Opinions of Saturday, 13 October 2018

Auteur: Ndzana Seme

Témoignage: le jour où Paul Biya a voulu assassiner Fru Ni

C'était lors de la présidentielle de 1992 où Paul Biya avait été battu dans les urnes C'était lors de la présidentielle de 1992 où Paul Biya avait été battu dans les urnes

Il y avait en effet en 1992 un candidat sérieux de l’opposition: Ni John Fru Ndi. Ce candidat avait gagné les élections présidentielles de 1992. Mais le pouvoir l’avait d’abord placé à résidence surveillée. Son domicile à Bamenda était ceinturé par les militaires aux ordres du général Pierre Semengue, à l’époque chef d’état major des forces armées.

Le rédacteur de cet article était superviseur des élections d’octobre 1992 pour le compte du Social Democratic Front de Fru Ndi dans l’arrondissement de Ngoumou. Il découvrit que les personnes décédées de son village, y compris son propre frère mort un an plus tôt, étaient portées sur les listes électorales comme ayant voté. Il dénonça, parmi tant d’autres, cette fraude lors du dépouillement des votes à la sous-préfecture. Le superviseur du RDPC de Biya, Roger Tchoungui, fut coincé et obtint du sous-préfet que les procès verbaux fussent signés le lendemain matin ; le temps que le plaignant apporte les preuves, notamment les certificats de décès. Très tôt le lendemain, le plaignant trouva plutôt une sous-préfecture vide. Tout le monde était parti au centre électoral départemental de Mfou, où toutes les portes lui furent fermées, de même que bureau du président du tribunal. Le procès-verbal du bureau de vote d’Ebolboum ne fut jamais signé par le superviseur du SDF rédigeant cet article. Un autre procès verbal, faux, fut introduit par Roger Tchoungui et ses complices, et il fut validé par le tribunal de Mfou.

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C’est muni des preuves de fraudes comme celle-ci que le SDF introduisit un amendement de fraudes électorales massives. L’amendement aurait pu bloquer toute publication des résultats et aurait commencé un contentieux électoral.

Corruption ou non, ce qu’on sait cependant c’est que, après une réunion dans les coulisses entre le gouvernement et Joseph Mba Ndam, alors conseiller juridique de Fru Ndi, tout le pays apprit dans la plus grande stupéfaction et déception que le SDF retirait son amendement. Et le président de la cour suprême, Alexis Dipanda Mouelle, prononça, non sans avouer qu’il avait « les mains liées », Paul Biya comme le gagnant.

Au sein du pouvoir, tout le monde poussa un ouf de soulagement. On venait de frôler le pire sur lequel devait aboutir le plan B : à savoir l’assassinat de John Fru Ndi, l’instigation par ce fait du soulèvement général des populations de Bamenda, de l’Ouest et du Littoral, bastions du SDF, et le lancement des massacres des Bamilékés et des Anglophones par les milices Beti « autodéfense », « nkul nnam », « café » et autres. Un génocide venait d’être évité de justesse.

On félicita particulièrement Gilbert Andzé Tsoungui, alors ministre de l’administration territoriale - et ancien préfet ayant supervisé pendant les années 1960 les massacres des militants de l’UPC dans l’Ouest – pour avoir apporté sur un plateau d’argent au président de la cour suprême la « preuve » qui lui permit de prononcer Paul Biya vainqueur : à savoir les procès verbaux fictifs des bureaux de vote de l’Extrême Nord avec des résultats fictifs favorables à Paul Biya. Le SDF, qui n’avait pas fait campagne dans cette partie du pays, ignorait le nombre exact des électeurs de cette région. Un nombre que Andzé Tsoungui et les siens avaient créé pour compenser et dépasser l’avantage que le SDF tenait sur le reste du pays.

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Même Paul Biya fut surpris par l’exploit d’Andzé Tsoungui. Le président donna dès lors un feu vert total à l’administration territoriale de se spécialiser dans la « cuisine » des fraudes électorales. Elle devait se charger de savoir écarter particulièrement tout surprise du genre d’un candidat puissant de l’opposition, à l’image de Fru Ndi qui jaillit de nulle part en 1990 et gagna les élections présidentielles de 1992.