Opinions of Friday, 28 October 2016

Auteur: Nestor DjIatou

Tragédie d'Eséka: qui paiera la note finale ?

Photo utilisée  à titre d'illustration Photo utilisée à titre d'illustration

En attendant les résultats de l’enquête commanditée au sujet de l’accident qui a coûté la vie le 21 octobre 2016 à une centaine de voyageurs du train Inter-city, l’opinion attend la sanction politique de l’inertie gouvernementale caractérisée qui est à la base de ce cauchemar national. Et le vrai coupable pourrait s’avérer insoupçonné, tapi dans l’ombre de ceux qui, depuis quelques jours, sont mis au-devant de la scène.

La colère ne s’estompe pas chez les Camerounais au fur et à mesure que le bilan de cette catastrophe est revu à la hausse chaque jour qui passe. Jusqu’au moment où nous allions sous presse, des sources non officielles avançaient le chiffre fatidique de la centaine de décédés, alors que plus de 500 accidentés croupissent dans les formations hospitalières. Dans les morgues de l’hôpital central et de l’hôpital militaire de Yaoundé où les décédés ont été acheminés le 24 octobre, l’émoi et l’amertume ne finissent plus d’étrangler ceux qui voudraient récupérer les corps de leurs proches.

Une désolation  corsée par les procédures et les conditions restrictives imposées par les pouvoirs publics. Même la journée de deuil national décrété lundi dernier par le chef de l’Etat, ne semble pas soulager les courroux de nombreuses familles et au-delà, des compatriotes, persuadés que seule une négligence coupable est à l’origine de ce drame. En effet, il n’échappe à personne que c’est la rupture de l’axe routier Yaoundé-Douala à Manyaï dans la commune de Matomb qui a provoqué le déferlement massif de nombreux usagers vers la gare ferroviaire de Yaoundé pour pouvoir rallier la capitale économique pour des raisons diverses.

C’était du reste l’alternative la plus plausible qui s’offrait à de nombreux usagers de cet axe très prisé, du moins pour ceux qui ne peuvent s’offrir le luxe d’acquérir un billet d’avion. Depuis lors, les superstitieux convoquent des explications métaphysiques dignes des oracles pour justifier ce qui s’apparenterait à une fin de règne. Mais certains faiseurs d’opinion se sont mués en procureurs pour requérir des sanctions à l’encontre de certains membres du gouvernement.

Edgard Alain Mebe Ngo?o : une communication mal inspirée

Au milieu des récriminations qui enflent, le ministre des Transports est au centre des principales dénonciations. Son péché capital, véhiculé avec gourmandise dans les réseaux sociaux, comme si ses détracteurs attendaient cette nouvelle incartade pour lui faire la peau, avoir donné l’ordre à Camrail de tout mettre en œuvre pour permettre aux voyageurs de partir de Yaoundé pour rallier Douala. Ce qui explique les 8 voitures supplémentaires que la société de chemins de fer a ajoutées au nombre de voitures usuellement tirées par la locomotive du train inter-city.

Edgard  Alain Mebe Ngo?o a beau se justifier sur les antennes de la radio nationale, estimant qu’il n’est pas technicien du transport par train, ses jérémiades sont loin d’avoir convaincu les Camerounais. Loin de la question de savoir si la Camrail est tenue de respecter les instructions du ministère des Transports, dans le contexte contractuel de la concession de l’exploitation du chemin de fer camerounais. Mais à la vérité, Edgard Alain Mebe Ngo?o paie là le prix d’une communication laconique mal inspirée. Au détour du procès dont il fait l’objet au sein de l’opinion, au moins 3 griefs sont avancés pour justifier sa responsabilité, à défaut de sa culpabilité.

D’abord son démenti inopportun au journal parlé du 13h du vendredi 21 octobre à la Crtv, dans lequel il réfutait un drame qui était en train de se produire, même s’il s’empressait de préciser qu’il niait la véracité des images postées sur les réseaux sociaux quelques heures auparavant. Ensuite, sa tentative peu élégante et politiquement indigeste d’imputer à Camrail la responsabilité des surcharges et des vitesses durant le voyage.

