Je vais épouser une fille Ewondo parce que je suis fatigué des considérations "villageoises" qui veulent qu'on ne prenne pour épouse que celle ou celui originaire de notre région et qui à mon sens n'aident pas à construire la nation que nous avons en projet. JE VAIS ÉPOUSER UNE FILLE EWONDO parce que je suis toujours très mal de voir des enfants de moins de 5 ans ronchonner "bami", "bassa", "haoussa" comme s'il s'agissait d'injures.
JE VAIS ÉPOUSER UNE FILLE EWONDO parce que je vous accuse cher(e)s aîné(e)s qui avez consacré ces impressions manichéennes, vous qui avez à chaque fois opté pour une survalorisation de vos identités tribales en les magnifiant, mais surtout pour la négation, la déconsidération, mieux le rejet de l’autre tribu. JE VAIS ÉPOUSER UNE FILLE EWONDO parce le "tribalisme sentimental" est une gangrène qui détériore peu à peu notre tissu social.
Il est partout, il aliène, il fait des ravages, il détruit des relations aux fondements pourtant solides. JE VAIS ÉPOUSER UNE FILLE EWONDO parce que ce que j'observe, c'est que le "tribalisme sentimental" se vit comme une naturelle différence que je trouve même agressive et belliqueuse. On pose l'autre à distance de soi, comme autre que soi, comme amoureusement étranger à soi, comme ne pouvant pas nous comprendre et nous accompagner sentimentalement. L'autre n'est donc pas admis dans l'univers amoureux du soi parce qu'il n'est pas semblable au soi, parce qu'il est d'une culture autre que la nôtre.
On dirait même qu'il existe dans notre contexte une "régionalisation sentimentale" qui divise les amours en types nettement distincts et qu'il est de ce fait balourd (gauche) d'aller chercher le mariage ailleurs. La jeunesse camerounaise se trouve ainsi sentimentalement agressée à cause des différences tribales. Tout ceci nait de ce que le Pr. Émile Kenmogne appelle "le mode de l'imputation".
En effet, on ne se saisit pas soi-même comme sentimentalement tribaliste : c'est toujours une qualité attachée à l'autre. Tenez, quelques clichets : "Les filles betis sont de mauvaises femmes", "Les gars bamis sont de mauvais maris", "les bamouns se marient entre eux", etc. Si pour soi-même le soi ne peut se saisir comme tribaliste, c'est bien parce qu'il lui suffit déjà d'appréhender l'autre comme tribaliste : le tribaliste, c'est toujours l'autre.
JE VAIS ÉPOUSER UNE FILLE EWONDO parce que ce qu'il y a de plus étrange dans tout ce que j'observe, c'est que notre génération est malhabilement en train d'opter pour cette posture (celle consacrant le tribalisme sentimental), entérinant de ce fait le fractionnement régional et même villageois de l'amour à notre époque. L'amour ne nait pas par décret. Cher(e)s jeunes, ressaisissons-nous et prenons conscience du fait que tous ces "tribalistes sentimentaux" (nos parents compris) qui nous prêchent le faux seront morts dans quelques années et le Cameroun restera. Ressaisissons-nous et prenons conscience du fait que la configuration socioculturelle de notre pays est particulière. Ressaisissons-nous et prenons conscience du fait que le plus grand mal de notre génération est le tribalisme.
Il existe une seule solution à mon sens : les mariages interethniques. Ressaisissons-nous et prenons conscience du fait qu'avec les mariages interethniques, nos enfants sauront qu'ils sont le produit d'un "panachage tribal", d'une "mixture ethnique" et qu'ils sont conséquemment le reflet de la diversité culturelle camerounaise. Ce sera alors l'époque de ce que j'appelle la "trans-tribalité amoureuse" où les tribus seront débordées et dépassées. Les personnes déjà mariées en sont épargnées, mais à nous les non-mariés, sauvons les générations futures, sauvons le Cameroun.