De Ahmadou Ahidjo à Paul Biya, la littérature à caractère politique connaît des fortunes diverses. Utilisée par le pouvoir pour améliorer son image, elle est censurée lorsqu’elle est pratiquée par les Mongo Beti, Pierre Ela, Fanny Pigeaud, Bertrand Teyou…
Mongo Beti tiendrait certainement la tête du hit parade des écrivains polémistes du Cameroun. Eza Boto (l’homme d’autrui, en langue Ewondo) a en effet donné la mesure de son engagement dès ses premières productions littéraires. Un engagement sans haine et sans amour, pour paraphraser sa toute première œuvre parue aux éditions Présence Africaine, en 1953. Un militantisme qui prend sa vitesse de croisière trois ans plus tard. «Le pauvre Christ de Bomba», paru en 1956 marque le premier scandale et la première interdiction des œuvres d’Alexandre Biyidi Awala de son vrai nom tant en France qu’au Cameroun. Dans un style et une verve qui lui étaient singulières, l’auteur de regrettée mémoire, y fait une description satirique du monde missionnaire et colonial.
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Inlassable, l’auteur de «Mission terminée» ne s’arrête pas là.
L’agrégé de lettres classiques fait reparler de lui en 1972. Estampillé écrivain anti-colonialiste, Mongo Beti livre «Main Basse sur le Cameroun» aux éditions Maspero. Une autopsie de la décolonisation. Une fois de plus, l’ouvrage est d’abord censuré en France par le ministre français de l’Intérieur, Raymond Marcellin et sur la demande de Jacques Foccart, le monsieur Afrique de l’époque, le gouvernement camerounais est mis à contribution.Des sources proches des cercles du pouvoir y voient la main de l’ambassadeur camerounais de l’époque en France, Léopold Ferdinand Oyono.
Comme mue par un instinct de défiance, ce militant de la section de l’Union des populations du Cameroun de France refait parler de lui avec, «Remember Ruben». Un autre ouvrage interdit au Cameroun et en France. En fait, l’auteur est considéré par l’extrême droite française, les gauchistes et les Maoïstes comme «un commerçant permanent de la révolution». Ses défenseurs, eux, saluent «la détermination de Mongo Beti à mettre en évidence les deux techniques principales du néocolonialisme français.» Un système qu’Alexandre Biyidi lui même décrit comme «une conjugaison du mensonge et de la violence.»
«Dans les secrets du palais»
Politique, services secrets, sécurité nationale… Des thèmes chers à un autre de son jeune compatriote Pierre Ela, transfuge de la police nationale dont «Les dossiers noirs sur le Cameroun»paru aux éditions Menaibuc en 2008 se veut un diagnostic révélateur de l’état de santé du Cameroun.
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Ancien cadre des Renseignements généraux camerounais, le commissaire Pierre Ela, tout au long de son œuvre dénonce le jeu des influences des services secrets étrangers au Cameroun ; les dessous des mécanismes de fonctionnement du pouvoir ; la face cachée de l’opposition camerounaise mais aussi, « Les dossiers noirs sur le Cameroun » évoque des anecdotes sur quelques personnalités marquantes de l’espace sociopolitique camerounais. Paul Biya, Ni John Fru Ndi, François Sengat Kuoh, le Cardinal Christian Tumi et autres Samuel Eboua... En toile de fond, «l’ancien agent secret de Paul Biya», comme on le surnomme dans les milieux proches du pouvoir pose la question de l’alternance au Cameroun. Au cœur du débat, le problème de l’ingérence de la France dans les affaires intérieures du Cameroun et de la sous-région Afrique centrale.
C’est sur la même toile, que la journaliste française, Fanny Pigeaud, peint le régime Biya. «Au Cameroun de Paul Biya» est dès lors sanctionné.
En fait, l’ancienne correspondante de l’Agence France presse au Cameroun, à travers cet ouvrage produit par les Editions Khartala, autopsie les 29 ans de Paul Biya à la tête de l’Etat. Sous cape, l’on reproche à son auteure de troubler la mare paisible du marigot politique camerounais. D’autant que, quelques temps avant sa publication, François Mattei, un autre journaliste français publiait «Le code Biya», un livre présentant Paul Biya sous un angle positif et qui fera l’objet d’un marketing agressif des pouvoirs publics qui ne lésinent pas sur les moyens pour le promouvoir. Au contraire «L’anté-code Biya» de l’auteur camerounais Bertrand Teyou qui sera, lui, interdit. «La belle de la République bananière…», inspiration du même auteur dont la première dame du Cameroun en est l’actrice principale, connaîtra d’ailleurs le même destin. En sus, Bertrand Teyou connaîtra les douceurs des geôles locales.
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Moins connu de la légion des «subversifs littéraires», Daniel Ebale Angounou ne manque pas de faits d’armes. Son livre «Sang pour sang : le vrai visage de Paul Biya » interdit de diffusion au Cameroun se veut le témoignage d’un homme du sérail.
«J’ai connu Jeanne Irène Biya, femme que je vénérais presque. J’ai aussi connu Roger Motaze. Ce brillant officier. Tous ont été victimes de Paul Biya», y affirme l’auteur. Sa deuxième publication, «Paul Biya : le cauchemar de ma vie» cache mal l’amertume de Daniel Ebale Angounou qui a été incarcéré à 30 mois de réclusion en 1991. l’homme qui réclamait sa proximité avec les cercles du pouvoir évoque tour à tour la mort de la défunte première dame, Jeanne Irène Biya, le pacte Biya-Ahidjo ainsi que les raisons de la discorde entre le Cardinal Christian Tumi et l’actuel chef de l’Etat. Entre autres affirmations, l’auteur de «Sang pour Sang» décrit les pratiques d’homosexualité et de zoophilie au palais de l’Unité. Un palais qu’il qualifie de «hanté».
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L’évocation n’est pas exhaustive. La publication récente des «Nouvelles interdites depuis 34 ans»du prince Kum à Ndumbe fait apparaître comme un renouveau dans la tradition de censure que connaît la littérature politique au Cameroun depuis l’indépendance. L’ouvrage paru en France évoque le rôle des leaders politiques et traditionnels dans la perpétuation du néocolonialisme en Afrique et au Cameroun. 34 ans après son interdiction, le livre sort du maquis et son auteur pense que la vieillesse relative de son contenu fait foi.