Si les témoignages concordants reconnaissent que ce train était plus chargé que d’ordinaire, il reste que pour des analystes éclairés, cette volonté de se dédouaner face à un drame que l’Etat se doit d’assumer en dernier ressort traduit une attitude peu responsable de la part d’un ministre de la république. Enfin, ses révélations sur le nombre des victimes de la catastrophe.

Emmanuel Nganou Djoumessi : le supplicié responsable

A la différence de son collègue des Transports, le ministre des Travaux publics a reconnu que l’axe lourd Yaoundé-Douala est jonché de nombreuses défaillances techniques liées au défaut d’entretien qui, comme la buse sur la rivière de Manyaï, menacent la durabilité de l’ouvrage. Sans faire dans la langue de bois, il a affirmé au cours de l’émission Dimanche midi sur la Crtv, que son ministère est parfaitement au courant de ces buses endommagées par le poids de l’âge sur cet axe, de même que les problèmes d’entretien qui se posent sur les autres axes routiers de par le Cameroun.

Avant d’ajouter que les études en vue de la réhabilitation de ces ouvrages  sont en cours dans son département ministériel, dans l’attende du début des travaux prévus à la fin de la saison des pluies. Une attitude politiquement responsable qui, sans justifier ce que d’aucuns considèrent comme l’inertie caractéristique des pouvoirs publics que décriait le chef de l’Etat en personne, a le mérite de dire la vérité et de ne pas rajouter à la colère des camerounais. On se rappelle d’ailleurs qu’au lendemain de sa nomination à la tête du ministère des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi avait fait le tour des principaux axes routiers du pays pour prendre la mesure des problèmes qui se posent à ce secteur de l’activité gouvernementale.

Et comme un supplicié qui accepte stoïquement sa sentence, Nganou Djoumessi et son secrétaire d’Etat Louis Max Ayina Ohandja ont passé la nuit blanche dans la broussaille de Matomb du 21 au 22 octobre, dans l’optique de rétablir au plus vite la circulation sur cet axe capital pour la nation. D’ailleurs, tout le monde salue la promptitude dans la construction du pont provisoire qui permet aujourd’hui à l’axe lourd Douala- Yaoundé de retrouver son trafic habituel.  

Alamine Ousmane Mey : le robinet fermé ?

Au cours de ses sorties médiatiques, le ministre des Travaux publics ne criminalise personne d’autre dans le gouvernement, comme s’il acceptait d’assumer au nom du gouvernement la responsabilité de la vétusté de ces infrastructures qui ne date pas de sa prise de fonction. Et même s’il ne le dit pas, de nombreuses complaintes commencent à fuser dans certains milieux autorisés au sujet de la mise à disposition du budget relatif à l’entretien routier. Ce budget était-il dégagé ? Difficile de répondre. Mais ceux qui connaissent le sens de responsabilité et la célérité qui animent Emmanuel Nganou Djoumessi dans l’exercice des charges à lui confiées, refusent de croire à la disponibilité des ressources budgétaires qui n’auraient pas été consommées à bon escient.

D’ailleurs l’actuel ministre des  Travaux publics avait déjà inauguré son magistère à la tête de ce département ministériel par des actes forts, pour parer au plus pressé, en fermant les nids de poules sur plusieurs axes, particulièrement ceux présentés comme particulièrement accidentogènes. Depuis le début de la crise, le ministre des Finances est accusé dans les coulisses du pouvoir. Le Minfi, un robinet fermé ? Ces mauvaises langues soutiennent que c’est là où résiderait la véritable cause du défaut de réhabilitation de tous ces axes routiers qui présentent des dangers permanents pour la vie des usagers. Difficile d’y croire.

Au ministère des Travaux publics, on ne se prive pas de répertorier les dangers et de rappeler l’urgence qui interpelle les pouvoirs publics. Et l’enquête commanditée par le chef de l’Etat ne devrait pas occulter cet autre aspect du problème, qui remet par ailleurs sur la sellette, la question de la rationalité du budget de l’Etat et de son exécution. Même si au-delà de toutes les spéculations, ce ne fut qu’un accident, donc par  essence, un évènement imprévisible.