yaoundé. Au grand dam des populations riveraines. Le successeur de Patrice Amba Salla, un autre médiocre, est dans le viseur du Tcs.
Et il n’est pas seul, puisque de sources crédibles, le nom du ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières était inscrit dans la liste des départs du gouvernement. Elle devait être débarquée dans le même train qu’Essimi Menye, avec qui elle est engluée dans plusieurs affaires foncières.
Le 20 janvier dernier, elle était appelée à s’expliquer devant le Tcs, accusée d’avoir spolié près de 11 titres fonciers relevant du domaine de l’État, sous le prétexte de la rétrocession-indemnisation à des tiers. On ne sait donc pas par quelle pirouette, Jacqueline Koung à Bessiké a été sauvée du coup de tête de Paul Biya.
Dans la même veine, André Mama Fouda peut également être considéré comme l’un des gros rescapés du mouvement de vendredi dernier. Le ministre de la Santé publique, de l’avis de plusieurs observateurs, est très en dessous des attentes des populations. Les hôpitaux publics se sont transformés en véritables mouroirs.
La lutte contre les grandes endémies s’est transformée en commerce. D’ailleurs, dans ce registre, lui-même avouait devant la presse en 2013 que 100.000 personnes par an mourraient encore de paludisme au Cameroun. Pourtant, il ne se passe pas un trimestre sans qu’on ne rapporte un coup de vol perpétré à son domicile sis à Obobogo où des centaines de millions thésaurisés sont généralement emportés.
L’ancien directeur de la Mission d'aménagement et d'équipement des terrains urbains et ruraux (Maetur) est lui aussi dans le viseur de la justice, du fait de ses nombreuses entourloupes dans l’achat des terrains.
L’autre départ tant attendu par l’opinion publique nationale était celui de Philip Ngolè Ngwese, ministre des Forêts et de la Faune. L’homme est accusé par plusieurs organisations internationales (Oi) et organisations non gouvernementales (Ong) des questions forestières et environnementales de gestion controversée de l’exploitation des forêts camerounaises.
Des accusations qui, de toute évidence, ne font pas honneur à la réputation du pays. D’autres ministres sont également cités dans la liste de ceux qui ont échappé de justesse au limogeage. «D’autres textes du chef de l’État sont attendus et certaines choses peuvent être rattrapées», commente un analyste politique ayant requis l’anonymat.