En prenant de court comme à son habitude, en ce vendredi 2 octobre plutôt ordinaire, les Camerounais qui piaffaient d’impatience depuis de longs mois déjà dans l’attente d’une nouvelle équipe ministérielle, le Président de la République a mis sèchement un terme au jeu de devinettes et de spéculation sur le casting gouvernemental auquel se livraient les groupes d’intérêt par journaux et internet interposés.
Un jeu de dévoilement et d’affabulation tout à la fois, qui était censé « griller » les potentiels ministrables, et mettre en selle d’ambitieux quidams. Un jeu que la réalité du gouvernement du 2 octobre relègue dès à présent au dérisoire.
Une fois la curiosité des uns et des autres satisfaite sur les figures de ce gouvernement d’une soixantaine de membres, il revient aux historiens de l’instant de le passer au crible de l’analyse. Et là, l’on peut remarquer d’emblée que ce n’est pas vraiment la razzia annoncée par les uns, espérée ou redoutée par les autres. Avec 20% de renouvellement, il s’agit donc bien d’un réaménagement. La taille, les équilibres, les ténors, restent sensiblement les mêmes. La raison nous semble-t-il, en est simple.
En enregistrant les meilleurs résultats depuis très longtemps sur le plan de la croissance économique et de la lutte contre la pauvreté et la faim, salués par le FMI (près de 6% de croissance du PIB en 2015) et la FAO, le gouvernement Yang a plutôt obtenu de bons résultats. Malgré les critiques. Dès lors, le Président de la République a sans doute choisi, en toute logique, d’inscrire ce réaménagement dans la continuité. Puisqu’il ne s’agit pas de changer de cap, mais plutôt d’amplifier et d’accélérer le rythme des projets et des réformes.
Cette continuité est incarnée en premier lieu par le Chef du gouvernement, Philemon Yang, capitaine courage à la barre depuis six ans, et à qui le Chef de l’Etat a renouvelé une fois de plus la mission de conduire l’équipe en charge des affaires du pays dans cette période si déterminante. La confiance présidentielle réaffirmée à ce magistrat de carrière est un véritable pied de nez à tous les politiques et à tous les analystes qui le disaient « affaibli ».
Ce faisant, le Président de la République passe en filigrane aux ministres le message clair que la cohésion et la solidarité gouvernementale sont une priorité et une condition de réussite. Voilà qui sonne comme un désaveu de ceux qui ont pensé faire entendre leur petite musique en lieu et place du chœur gouvernemental : ils ont été remerciés.
Cette continuité se mesure aussi au maintien à des postes-clés de la plupart des poids lourds du gouvernement.
Comment comprendre néanmoins le départ de certains autres caciques, sinon par le caractère discrétionnaire de la nomination ? Seul celui qui a toutes les clés du puzzle sait, en réalité, pourquoi à tel moment du jeu, il abat une carte déterminée… En fonction des intérêts en jeu, des résultats recherchés, et de sa propre stratégie, le Président Biya choisit des ministres, ou s’en sépare.
On observe également que les secteurs prioritaires, Economie et Grands Projets, Intérieur, Défense, Agriculture, Energie, à l’exception notable des Enseignements secondaires et des Mines, s’inscrivent bien dans cette continuité évidente. Si la majorité des portefeuilles y relatifs passe aux mains de nouveaux ministres, ceux-ci sont malgré tout des ténors du gouvernement précédent et du sérail, et non de jeunes loups prêts à se faire les dents. Peut-on supputer alors une prime à l’expérience et à la maturité?
On aurait pourtant tort de ne pas lire dans ce mouvement un véritable désir de changement, notamment dans la méthode. Comment ne pas relever que le président de la République, dans sa hâte de voir se dessiner sur le terrain les Grandes Réalisations de son mandat électif, a puisé abondamment dans le réservoir du secteur privé et des entreprises ?
Il est loin en effet le temps où le gouvernement était l’apanage des diplômés de l’Ecole nationale d’Administration et de Magistrature. Depuis l’entrée en fonction du gouvernement Yang, Paul Biya affirme son tropisme libéral et son choix d’ouverture du gouvernement au privé, là où la culture du résultat est le plus ancrée. On compte cette fois encore des anciens directeurs généraux d’entreprises publiques et privées, des ingénieurs, des enseignants, dans les rangs de la nouvelle équipe gouvernementale. C’est le signe que, à l’heure où l’administration elle-même est sommée d’intégrer la gestion par objectifs, l’Etat a beaucoup à prendre du secteur privé. Tant mieux. Une bonne interaction de l’Etat et du privé est toujours un préalable à la transformation rapide et harmonieuse de l’économie et du pays.
Le gouvernement actuel doit en effet faire face dès sa prise de fonction à un défi cornélien : comment, dans le temps que le Chef de l’Etat lui a imparti, transformer le Cameroun en un pays émergent ? La réponse coule de source : en atteignant une croissance économique plus vigoureuse, à deux chiffres de préférence. Or dans l’environnement des plus défavorables que nous vivons, il faudra à vrai dire, pour y arriver, de l’envie, de la vaillance, de la pertinence, un grand sens de l’opportunité, et beaucoup d’audace. Un nouveau souffle.
Le second gouvernement Yang, pétri d’expérience, devra malgré tout veiller à demeurer soudé et solidaire, à tirer parti de la fraîcheur et de la fougue des nouveaux membres, pour écrire des pages encore plus belles de l’histoire du Cameroun. Car c’est là toujours où le bât blesse : comment lier, en une gerbe unique, tant de talents et tant d’ambitions, tant d’egos, surdimensionnés parfois ?
Messieurs/dames, vous voilà donc au pied du mur. Faites la fête, mais pas trop. Empressez-vous surtout de vous mettre au travail. Méritez la confiance placée en vous. Soyez le souffle qui ravive la braise, et fait brûler le feu de l’espoir de millions de vos compatriotes.
Bon courage!